Comment la France pourrait durcir sa législation contre les rave-parties, en s’inspirant de ses voisins européens

Les «teufeurs» devront-ils bientôt renoncer à leurs gigantesques sauteries en plein air ? Le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, y compte bien. Invité du JT de TF1 mardi soir, il a qualifié la rave-party de Fontjoncouse d’événement «totalement indécent». Au-delà des dégâts matériels causés sur plusieurs parcelles et des nuisances sonores pour la population locale, le ministre a critiqué un «supermarché de la drogue à ciel ouvert». Alors qu’aucune sanction suffisamment dissuasive n’a permis d’en finir avec ces rassemblements illégaux en France, Bruno Retailleau compte durcir la réglementation en passant de la simple contravention... au délit.

Actuellement, une loi de 2002 prévoit que les rave-parties, autrement nommées «rassemblements festifs à caractère musical», soient signalées au préfet si elles envisagent de rassembler plus de 500 participants. Selon un article du code de la sécurité intérieure, ce dernier peut l’interdire si elle est de nature «à troubler gravement l’ordre public». En réalité, la préfecture n’est presque jamais prévenue par les organisateurs. Dans l’Aude, non seulement aucune déclaration n’avait été faite, mais un arrêté préfectoral interdisait toute circulation dans cette zone des Corbières, du fait du risque incendie encore très important...

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Pour contrer cette rave-party illégale, la préfecture s’est retrouvée relativement désarmée. Comme l’a indiqué le préfet Alain Bucquet dans une conférence de presse mardi, les gendarmes et CRS étaient seulement en mesure de saisir du matériel et de dresser des «contraventions de cinquième classe, qui ne permettent pas de procéder à l’interpellation et à la mise en garde à vue des personnes». Ces contraventions, prévues par l’article R211-27 du code de la sécurité intérieure, ne ciblent que les organisateurs et peuvent aller jusqu’à 1 500€. Une somme qui semble dérisoire, au regard des revenus générés par les rave (ticket d’entrée, alcool, vente de stupéfiants, food-trucks...).

De trois à six ans de prison pour les organisateurs en Italie

Alors que l’arsenal juridique français semble trop faible, Bruno Retailleau a assumé vouloir imiter l’Italie qui a adopté, il y a trois ans, «une législation très dure». «C’était l’une des premières mesures du gouvernement Meloni en novembre 2022», affirme Marc Lazar, professeur à Sciences Po, et observateur de la vie politique italienne. «C’est après un rassemblement considérable dans la province de Modène qu’avait été adoptée une série de mesures restreignant et réprimant ce type de rassemblement», explique-t-il. Dans le détail, «un délit de rave» a été créé, donnant la possibilité à la justice de punir les organisateurs d’une peine de prison de trois ans, allant jusqu’à six en cas de récidive. Les participants encourent, quant à eux, entre un et quatre ans de détention. Une amende forfaitaire délictuelle allant jusqu’à 10.000 euros peut être prononcée.

D’autres pays européens ont choisi de réprimer plus sévèrement ces événements, comme le Royaume-Uni dès 1990, avec son texte Entertainements increased penalties act. Cette loi autorisait des amendes allant jusqu’à 20.000 livres pour l’organisation de rave illégales. Aujourd’hui, une rave peut être considérée comme illégale dès qu’elle rassemble 20 participants et diffuse de la musique suffisamment fort pour nuire au voisinage. Les sanctions sont à la fois financières, allant jusqu’à 10.000 livres pour les organisateurs, mais aussi pénales. En 2016, un DJ ayant organisé une rave dans le sous-sol d’un entrepôt à Liverpool a écopé de huit mois de prison avec sursis.

«Un traumatisme local»

En Allemagne, pays fédéral, certaines autorités régionales ont décidé d’agir pour éviter les débordements lors des très populaires «Freiluftparties». La ville de Brême a fait le choix, dès 2016, d’instaurer un cadre légal précis pour encadrer au mieux ces événements. Ils doivent être dans des espaces publics - et non des zones protégées ou espaces privés -, faire l’objet d’un signalement aux autorités 24h avant et les organisateurs sont responsables de la sécurité et des règles sanitaires. Outre-Rhin, l’idée semble plutôt de faciliter l’organisation de ces événements, pour dissuader les fêtes illégales.

Constatant un certain vide juridique en France, contrairement à ce que prévoient certains de nos voisins, une députée Horizons a souhaité se saisir du sujet en mars dernier. Élue du Maine-et-Loire, Laetitia Saint-Paul a été confrontée dans sa circonscription à trois rave parties importantes depuis 2022. «C’est à chaque fois un traumatisme local avec tout un bassin de vie qui se prend des basses non-stop dans les oreilles pendant cinq jours», affirme-t-elle. Analysant le phénomène avec les acteurs locaux, la députée a constaté que la principale difficulté était d’identifier les organisateurs : «Au tribunal, on se retrouvait souvent avec des prévenus disant “je suis juste le DJ“, “je n’ai fait que louer le food truck“ ou “j’ai juste géré le son“. Si bien qu’on ne pouvait agir contre eux.»

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Dans sa proposition de loi, elle a donc précisé ce que pouvait recouvrir «l’organisation», à savoir «le fait de mettre en place le système de diffusion des informations pratiques relatives à ce rassemblement», «de participer à l’édification du mur de son», ou de «mettre en place un camion de restauration». Son texte prévoit jusqu’à six mois d’emprisonnement pour les organisateurs et 5000€ d’amende, ainsi qu’une contravention de 1500€ pour les participants. La PPL n’a, à ce jour, pas été examinée par les députés. Étant donné l’émoi causé par les festivités audoises et le volontarisme affiché par Bruno Retailleau, il est probable que le sujet revienne bientôt à l’agenda politique.