Concessions sur le budget, "sentiment de submersion" migratoire, procès de Marine Le Pen "dérangeant"... Ce qu'il faut retenir de l'interview de François Bayrou sur LCI
Une interview fleuve. Durant près de deux heures, lundi 27 janvier, le Premier ministre, François Bayrou, a répondu aux questions de LCI. Alors que la France est toujours dans l'attente d'un budget pour cette année, le chef du gouvernement a confirmé plusieurs décisions, comme l'abandon de la suppression de 4 000 postes dans l'Education nationale ou le découpage du texte sur la fin de vie en deux textes distincts. Il a aussi eu des mots remarqués au sujet de l'immigration et du procès de l'affaire des assistants parlementaires du FN. Franceinfo vous résume les principales déclarations du locataire de Matignon.
Sur le budget : la confirmation de certaines concessions faites à la gauche comme à la droite
Toujours à la merci d'une censure par l'Assemblée nationale, le Premier ministre a confirmé plusieurs concessions faites aux partis susceptibles de ne pas la voter, les appelant à la "responsabilité" pour trouver un compromis sur le budget, alors que la commission mixte paritaire se réunit jeudi. François Bayrou a confirmé l'abandon, réclamé par les socialistes, de la suppression de 4 000 postes d'enseignants, une décision "définitive", a-t-il assuré, à rebours de son prédécesseur Michel Barnier.
Le chef du gouvernement a également écarté l'hypothèse d'instaurer sept heures de travail non rémunéré par an pour financer la Sécurité sociale, un autre point de blocage aux yeux des socialistes, mais aussi de certains macronistes. "Le travail doit être payé", a plaidé François Bayrou.
Mais les socialistes "ne sont pas les seuls" à avoir des demandes, a-t-il ajouté, citant la droite et le camp présidentiel. A cet égard, s'il a confirmé une contribution exceptionnelle sur les très hauts revenus et les grandes entreprises, il a aussi assuré que les ménages ne paieraient "aucun impôt nouveau" en 2025.
Sur l'immigration : "un sentiment de submersion", mais qui ne peut faire l'objet d'un référendum
"Je pense que les apports étrangers sont positifs pour un peuple, à condition qu'ils ne dépassent pas une proportion", a déclaré le Premier ministre sur LCI, dans la lignée de sa déclaration de politique générale. "Mais dès l'instant que vous avez le sentiment d'une submersion, de ne plus reconnaître votre pays, les modes de vie ou la culture, dès cet instant-là vous avez rejet", a-t-il poursuivi. Pour le chef du gouvernement, ce seuil n'est pas encore dépassé, mais "on approche", et "en tout cas, c'est dans cette zone qu'on se trouve", sachant qu'un "certain nombre de villes ou de régions sont dans ce sentiment-là".
Ces propos du chef du gouvernement ont suscité un tollé, à gauche mais aussi au sein du camp présidentiel. "Ce sont les mots de l'extrême droite", a dénoncé la cheffe de file des députés La France insoumise Mathilde Panot, mardi matin, au micro de franceinfo. "Je n'aurais jamais tenu ces propos et ils me gênent", a également déploré la présidente de l'Assemblée nationale Yaël Braun-Pivet sur BFMTV.
Lundi soir, François Bayrou s'est aussi dit favorable à une restriction du droit du sol dans le département de Mayotte, ainsi qu'en Guyane, mais pas ailleurs en France. Il a en revanche fermé la porte à un référendum sur l'immigration. Cette demande récurrente de la droite et l'extrême droite est revenue fin décembre après qu'Emmanuel Macron a évoqué dans ses vœux pour 2025 la possibilité de consulter les Français, sans plus de précisions. "L'immigration ne peut pas constitutionnellement, même pas par préférence, (...) être un sujet de référendum", a rappelé le Premier ministre. "Le champ du référendum est très clairement défini par les institutions. Il faut que ce soit l'organisation des pouvoirs publics, économique ou sociale", a-t-il ajouté, sans exclure de pouvoir demander un référendum sur un autre sujet.
Sur l'école : la volonté d'une "reconquête de l'écrit"
François Bayrou a promu l'idée d'une "reconquête de l'écrit" à l'école. "Ce que je crois, c'est qu'il faut faire de l'écrit à l'école, tous les jours et même dans tous les cours", a-t-il déclaré, regrettant la place accordée aux images dans la jeunesse. "Le prof d'histoire, il peut faire deux paragraphes tous les jours", a-t-il ajouté, en précisant en avoir parlé à sa ministre de l'Education nationale, Elisabeth Borne.
Lui-même ancien titulaire de ce poste dans les années 1990, cet agrégé de lettres classiques revendique aussi le travail de la graphie à l'école, "l'écriture au sens physique du terme". "Former les lettres. Tout ceci a complètement disparu", a-t-il regretté. "C'est pas réac, c'est progressiste, c'est le progressisme le plus grand", a-t-il fait valoir. "Je vais suggérer et défendre ça", a-t-il complété sans pour autant donner d'indications concrètes sur cette piste.
Sur la fin de vie : la confirmation de "deux textes" distincts
François Bayrou a confirmé vouloir scinder le projet de loi sur la fin de vie, pour distinguer les "deux sujets" des soins palliatifs et de l'aide à mourir, et ainsi "pouvoir voter sur chacun de ces deux textes différemment". "Les soins palliatifs, pour moi, ce n'est pas un droit, c'est un devoir", a déclaré le Premier ministre, qualifiant en revanche la question de l'aide à mourir de "débat de conscience". Plus de 200 socialistes et macronistes ont pourtant exhorté lundi le Premier ministre à ne pas couper en deux le texte qui était en cours d'examen avant la dissolution, jugeant que "dissocier les soins palliatifs de l'aide médicalisée active à mourir serait une erreur".
En marge de cette prise de position sur la réforme de la fin de vie, François Bayrou a livré quelques convictions intimes concernant ce débat : "On touche là à quelque chose qui tient au sens de la vie, à la vie et au sens de la vie." En référence à son père, disparu dans un accident, le chef du gouvernement a évoqué son rapport à la mort, imprégné de foi chrétienne : "Beaucoup des êtres que vous aimez vous sont arrachés. Et ces êtres-là, ils vous façonnent. J'ai souvent dit que pour moi, la mort n'existait pas. (...) Moi, je ne crois pas que les morts soient morts."
"Je crois que ceux qui sont de l'autre côté continuent à avoir avec nous quelque chose comme une relation. (...) Peut-être vous me prendrez pour un fou", a confié le locataire de Matignon, catholique pratiquant, mais qui s'est toujours positionné pour la séparation stricte du politique et du religieux.
Sur le procès de Marine Le Pen : une accusation "injuste" et un risque d'inéligibilité "dérangeant"
François Bayrou a également été interrogé au sujet du procès de l'affaire des assistants parlementaires du FN, alors qu'il avait, lui aussi, été jugé pour des accusations de détournement de fonds européens par son parti, le MoDem, dans un dossier similaire. Ces deux procédures reposent sur "une accusation injuste", a martelé le Premier ministre, qui avait été relaxé "au bénéfice du doute" en février, tandis que la plupart des accusés étaient condamnés.
Il était principalement questionné sur les conséquences politiques d'une possible condamnation de la patronne du Rassemblement national, Marine Le Pen, qui pourrait la rendre inéligible. "La responsabilité du gouvernement ne peut pas porter sur la justice", a réagi François Bayrou. "Je pense qu'il est très dérangeant que des jugements soient prononcés sans qu'on puisse faire appel", a-t-il aussitôt ajouté. Marine Le Pen conservera la possibilité de faire appel du verdict, mais un débat juridique entoure la possibilité d'une exécution provisoire de la peine à laquelle elle pourrait être condamnée, qui la rendrait inéligible sans attendre un second procès, et pourrait la priver de la prochaine présidentielle.