«Je rembourse 1500 euros d'herbe par mois» : sur le Bassin d’Arcachon, des propriétaires lésés par des permis de construire illégaux

Le Figaro Bordeaux 

«En 2021, j’ai reçu une lettre de la mairie qui nous disait de stopper nos projets de construction en raison d’un changement de doctrine de l’État sur l’application de la loi Littoral», se souvient Gérard Caubet. Le quinquagénaire, qui vient alors d’acheter trois terrains à Audenge, une commune située sur le bassin d’Arcachon, ne comprend pas immédiatement la missive et décide de contacter un avocat. «Il m’a expliqué que je possédais des terrains sur une zone qui n’aurait jamais dû être classée urbaine ou constructible par la mairie. Je suis tombée des nues. Je n’avais plus que deux solutions : me faire rembourser par la personne qui me les avait vendus de bonne foi ou faire un recours indemnitaire contre la mairie.» 

Un recours en justice face à la ville que Gérard Caubet a emporté, vendredi 20 septembre : le tribunal administratif a condamné la commune à lui verser plus 730.000 euros de dommages et intérêts. Car depuis trois ans, le quinquagénaire continue de voir son salaire amputé de 1500 euros par mois pour rembourser les crédits contractés pour l’achat des terrains litigieux. «Vous imaginez investir vos économies et rembourser 1500 euros d’herbe par mois ? Je n’ai pas pu construire la maison où je voulais installer ma femme et ma fille. Je me suis fait entuber, on rembourse un crédit sans pouvoir se payer les à-côtés et aujourd’hui nous habitons toujours dans l’Ain alors qu’on voulait déménager», confie-t-il. 

Loi littoral

Face à lui, la mairie d’Audenge, qui a déjà annoncé faire appel de cette décision de justice, se défausse dans un communiqué. «La commune se voit contrainte d'indemniser une personne qui resterait propriétaire de terrains dont le statut d'indestructibilité ne peut être affirmé de manière définitive. Une telle situation est inadmissible : l'argent public ne doit en aucun cas être utilisé pour enrichir un particulier de manière aussi flagrante». La collectivité territoriale, qui a refusé de répondre plus amplement aux questions du Figaro, espère en effet qu’un certain nombre des terrains litigieux pourront devenir constructibles grâce au nouveau schéma de cohérence territoriale (SCoT). Les terrains étant déjà entourés de maisons, ils pourraient en effet être reclassés en zone urbanisée, en application de la loi Elan, à condition qu’ils n’étendent pas la surface déjà artificialisée. Appliqué à Gérard Caubet, ce changement administratif lui permettrait par exemple de construire sur un des trois terrains qui lui ont été vendus comme constructibles. Au total, depuis 2011, près de 200 propriétaires auraient été lésés par des permis de construire signés par la mairie en dépit de la loi Littoral, selon l’association Audenge Citoyenne. 

Dans une plainte contre la mairie déposée conjointement avec Notre affaire à tous et la Coordination environnement du Bassin d'Arcachon (Ceba), l’association Audenge citoyenne s’appuie sur la loi Littoral édictée en janvier 1986 pour dénoncer un manque d’équité. «Ce que nous trouvons grave, c’est que la mairie clame haut et fort que tout est de la faute de l’État alors que la loi Littoral a toujours existé. Aujourd’hui, nous avons des quartiers dans des zones forestières et là où il y avait des champs et une grange, il y a désormais des lotissements», décrit Bruno Hubert, le porte-parole d'Audenge citoyenne. «Nous n’attaquons pas les personnes et les propriétaires, mais vraiment la mairie que nous estimons responsable de 20 hectares d’artificialisation illégale. Si les lois ne sont pas respectées par ceux qui en sont garants, cela pose un sacré problème de démocratie et une question de probité», tacle-t-il. Autre problématique : des maisons construites sur des permis de construire caduques ne seraient pas protégées en cas d’incident. Et loi Littoral oblige, en ces circonstances, elles pourraient donc se heurter à une interdiction de reconstruction de la préfecture - comme le vivent les propriétaires des cabanes de résiniers dévastées par les incendies dans la forêt de la Teste de Buch.

Attaque contre l’État

Une vision de la situation que ne partage pas la maire d’Audenge, Nathalie Le Yondre. Toujours dans un communiqué, cette dernière appelle «l'État à assumer ses responsabilités dans cette affaire, qui est en grande partie due à l'évolution de son interprétation de la loi Littoral». Avant qu’un promoteur décide d’installer un grand lotissement dans ces quartiers protégés par la loi Littoral - ce qui a conduit aux contrôles des permis de construire alentour -, la zone au cœur du litige aurait été de facto considérée comme «urbanisée» selon l’élue. «Ces difficultés ne sont malheureusement pas propres à Audenge. De nombreuses communes françaises, qu'il s'agisse de la région PACA, de la Corse ou d'autres territoires littoraux, rencontrent des problèmes similaires», dénonce-t-elle ainsi. 

Du côté des propriétaires, comme ceux rassemblés au sein de l’association Les sacrifiés d’Audenge, créée en 2021, ce sont des héritages qui disparaissent. Classés en zone naturelle, des terrains qui valaient jusqu’à 300 euros du mètre carré voient leur prix dégringoler à 4 ou 5 euros du mètre carré selon plusieurs sources. «Pour nous, cette loi Littoral est un prétexte derrière lequel l’État se retranche. Nous soutenons ces centaines de permis de construire qui ont été accordés et ceux qui veulent diviser leur terrain pour permettre à leurs enfants ou petits enfants de construire. Quand vous avez une propriété dont vous ne pouvez pas faire profiter vos enfants, c’est quand même fort. On ressent cela comme une injustice», déclare la présidente de cette association, Adeline Plègue. Seul hic : pour construire à nouveau dans ces quartiers, les propriétaires devront attendre un nouveau PLU (plan local d’urbanisme) ou un Scot (schéma de cohérence territoriale) en leur faveur. Sachant que, le cas échéant, ces derniers seraient très certainement attaqués par des associations écologistes.