Depuis le retour au pouvoir des Talibans à Kaboul en août 2021, il est interdit de chanter ou de jouer d’un instrument en Afghanistan. Aucun mariage ni aucune fête de village ne se célèbre plus au son des cordes pincées du rubab, l’un des plus anciens instruments de musique d’Asie.
Le sachant en danger et soucieuse de perpétuer son héritage, l’Unesco a décidé d’inscrire en ce mois de décembre l’art de la fabrication et de la pratique du rubab à sa liste du patrimoine culturel immatériel. Fabriqué à base de bois de mûrier séché, parfois incrusté de nacre, cette sorte de luth est doté de 8 à 15 cordes sympathiques (corde résonnant sous l’action d’une autre corde, mais jamais jouée directement par le musicien, NDLR). Selon le site de l’Unesco, cet instrument est souvent évoqué dans les poèmes et la littérature d’Asie centrale. Il est en outre « un facteur d’unité entre les peuples d’Afghanistan, de la République islamique d’Iran, du Tadjikistan et de l’Ouzbékistan ».
«La joie a été soustraite à cette nation»
Gull Agha, un musicien afghan rencontré par l’AFP, a vu ses rubabs saccagés par les Talibans. Il en conserve un, qu’il sort parfois pour les touristes de passage dans la ville d’Hérat. « Nous ne devrions pas laisser le savoir-faire de notre pays être oublié », dit-il. « Il en va de notre devoir de transmettre la musique locale aux générations futures comme l’ont fait nos ancêtres. » Mohsen, membre de longue date d’une association de musiciens, estime que « la joie a été soustraite à cette nation ». Un Kabouliote, dont l’instrument a aussi été brisé par la police des mœurs, veut croire malgré tout que la culture artistique afghane perdurera : « La musique ne disparaît jamais. Comme on dit, il ne peut y avoir de mort sans pleurs et de mariage sans musique. »
Dans ce contexte, un grand nombre de musiciens a quitté le pays. Ceux qui restent sont incités par le régime à se rabattre sur la déclamation de chants religieux ou de poésie. En septembre 2021, Fawad Andarabi, un artiste folklorique a été tué d’une balle dans la tête par des Talibans l’accusant de jouer une musique jugée « pas assez islamique ». Deux mois plus tard, deux Afghans étaient abattus pour avoir écouté de la musique locale lors d’un mariage. Cette même année, Daud Khan Sadozai, un célèbre joueur de rubab kabouliote réfugié en Allemagne depuis 1996, se lamentait au micro de France Musique : « Pour les Talibans, la place de la musique et des musiciens, c’était la tombe.»