Guerre en Ukraine : plus de deux tiers des Ukrainiens désormais favorables à des négociations de paix

Après presque trois ans et demi d’un conflit dévastateur, des centaines de milliers de morts et de blessés, des bombardements incessants et aucun espoir à court terme de voir les troupes russes refouler hors du sol national, les Ukrainiens sont touchés par la «fatigue de la guerre». Selon un sondage publié le 7 août par le sondeur américain Gallup, le soutien à «la guerre jusqu’à la victoire» s’effondre au sein de la population ukrainienne (pour atteindre seulement 24%, contre 73% en 2022) tandis que le souhait de «négociations visant à mettre fin à la guerre dès que possible» progresse fortement (69% contre 22% en 2022).

Ces chiffres ne peuvent que résonner avec la rencontre qui se tient vendredi entre Donald Trump et Vladimir Poutine en Alaska. Tandis que le président russe se dit ouvert aux négociations mais ne veut revenir sur aucune de ses lignes rouges, notamment le contrôle des quatre oblasts annexés en 2022, le président américain, qui se rêve en «faiseur de paix», pousse les Ukrainiens, réticents, à consentir des sacrifices territoriaux, notamment dans le Donbass. Le Kremlin exige que les Ukrainiens cèdent quelque 7000 km2 que les Russes ne contrôlent pas dans l’oblast de Donetsk, lieu des plus féroces combats depuis le début de la guerre. Volodymyr Zelensky résiste, invoque la Constitution ukrainienne qui exclut toute cession de territoires, mais a déjà accepté le principe de négociations directes avec Moscou.

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Croisement des courbes en 2024

L’évolution des courbes de ce sondage au fil des ans montre une corrélation avec la situation militaire. En 2022, certes, les Russes ont d’abord avancé très vite, mais dès la fin du mois de mars, ils se sont enlisés face à la résistance ukrainienne, qui a ensuite réussi deux contre-offensives réussies au printemps. À cette époque-là, donc, les trois quarts des Ukrainiens voulaient combattre jusqu’à la victoire, et moins d’un quart souhaitaient négocier. Lentement, au cours de l’année 2023, les Russes ont repris l’avantage, avec leur victoire à Bakhmout en mai. En même temps, Kiev reprenait espoir avec une contre-offensive d’été, mais qui a rapidement fait long feu. Cette année-là, le soutien à la guerre demeure fort, mais la courbe flanche déjà un peu : 63% des Ukrainiens veulent continuer et 27% veulent négocier.

Les courbes se croisent dès l’année suivante, en 2024 : les partisans d’une guerre jusqu’à la victoire ne sont plus que 38% (deux fois moins qu’en 2022) tandis que ceux qui plaident pour des négociations deviennent majoritaires (52%, avec un facteur supérieur à 2 en deux ans). Il faut dire que la situation s’est aggravée sur le front : les Russes ont repris 3500 km2 de terrain et l’offensive ukrainienne à Koursk s’est rapidement essoufflée. Les chiffres de l’année 2025, qui apparaissent renversés par rapport à 2022, confirment cette tendance sur le terrain : les prises de territoires russes augmentent ; le saillant de Koursk s’est effondré ; les bombardements russes s’accentuent ; en fin de compte, le rapport de force penche de plus en plus en faveur de Moscou.

Surtout, avec le retour à la Maison-Blanche de Donald Trump, le soutien occidental à l’Ukraine se fissure, tandis que les Européens ne semblent pas en mesure de fournir suffisamment d’armes à l’Ukraine pour changer la donne. Là encore, ce renversement s’observe dans le sondage : à la question «approuvez-vous le leadership américain ?», les réponses positives s’effondrent, à seulement 16% en 2025 (contre 66% en 2022). Dorénavant, 73% des Ukrainiens jugent négativement la politique ukrainienne des États-Unis (16% en 2022). Berlin, à l’inverse, progresse dans le cœur des Ukrainiens avec 63% d’opinions favorables en 2025 (contre seulement 46% en 2022).

Si les Ukrainiens se résignent à l’idée de négocier, ils ne sont pas pour autant crédules et n’y croient pas beaucoup. Pour une majorité d’entre eux, la visite en Alaska ne changera donc pas la donne sur le terrain. Seulement 5% pensent «très probable» que la guerre s’achève dans les 12 prochains mois. Même en considérant ceux qui jugent cette hypothèse «quelque peu probable», la proportion ne monte qu’à 25%, soit un quart de la population. Le bloc des sceptiques pèse lourd (68%) avec 34% des personnages interrogées qui estiment «très improbable» une fin des combats d’ici fin juillet 2026.

Otan, UE : la perspective s’éloigne

Le pessimisme est donc à son comble, y compris au regard d’une future adhésion à l’Otan. Quand 64% des Ukrainiens imaginaient leur pays entrer dans l’Alliance atlantique d’ici 10 ans, ils ne sont plus que 32% à penser la même chose en 2025, soit deux fois moins en trois ans. Désormais, ils sont même plus nombreux (33%) à penser que l’Ukraine ne rejoindra jamais l’organisation de sécurité occidentale. L’opinion ukrainienne est moins en berne à l’endroit d’une adhésion à l’UE, mais la dynamique négative est également présente. Ils sont une courte majorité (52%) à penser que l’Ukraine rejoindra l’Union européenne dans les 10 ans à venir (contre 73% en 2022) tandis que ceux qui pensent qu’une adhésion n’aura jamais lieu voient leur nombre tripler (de 6% à 18%).

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En définitive, l’opinion ukrainienne oscille entre rejet d’une guerre jusqu’à la victoire, souhait de négociations de paix, mais en même temps scepticisme sur les chances d’une cessation des hostilités et perte de confiance à l’endroit d’une sortie politique par le haut vers l’Otan et l’UE , sur fond de défiance grandissante vis-à-vis de Washington. C’est un cocktail explosif dont Vladimir Poutine entendra jouer au maximum pour imposer son intransigeance à Donald Trump et indirectement à Volodymyr Zelensky lors du sommet en Alaska. Mi-mai à Istanbul, le négociateur russe Vladimir Medinski avait adressé à ses interlocuteurs ukrainiens cette cruelle formule : «Nous ne voulons pas la guerre, mais nous sommes prêts à nous battre pendant un, deux, trois ans, aussi longtemps que nécessaire. Nous avons combattu contre la Suède pendant vingt et un ans [entre 1700 et 1721, sous Pierre le Grand]. Combien de temps êtes-vous prêts à vous battre ?»