Pape Léon XIV : ce que l'on sait de la gestion controversée du cardinal américain dans des affaires de violences sexuelles à Chicago et au Pérou

A peine élu et déjà sous tension. Désigné pape jeudi 8 mai, à l’issue du quatrième tour de scrutin du conclave, Robert Francis Prevost, devenu Léon XIV, voit ressurgir des zones d’ombre de sa carrière d’ecclésiastique, notamment sur sa gestion controversée d’affaires de violences sexuelles commises par des prêtres. 

Deux dossiers retiennent particulièrement l’attention : l’un au Pérou, où trois femmes accusent deux prêtres de les avoir agressées alors que Robert Francis Prevost dirigeait le diocèse de Chiclayo, l’autre à Chicago, où un prêtre reconnu coupable d'agression sur mineur a été autorisé à vivre près d’une école catholique durant le mandat du cardinal américain à la tête de la province augustinienne. Selon le Washington Post, des interrogations subsistent sur la manière dont ces situations ont été traitées. 

Des Péruviennes accusent l’ancien évêque d'inaction

En 2022, trois Péruviennes affirment avoir été victimes d’agressions sexuelles lorsqu’elles étaient mineures par deux prêtres du diocèse de Chiclayo, situé dans le nord-ouest du pays. Au moment de ces révélations, le diocèse était dirigé par Robert Francis Prevost, rapporte notamment le New York Times. Les faits auraient eu lieu au milieu des années 2000, plusieurs années avant son arrivée.

L’un des prêtres accusés, Eleuterio Vásquez, est présenté comme un proche de la famille de l’une des plaignantes. Ana María Quispe raconte notamment que l’homme d’Eglise l’aurait contrainte à dormir à ses côtés lors d’un déplacement missionnaire, alors qu’elle n’avait que 9 ans. "Je me suis figée. J’ai fait semblant de dormir, mais je n’ai pas dormi du tout", a-t-elle confié à l’émission péruvienne "Cuarto Poder", citée en septembre dernier par The National Catholic Reporter. Elle accuse aussi le père Ricardo Yesquén de l’avoir assise sur ses genoux et de l’avoir embrassée alors qu’elle avait le même âge, rapporte le journal. 

Une autre femme, prénommée Lucía, dénonce également des attouchements du prêtre Eleuterio Vásquez. Enfin, Ruth déclare, elle, avoir été violée par lui à l’âge de 13 ans, peu avant une messe. 

Le nouveau pape Léon XIV s'adresse aux fidèles massés sur la place Saint-Pierre, au Vatican, le 8 mai 2025. (VATICAN MEDIA / CPP / HANS LUCAS / AFP)
Le nouveau pape Léon XIV s'adresse aux fidèles massés sur la place Saint-Pierre, au Vatican, le 8 mai 2025. (VATICAN MEDIA / CPP / HANS LUCAS / AFP)

Ces trois femmes affirment avoir alerté le diocèse en avril 2022. "Aucune enquête n'a été menée et aucune mesure de précaution n'a été prise pour protéger les fidèles, les garçons et les filles... L'affaire a été classée et archivée", écrivent-elles dans un communiqué publié le 11 septembre 2024 et consulté par The National Catholic Reporter, ajoutant qu'"il n'existe aucun décret d'ouverture d'enquête préliminaire, ni aucun décret de mesures conservatoires" et qu'elles n'ont "jamais été convoquées à témoigner pendant cette période par aucun enquêteur".

Le diocèse soutient au contraire que Robert Francis Prevost a bien reçu personnellement les victimes et ouvert une procédure canonique, avant de transmettre le dossier au Vatican, rapporte le média américain spécialisé sur l'Eglise catholique. Le Saint-Siège aurait alors conclu à une insuffisance de preuves. Ana Maria Quispe ayant lancé une campagne sur les réseaux sociaux, le nouvel évêque a rouvert le dossier et affirme qu'il est toujours en cours au Vatican, comme l'explique le site américain d'investigation sur l'Eglise catholique The Pillar. Selon le diocèse, les prêtres incriminés ont été suspendus. Eleuterio Vásquez a "accepté" cette sanction. Quant à Ricardo Yesquén, il était dans l’incapacité de répondre aux accusations du fait de son état de santé, a expliqué un communiqué du diocèse publié le 10 septembre et consulté par The National Catholic Reporter.

Un prêtre accusé d'agression sexuelle à Chicago

L'autre dossier est plus ancien. Entre 1999 et 2001, alors qu’il dirigeait la province augustinienne de Chicago, Robert Francis Prevost a été critiqué pour sa gestion d’un cas d'agression sexuelle sur mineur impliquant un prêtre de son ordre. En 2000, le père James Ray avait notamment admis avoir fait dormir un garçon dans son lit, tout en niant toute agression sexuelle. Il évoquait des "câlins", comme le rapporte The Pillar. A la suite de ces révélations, le prêtre a été autorisé à résider au sein d’un prieuré situé à moins d’un pâté de maisons d’une école primaire catholique.

Selon les archives diocésaines consultées par le média américain, l’approbation de cette résidence aurait été donnée par le supérieur provincial de l’époque : Robert Francis Prevost. Les responsables de l’école n’ont pas été informés que le prêtre incriminé vivait à proximité de leurs élèves, ajoute le New York Times

Selon le Washington Post, le Vatican dément aujourd'hui que le cardinal Prevost ait pris lui-même cette décision. Le New York Times a tenté de le contacter à ce sujet avant son élection, en vain.

Des réserves exprimées dès sa nomination

L'association de victimes de prêtres Snap s’est dite "gravement préoccupée", à l’annonce de l’élection de Léon XIV, dans un communiqué publié le 8 mai. Quelques jours plus tôt, l’organisation avait adressé une lettre ouverte de six pages au futur pontife, lui enjoignant d'adopter une ligne ferme afin d’"instaurer une véritable loi universelle de tolérance zéro pour les violences sexuelles et leur dissimulation" au sein du clergé. "Rester silencieux est un péché. Ce n'est pas ce que Dieu veut que nous fassions", a dénoncé de son côté Eduardo Lopez de Casas, vice-président de Snap, auprès du Daily Mail. 

L'association avait déjà mis en cause l’ancien évêque de Chiclayo pour avoir, selon elle, dissimulé les cas de violences au Pérou. "Vous pouvez mettre fin à la crise des abus – la seule question est de savoir si vous le ferez", questionne aujourd’hui l’association en interpellant directement Léon XIV dans le communiqué publié le jour de sa nomination. 

"Les antécédents du pape né aux Etats-Unis sont une indication du niveau et du dynamisme qu'il apportera à l'élan de l'Eglise, un élan qui, nous l'espérons, donnera la priorité à la justice plutôt qu'à la réputation", a de son côté déclaré Denise Buchanan, cofondatrice de l'association Ending Clergy Abuse, dans le Washington Post. Pour l’historienne Kathleen Sprows Cummings, également interrogée par le journal américain, ce "manque de fermeté" n’est pas rare pour "les hommes ayant occupé des postes de haute direction dans l'Eglise catholique dans la seconde moitié du XXe siècle". "Les cardinaux électeurs seraient bien en peine de trouver parmi eux un homme dont le bilan en la matière soit irréprochable", a affirmé la chercheuse.