Walthéry : «Natacha a l’émancipation chevillée au corps depuis ses débuts en BD»
Comme Natacha est «presque» hôtesse de l’air dans le film de Noémie Saglio, le dessinateur belge François Walthéry a presque 80 printemps. À le questionner sur le regain d’intérêt observé autour de son héroïne cocréée avec le scénariste Gos au mi-temps des années 60, on sent qu’il n’en revient toujours pas.
Alors que le tome 24 des aventures de Natacha, Chanson d’avril, vient de paraître chez Dupuis, et qu’un beau livre richement illustré rend hommage à son personnage fétiche, Walthéry a accepté de livrer ses réflexions sur la transposition cinématographique qui a métamorphosé son emblématique héroïne de papier en une bondissante créature de cinéma incarnée par Camille Lou.
LE FIGARO - Qu’avez-vous pensé du projet d’adaptation de votre série BD au cinéma ?
François WALTHÉRY - Avant toute chose, il s’agit de la première adaptation de Natacha qui arrive sur grand écran. Par le passé, cinq ou six options avaient déjà été posées. Mais jusqu’à présent rien de solide ne s’était concrétisé. Avec le film de Noémie Saglio, c’est chose faite. En juin dernier, j’ai même pu rencontrer l’équipe du film, Camille Lou, Vincent Dedienne et Didier Bourdon à l’aéroport du Bourget, au musée de l’aviation. C’était très sympathique.
Avez-vous pu voir le film?
Oui, je l’ai vu en avant-première près de Liège en Belgique dans une salle où j’entendais les spectateurs rire dans la salle. J’ai été agréablement surpris par ce film. Je trouve que Camille Lou a très bien su conserver l’esprit de la bande dessinée. Bien sûr, il s’agit d’une interprétation de la BD. Le scénario reprend quelques éléments des albums, notamment l’intrigue de l’enlèvement du tableau de la Joconde, mais sinon, il développe une histoire originale.
L’intrigue du film vous a-t-elle plu ?
Pour moi, il s’agit d’une comédie d’aventure policière qui ne se prend pas au sérieux. Ça court partout, c’est rythmé. Cela m’a rappelé L’Homme de Rio de Philippe de Broca... Le côté féministe de l’aventure située dans les années 60 m’a également beaucoup plu.
Ne trouvez-vous pas que la sensualité de votre personnage a été un peu gommée pour le cinéma?
Non. Si Natacha est sexy dans mes albums, c’est que je l’ai dessiné ainsi sans le faire exprès. On aime toujours dessiner les femmes qu’on aime regarder. Natacha est une héroïne indépendante, débrouillarde qui ne se laisse pas faire par les hommes. Elle a un caractère très volontaire et possède l’émancipation chevillée au corps depuis ses débuts en BD. Elle a tout de suite cherché à voler de ses propres ailes, sans mauvais jeu de mots. Tout en étant fraîche et sexy. Ce n’est pas encore prohibé à ce que je sache. Comme dirait Jessica Rabbit dans le film Qui veut la peau de Roger Rabbit? :« Vous ne savez pas comme c’est dur d’être une femme qui a mon physique. Je suis juste dessinée comme ça!» Hé bien pour Natacha, c’est la même chose.
Comment est née Natacha dans Spirou ?
Disons que c’est l’une des premières héroïnes de la BD franco-belge moderne. Avec le scénariste Roland Gos, nous avons eu de la chance. Au départ, alors que je travaillais au studio de Peyo sur des séries comme Johan et Pirlouit, Benoît Brisefer, Les Schtroumpfs ou Jackie et Célestin, nous avons voulu raconter les aventures d’un steward policier. Yvan Delporte qui travaillait avec nous a eu l’idée d’en faire un personnage féminin. Il nous a dit : «Je verrais bien une hôtesse de l’air pour cette histoire». J’ai fait quelques croquis de la future Natacha et je lui ai rajouté un petit calot bleu sur sa chevelure choucroute. Je m’étais inspiré de Mireille Darc, France Gall et Dany Carrel. Nous avons remis quelques pages à Spirou, mais ce n’est pas allé plus loin. En 1969, Thierry Martens qui était le rédacteur en chef du magazine a redécouvert ses pages dans un fond de tiroir et m’a demandé la suite de l’aventure. C’est comme ça que c’est parti! Nous avons été très surpris du succès réservé à Natacha. Mais cela nous a en quelque sorte «condamnés» à élaborer d’autres albums, avec la complicité de Maurice Tillieux, Jidéhem et Mittéi...
Pourquoi s’appelle-t-elle Natacha?
Parce que Natacha c’est beau! C’est bien rythmé en trois temps, comme Lucky Luke, Rick Hochet ou Buck Danny... C’est un prénom qui se retient. L’épouse de Gos était française. Elle recevait un calendrier annuel et à la date du 26 août, les Français fêtaient la Sainte Natacha alors que les Belges célébraient la Sainte Nathalie...
Croyez-vous que le personnage de Natacha soit devenu un peu «has been» avec les années?
Pas du tout! Non seulement Natacha n’est pas dépassée, mais elle reste très actuelle. La preuve, elle est devenue l’héroïne d’une comédie qui fait rire les jeunes générations. En même temps, en tant que créateur du personnage, je suis assez mauvais juge. Cela fait quelques années que Natacha m’a échappé. Je peux même dire qu’il y a longtemps qu’elle a pris son envol (Rires)!
Natacha – Tome 24 - Chanson d’avril, par Sirius et Walthéry, 56 p., Éditions Dupuis, 12,95€.
Walthéry – Natacha – Une vie en dessins, par François Walthéry , 256 p., Éditions Dupuis, 69€.