Droits de douane : quatre questions sur le blocage des surtaxes de Donald Trump qui a "outrepassé" ses pouvoirs

C'est un nouveau camouflet judiciaire pour Donald Trump. Un tribunal américain a décidé de bloquer les droits de douane dits "réciproques" décrétés par le président républicain, mercredi 28 mai. Les trois juges du tribunal de commerce international des Etats-Unis (ITC) ne contestent pas, dans leur décision, la possibilité pour les Etats-Unis d'augmenter leurs surtaxes douanières, mais ont estimé que celles-ci relevaient d'une prérogative du Congrès et que le président avait ainsi outrepassé les pouvoirs dont il dispose. Franceinfo revient en quatre questions sur cette décision, déjà contestée par la Maison Blanche.

1 Pourquoi la justice a-t-elle été saisie ? 

Depuis son retour à la Maison Blanche, le milliardaire républicain a utilisé les droits de douane comme principale arme de politique commerciale, mais également d'incitation à la réindustrialisation du pays et de moyen de pression sur d'autres puissances économiques. Début avril, il avait ainsi annoncé ses droits de douane dits "réciproques", censés concerner l'ensemble des pays dans le monde, avant de reculer face à la chute des marchés financiers, accordant une pause de 90 jours, tout en maintenant une surtaxe-plancher de 10%.

Après ces annonces, deux plaintes ont été déposées. L'une par une alliance de douze Etats américains dont l'Arizona, l'Oregon, New York et le Minnesota, l'autre par un groupe d'entreprises américaines, qui reprochaient à Donald Trump de s'arroger des pouvoirs appartenant au Congrès. Ces tarifs avaient "fait grimper les prix des produits d'épicerie et des voitures, menacé de pénurie de biens essentiels et détruit les chaînes d'approvisionnement des entreprises américaines, grandes et petites", avait justifié le sénateur de l'Oregon, Ron Wyden, rapporte l'agence AP. C'est sur ces deux plaintes que le tribunal s'est prononcé, mercredi. 

2 Que dit la décision des juges ?

Dans leur décision, les juges considèrent que le président ne peut invoquer, comme il l'a fait, la loi d'urgence économique de 1977 (IEEPA) pour instituer par décret "une surtaxe illimitée sur les produits provenant de quasiment tous les pays". "Aucun autre président n'a eu recours à l'IEEPA pour imposer des droits de douane", précise le Wahsington Post. Pour les magistrats, les décrets adoptés "outrepassent les pouvoirs accordés au président dans le cadre de la loi IEEPA pour réguler les importations", ce texte lui permettant seulement "de prendre les sanctions économiques nécessaires en cas d'urgence pour combattre une menace 'extraordinaire et inhabituelle'".

Toute interprétation qui lui délègue "une autorité illimitée sur les droits de douane est anticonstitutionnelle", insistent les juges. Dans un texte accompagnant la décision, l'un des juges, qui n'est pas identifié, estime que cela "constituerait un renoncement du pouvoir législatif au bénéfice d'une autre branche du gouvernement", ce qui est contraire à la Constitution américaine.

3 Quelles sont les conséquences de cette décision ? 

Elle bloque d'abord les droits de douane spécifiques imposés au Canada, au Mexique et à la Chine, accusés de ne pas lutter assez contre le trafic de fentanyl. Elle bloque également les surtaxes "réciproques", dont l'application devait être mise en place début juillet. "La décision donne à l'exécutif jusqu'à dix jours pour achever le processus bureaucratique permettant d'y mettre fin", précise le New York Times. En revanche, "les taxes à l'importation sur des produits spécifiques tels que les automobiles, les pièces détachées automobiles, l'acier et l'aluminium resteront en vigueur", ajoute le Washington Post.

Alors que les taxes douanières étaient utilisées par les Etats-Unis comme moyen de pression dans le cadre des négociations commerciales avec les autres pays, cette suppression vient bouleverser les discussions en cours, notamment avec l'Union européenne et la Chine. Le représentant américain au commerce, Jamieson Greer, a fait valoir que la décision pourrait "paralyser les efforts" américains pour négocier des accords, rapporte le New York Times.

Mais en dépit de l'incertitude des procédures, la décision du tribunal a soulagé les marchés financiers : les Bourses asiatiques ont grimpé, jeudi – la Bourse de Tokyo terminant en hausse de 1,88% – et les places européennes ont fait de même – celle de Paris prenant 0,75%, Francfort 0,38%, Milan 0,41%, tandis que Londres restait stable (-0,03%). Le dollar progressait également légèrement, jeudi, profitant de la décision du tribunal américain.

4 Quelles sont les réactions, notamment du gouvernement américain ? 

Dans un communiqué, un porte-parole de la Maison Blanche, Kush Desai, dénonce une décision de "juges non élus" qui n'ont "pas le pouvoir de décider comment gérer convenablement une urgence nationale". "Le président Trump a juré de placer les Etats-Unis en premier et le gouvernement est décidé à utiliser tous les leviers du pouvoir exécutif pour répondre à cette crise et restaurer la grandeur américaine", ajoute-t-il.

Le gouvernement Trump a rapidement interjeté appel, mercredi, selon un document judiciaire consulté par l'AFP. Et il pourrait "demander un sursis d'urgence, ce qui rétablirait les droits de douane, au moins temporairement", ajoute le Washington Post, citant également la possible mise en place, plus longue, de "droits de douane similaires par des voies juridiques plus traditionnelles". Côté démocrate, l'élu à la Chambre des représentants Gregory Meeks estime que la décision vient confirmer "un abus illégal du pouvoir exécutif".

A l'étranger, la Chine a exhorté jeudi les Etats-Unis à "annuler totalement les droits de douane unilatéraux injustifiés". Elle invite la Maison Blanche "à écouter les voix rationnelles de la communauté internationale et des différents acteurs nationaux", a complété une porte-parole du ministère du Commerce chinois, He Yongqian.