Scénario libertin ou viol délibéré ? Ce mercredi, troisième jour du procès des abus sur Gisèle Pélicot, était initialement consacré à la déposition du chef d'enquête, le commissaire divisionnaire Jérémie Bosse Platière, venu expliquer la manière dont les policiers ont, grâce aux contacts téléphoniques gardés par le mari, ses conversations en ligne avec les hommes qu'il recrutait sur internet, et un logiciel de reconnaissance faciale, réussi à identifier une cinquantaine des 72 suspects recherchés. Mais le policier a ensuite essuyé les accusations de plusieurs avocats, ulcérés de voir leurs clients, comparaissant libres pour la plupart (NDLR: 32 sur 50, le 51e est en fuite), être mis dans le même sac que les récidivistes.
200 viols au total
Sur les 50 coaccusés recrutés par Dominique P., 71 ans désormais, pour venir abuser de son épouse, entre juillet 2011 et octobre 2020, dix étaient revenus plusieurs fois, jusqu'à six reprises pour certains. Pour 200 viols au total, selon l'estimation des enquêteurs, dont 92 par ces hommes recrutés par le mari.
«Est-ce que l'idée du jeu est envisageable?», a ainsi insisté Nadia El Bouroumi, conseil de deux accusés.
«Dans les pratiques libertine, le recueil du consentement est systématique», lui a répondu le policier.
Pour plusieurs avocats, leur client se serait fait «berner» par l'accusé principal, le mari, «chef d'orchestre», qui leur aurait présenté un «jeu libertin» où madame ferait semblant d'être endormie.
«Le problème, c'est le recueil du consentement: à quel moment madame P. a-t-elle manifesté son approbation à l'acte ? À aucun moment», leur a répété Jérémie Bosse Platière.
La victime «préparée» et nue sur le lit
Pour attester ses dires, l'enquêteur a rappelé le procédé, selon lui systématique, employé par Dominique P. pour recruter ces dizaines d'inconnus en ligne: après un premier contact sur le site de rencontres Coco.fr, la discussion basculait sur Skype, avant des échanges téléphoniques. Puis les instructions étaient à chaque fois identiques: se garer à l'écart du domicile du couple, pour ne pas éveiller les soupçons des voisins ; attendre à l'extérieur, «parfois jusqu'à une heure», pour que les somnifères fassent effet ; entrer par la cuisine, sans bruit ; et enfin abuser de la victime, déjà «préparée» et nue sur le lit conjugal.
Sur les quelque 4.000 fichiers, photos et vidéos, méticuleusement répertoriés dans un disque dur par le mari et exploités par les quatre enquêteurs dédiés à cette affaire, jamais la victime principale n'apparaît «consciente» et ne manifeste le moindre «geste», a souligné le policier.
«Je n’ai pas le souvenir d’un seul mot»
«Je n'ai pas le souvenir d'un seul mot, parfois on entend des râles, des ronflements, mais aucun mot compréhensible» n'est audible, a insisté Jérémie Bosse Platière, en insistant sur la qualification de «viol», terme qui figurait d'ailleurs dans plusieurs discussions en ligne entre Dominique P. et les potentiels agresseurs. «Tu es comme moi, tu aimes le mode viol», avait ainsi lancé le mari à un de ses interlocuteurs. Mais «pour un viol, il doit y avoir une intention», a rétorqué Mme El Bouroumi.
«On va parler de scène de sexe s'il vous plaît», a alors solennellement demandé au policier le président de la cour criminelle de Vaucluse, Roger Arata, rappelant que jusqu'à leur condamnation, les accusés étaient présumés innocents. Une prise de parole saluée par plusieurs accusés et leurs conseils.
Plusieurs avocats de la défense ont emboîté le pas, questionnant le véritable état d'inconscience de la victime et s'étonnant que Gisèle P. n'ait eu aucun soupçon, pendant dix ans. «Comment peut-on affirmer de manière aussi certaine qu'elle était vraiment inconsciente ?», a ainsi questionné Isabelle Crepin-Dehaene. «Soit c'est une très bonne actrice, soit elle était vraiment inconsciente», a répondu le commissaire, répétant qu'à aucun moment le moindre contact préalable n'est effectué par ces hommes avec la victime.
«Arrêtez de généraliser!», lui a répondu Me El Bouroumi. «Vous tirez des conclusions parce que c'est une répétition des faits», a-t-elle accusé: «Est-ce que c'est la multitude des individus qui fait que vous les qualifiez de violeurs ? S'ils avaient été seuls, aurait-on pu avoir des doutes sur leur réelle intentionnalité ?» «Les éléments individuels de votre client auraient pu laisser penser qu'il s'agissait bien de faits de matière criminelle», lui a répondu sobrement le policier.
Après le directeur d'enquête mercredi, la parole sera pour la première fois donnée à la victime jeudi matin, dans ce qui devrait être un des moments les plus forts de ce procès hors norme.