Théâtre: Clovis Cornillac impérial Dans les yeux de Monet

Le rideau s'ouvre sur les Gymnopédies d'Erik Satie. Nous sommes en 1892, à Rouen. Poussé par Paul Durand-Ruel (Éric Prat, débonnaire), chapeau sur le crâne, Claude Monet (Clovis Cornillac, barbu et massif) entre et s'affale sur le lit amé nagé dans l'atelier que le marchand d'art lui a aménagé sous les toits. Vue imprenable sur la cathédrale normande. La soupente, qui abrite un mannequin et dont les murs affichent des esquisses, se trouve au-dessus d'une boutique de lingerie (décor réaliste magnifié par Stéfanie Jarre). Durand-Ruel la loue à un ami. Endetté, il exhorte Monet à travailler, mais l'artiste n'a plus envie de prendre un pinceau. Il se sent fatigué et doute. Quelques minutes avant, on a vu une jeune fille entrer comme un coup de vent et virevolter avec coquetterie devant un miroir. Vision fugitive, elle quitte prestement l'atelier.

Parler de création picturale au théâtre relève de la gageure. Niels Arestrup a incarné le peintre Mark Rothko en 2019 dans Rouge, une pièce de John Logan au Théâtre Montparnasse. Pour ses débuts sur les planches, Eddy Mitchell s'était aussi aventuré à interpréter un peintre il y a plusieurs années, déjà à La Madeleine, avec Cécile de France (Le Temps des cerises, écrite par Niels Arestrup d'ailleurs, en 2008).

Clovis Cornillac porte à son tour avec une profondeur impressionnante l'un des maîtres du mouvement impressionniste aux prises avec son art. Et fait oublier qu'il n'avait pas joué au théâtre depuis dix ans. Sous sa stature, Monet s'emporte, se plaint d'être pressé par Durand-Ruel. Il est malheureux. Il a perdu sa femme adorée treize ans auparavant, leurs deux enfants sont partis et il souffre d'un début de cataracte. Mais il s'adoucit face à Camille, un modèle de la boutique, qui s'incruste dans son quotidien. Solaire, elle rallumerait les braises d'un feu éteint depuis un siècle. Elle tient tête au futur auteur des Nymphéas avec une fraîcheur délicieuse, accomplit le miracle de le distraire. Le bougon Monet renaît à la vie. Le rôle de cette muse tombée du ciel échoit à Maud Baecker. L'actrice n'est pas une inconnue, elle s'était déjà illustrée dans la série de TF1 Demain nous appartient et au théâtre dans Le Cercle des illusionnistes, d'Alexis Michalik.

Mise en scène efficace

Cyril Gely, l'auteur de la pièce à qui l'on doit notamment l'excellente pièce Diplomatie, a une prédilection pour les rencontres entre deux personnages. Cette fois, il s'est penché sur un moment clé de l'existence de Monet pour ima giner cette jolie relation. Toute la complexité de l'homme, sa solitude et son humanité apparaissent derrière l'image du peintre célèbre. La mise en scène efficace de Tristan Petitgirard épouse l'état d'esprit des personnages. 

  

Des jeux de lumière (bravo à Denis Schlepp) montrent de vrais tableaux : la cathédrale de Rouen dans des éclairages bleutés, orangers ou rougeoyants. Monet entend saisir l'exacte lumière aux différentes heures de la journée. Au contact de Camille, la fièvre de reproduire le monument dans l'instant s'empare de lui. Les deux acteurs tiennent bon la rampe, ils se renvoient la balle avec une facilité bluffante. Et bouleversent la salle.

Dans les yeux de Monet , au Théâtre de la Madeleine (Paris 8e). Tél. : 01 86 47 23 71.