Au Lucernaire, un Bel-Ami exaltant

On connaît l’histoire de Bel-Ami, publié en 1885, pourtant, on en découvre une version mémorable grâce à une artiste d’une vingtaine d’années. Un sifflement persistant dans la nuit parisienne des années 1880. Tout un monde cède aux plaisirs interdits dans des endroits louches, des filles de joie aux bourgeoises. Dans un clair-obscur haussmannien débarque de province Georges Duroy, un hussard d’Algérie, sans le sou, mais décidé à se faire une place au soleil (Aurélien Raynal, plus que parfait).

Forestier, un ancien camarade (ce soir-là, Thomas Lefrancois), le présente à Walter, le patron de La Vie française, le journal influent de l’époque (le caméléon Adrien Grassard). Ce dernier engage Georges Duroy ignorant que, un jour, il occupera son fauteuil et le cœur de son épouse, Madeleine (Clémence Roche, également la prostituée Rachel).

Après L’Écume des jours, de Boris Vian, qui a joué les prolongations au Lucernaire en 2023, Claudie Russo-Pelosi a adapté Bel-Ami, le roman de Guy de Maupassant avec la même intelligence et la même troupe, la compagnie Les Joues rouges - elles le sont d’ailleurs à la fin de la représentation ! Car ce spectacle, qui se déroule sur le plateau et dans la salle, exalte les passions. Celles de l’arriviste sans scrupule, mais également celles des femmes, jusqu’à l’irréductible Madame Walter (Hanna Rosenblum), qu’il séduit. Uniquement guidé par l’intérêt, comme il l’affirme lui-même, au grand dam de ses maîtresses.

Issue du Cours Florent, Claudie Russo-Pelosi retranscrit fidèlement la critique de Maupassant, qui dessine, dans la lignée de Balzac, un milieu sans âme qui ne jure que par le pouvoir et la position sociale, soit l’argent. Tout en vantant la liberté d’agir du « beau sexe » pris dans les rets patriarcaux. Clotilde de Marelle (Sara Belviso ou Coline Girard-Carillo), qui entretient Bel-Ami un temps, et Madeleine, sa plume au journal, ne s’en laissent pas conter.

Mille trouvailles

Mais les masques tombent et laissent transparaître la vérité des êtres. Seul sous les étoiles, Bel-Ami ne peut que douter. Le monologue sur la mort que dit Norbert de Varenne (de nouveau Adrien Grassard), assis sur un banc au pied d’un lampadaire à ses côtés, marque les esprits. La pensée de l’écrivain est servie par la mise en scène de Claudie Russo-Pelosi, qui virevolte au gré de mille trouvailles. La destinée du héros est racontée par un narrateur surnommé « le Parisien » (Adrien Grassard toujours), qui le suit à la trace en s’adressant au public (à partir de 12 ans). Dans un décor réduit au minimum, les sept comédiens rivalisent d’excellence. Marchant au pas, au sens propre du mot, ils ne trouvent aucun répit sous la baguette de leur talentueuse chef d’orchestre. Claudie Russo-Pelosi a adoré « détester » Bel-Ami. Pendant une heure vingt, nous aussi.

Bel-Ami, au Lucernaire (Paris 6e), jusqu’au 27 juillet.