« La Révolution par les femmes », de Corinne Aguzou : ce roman oublié, toujours d’actualité 20 ans après
Sans l’avertissement de l’éditeur, indiquant une première parution en 2006, on aurait pu croire ce livre écrit aujourd’hui tant il colle à l’époque, qu’il s’agisse de lutte contre les violences sexuelles, d’intersectionnalité ou de sororité.
Dans un immeuble appelé le Blockhaus, où siège une association féministe, un groupe de femmes va se réunir et prendre la parole. Toutes violentées de diverses manières, qu’il s’agisse d’agressions sexuelles, de violence économique et sociale, ou d’atteinte portée dans leur chair par la maladie, elles vont trouver ensemble la voie de l’émancipation.
Difficile, sans réduire le propos, de résumer ce livre aussi enthousiasmant par sa forme et son travail sur la langue, que par les questions qu’il soulève. Les personnages d’abord : Angèle, peintre malade d’un cancer qui manie les mots comme des pinceaux, Mina, femme de ménage, acrobate et formée à l’autodéfense, Barbara, metteuse en scène et agitatrice en chef, Marouschka, universitaire anémiée à la parole entravée, Suzanne, patiente d’un hôpital psychiatrique qui prend peu à peu conscience qu’elle doit s’évader de sa camisole médicamenteuse.
Le labyrinthe des caves de l’immeuble
Face à elles, des gardiens d’un monde masculin sûrs de leur bon droit et de leurs privilèges, maillons d’un système qu’on n’appelait pas encore patriarcal. Qu’ils soient gardien, psychiatre aux instincts de violeur, ou vaguement universitaire, ils portent des noms anagrammes composés des cinq mêmes lettres : Boris, Brosi, Sirob… Mais, pour Corinne Aguzou, le monde ne se divise pas entre hommes et femmes mais plutôt entre dominants et dominés, habitants du monde du dessus et ceux du « sous-monde ».
Certains personnages masculins sont des alliés des femmes, comme Amzat, un garçon handicapé mental qui, au début du roman, laisse partir le car et le groupe auquel il appartient. Ou Hélios, un migrant orphelin de mère que Mira rencontre en semant son agresseur dans le labyrinthe des caves de l’immeuble, l’une des scènes les plus époustouflantes tant on sent la menace dans sa chair.
Roman du collectif, la Révolution par les femmes fonctionne comme une pièce de théâtre, avec une unité de temps et de lieu mais une multitude d’actions qui travaillent en souterrain vers un but commun. Historienne de formation, ancienne étudiante de Michelle Perrot, Corinne Aguzou n’a pas eu, il y a dix-neuf ans, l’audience qu’elle méritait. Le moment est venu d’écouter ce qu’elle a à nous dire.
La Révolution par les femmes, de Corinne Aguzou, Tristram, 192 pages, 19 euros
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