La réalité de la menace russe agitée par la France

"Ce n’est pas moi qui l'ai dit, c'est la Russie". Ainsi parlait le chef d'état-major français, Thierry Burkhard, le vendredi 11 juillet, après avoir expliqué que la France était ouvertement désignée par Moscou comme "son principal adversaire en Europe". La formule, prononcée froidement et issue d'une rare prise de parole à ce niveau, préparait le terrain aux annonces budgétaires du chef de l'État, qui dans ce contexte de menaces, a confirmé sa volonté d'accélérer l'augmentation des moyens à disposition du ministère des Armées.

Pour juger de la réalité de la menace russe, naturellement sujette à interprétation, regardons les faits à notre disposition. Si bon nombre de déclarations récentes du président russe ou de son entourage ne laissent aucun doute sur l'hostilité affichée par Moscou envers la France, et plus largement, les Européens et les pays membres de l'Otan, aucune déclaration de Vladimir Poutine ne désigne précisément la France comme "son principal adversaire en Europe". Le maître du Kremlin n'a pas manqué, en revanche, de s'en prendre aux pays qui arment l'Ukraine et apportent un soutien militaire à Kiev dans sa guerre avec la Russie. La France en fait partie. Des menaces proférées à maintes reprises, par le président russe, par son porte-parole, par des membres de son gouvernement et de son parti, ou encore par les propagandistes qui inondent les plateaux de télévision.

Une économie presque entièrement tournée vers la guerre

À ces menaces verbales, s'ajoutent des offensives plus concrètes, dans le domaine cyber ou le champ informationnel (avec des attaques informatiques), mais aussi en mer (sous-marins croisant en Méditerranée) ou encore dans les airs (passage au-dessus de la  Manche de bombardiers dits "stratégiques"). Et une extension massive des capacités militaires de la Russie, déjà parmi les plus puissantes au monde. Moscou, dont l'armée mène une guerre depuis plus de trois ans en Ukraine, a lancé une vaste opération de renouvellement de ses forces, avec notamment l'objectif d'atteindre des effectifs d'1,5 million d'hommes en 2030. La Russie a aussi largement augmenté ses dépenses militaires, estimées à 146 milliards de dollars par an actuellement, mais à environ 400 milliards par an, selon une étude récente qui analyse les investissements à parité de pouvoir d’achat. À titre de comparaison, ces dépenses représentent environ 60 milliards en France, et près de 1 000 milliards aux États-Unis.

Un effort qui s'accompagne d'une économie presque entièrement tournée vers la guerre depuis 2022, et d'une capacité de production très importante : la Russie fabrique ainsi près de 1 800 chars de combat par an, contre une cinquantaine pour les grands pays européens réunis, selon un rapport de l'Institut de Kiel et de l'Institut Bruegel, qui font référence. Rapport qui estime par ailleurs que pour réduire l'avantage militaire russe, la production de systèmes de défense terrestres devrait être multipliée par trois à six en Europe.

Propagande ou réels moyens ?

Malgré cet ensemble d'éléments, la menace russe doit aussi être nuancée. D'abord parce que cet effort militaire conséquent ne doit pas faire oublier les difficultés économiques de la Russie, affaiblie par le poids des sanctions. Et parce que la propagande de Moscou, aussi massive soit-elle, ne signifie pas que la Russie a les moyens de ses ambitions. Quand les renseignements allemands estimaient en début d'année que "les forces russes seront en mesure d'attaquer l’Otan dès la fin de cette décennie", le ministre français des Armées, Sébastien Lecornu, avait lui même répondu que nos services de renseignement "ne disent pas cela".

Vu d'Europe et de France, domine la conviction que le Kremlin ne pourra pas, ou ne voudra pas, sortir d'une logique guerrière qui façonne aujourd’hui toute l'organisation de la société russe, et de son économie. C'est un élément qui pèse et qui s'appuie sur un certain nombre d'arguments, mais qui reste sujet à interprétation. Les velléités russes y prennent enfin une ampleur différente car elles s'inscrivent surtout dans un contexte de fragilité inédite pour le continent européen. L'Europe fait face au risque de désengagement américain, et au recul du droit international qui voit certains États agir avec moins de "retenue stratégique". Le tout dans un contexte budgétaire très contraint pour remettre à niveau des armées calibrées ces dernières décennies pour un environnement pacifié.