Jean de Saint-Chéron lauréat du Prix Roger Nimier 2025

Dorures, miroirs, et lustres à pampilles. Le prolongement du salon Roger Nimier, au premier étage du Fouquet’s à Paris, réunissait hier la nouvelle génération de jurés du célèbre prix auquel Jean-Marie Rouart, président pendant vingt-cinq ans, avait confié les rênes l’an passé. Un sabordage audacieux, avait alors titré Le Figaro , mais pour mieux renaître. C’est l’écrivain Jean de Saint-Chéron qui a été récompensé hier pour Malestroit, une biographie incandescente de mère Yvonne-Aimée, religieuse augustine et figure hors normes de la Résistance. Publié aux éditions Grasset, l’ouvrage concourait avec La Loi du moins fort de David Ducreux Sancey, Le Mal Joli d’Emma Becker, et Cabane d’Abel Quentin.

Créé en 1963 à la mémoire de Roger Nimier, disparu tragiquement à 36 ans, le prix récompense depuis plus de soixante ans un certain classicisme frondeur : vivacité d’esprit, style affûté, liberté insolente. «Ce n’est pas seulement une leçon de littérature ou d’exigence littéraire», a confié hier au Figaro Jean-Marie Rouart, désormais président d’honneur. «Roger Nimier nous donne une leçon de vie. Le Prix Nimier, c’est celui de l’adolescence, de cette fraîcheur perdue que l’on tente de garder toute sa vie. Il est important que cette valeur soit incarnée dans le paysage littéraire.» Le prix, offert par Vivendi, est doté d’un chèque de 5 000 euros, et surtout, une édition précieuse du manuscrit Alcools d’Apollinaire, publiée par les éditions des Saints-Pères, où l’on voit, en germe, se dessiner entre autres vers ceux de Zone.

«Le nouveau jury est une équipe formidable, résolument dans l’esprit d’éternelle jeunesse que célèbre Nimier», s’est réjoui Jean-Marie Rouart. Composé d’Eugénie Bastié, journaliste au Figaro, Erwan Barillot, Céline Laurens, Thibault de Montaigu, Jessica Nelson, Charlie Roquin, Abnousse Shalmani, et Louis-Henri de La Rochefoucauld, lauréat du prix en 2024, il a fait du salon un véritable bouillon littéraire. Le centenaire de la naissance de l’ancien chef de file des Hussards a été largement évoqué, notamment par la lecture par Eugénie Bastié, du portrait qu’en fait Geneviève Dormann dans les Cahiers verts, dévoilant l’homme derrière le mythe : «Il disait : je suis un gros Breton, mangeur de choux-fleurs. Il était grand, lourd, maladroit.»

Une héroïne oubliée, une sainte républicaine

«Nimier était présenté comme un gros Breton, mon livre traite d’une Bretonne avec un certain embonpoint», a rétorqué avec humour Jean de Saint-Chéron en recevant son prix, confiant être «extrêmement touché, ému, heureux». Quel argument a su conquérir les suffrages des jurés ? «Nous avons apprécié un livre très enlevé, très vivant, qui parvient à moderniser le genre a priori démodé de l’hagiographie, puisqu’il traite d’une religieuse résistante», nous a expliqué Louis-Henri de la Rochefoucauld. Dans son discours, il a également souligné «la grande tenue stylistique de ce livre», et un enchaînement haut en couleur avec «des passages dignes de la Grande Vadrouille».

Il se peut que le nom de cette résistante catholique vous soit inconnu. Il faut dire que l’Église n’a guère pris soin de faire vivre son souvenir. «Trop de miracles», avait-on tranché avant de clore sèchement le dossier de canonisation. Les autorités républicaines auront été plus à l’aise avec le phénomène «soeur Tempête» que les autorités cléricales ! Le général de Gaulle ne se déplace-t-il pas en personne pour lui remettre la croix de guerre avec palme et la Légion d’honneur ? «Elle a été canonisée par la République mais oubliée par l’Eglise, résume Jean de Saint Chéron, ce qui a participé à la faire sombrer dans l’oubli. Juste après la guerre, elle était une figure très connue de la Résistance.»

« Tant de corps dans ce corps, tant d’âmes dans cette âme, tant de vies dans cette vie… », avait résumé le Figaro Littéraire. Il y a Yvonne la mystique, la spirituelle, qui prophétise la Seconde guerre mondiale, se fait libérer de prison par un ange, fait naître des fleurs de sa bouche, connaît des extases et reçoit des stigmates. La grâce ne supprime pas la nature et la Yvonne du temporel est tout aussi stupéfiante, déguisant les parachutistes en religieuses afin de les soustraire à la Gestapo – scène reprise par Kessel dans Le Bataillon du Ciel -, fondant la toute première fédération des monastères d’Augustines. Et pourquoi s’embarrasser d’un seul corps, lorsqu’on est si pragmatique et si ardente mystique à la fois ? On lui reconnaît une centaine d’épisodes de bilocation, comme cette fois où elle est aperçue empruntant le métro parisien alors qu’elle est simultanément torturée par les Allemands dans la prison militaire du Cherche-Midi.

Une filiation bernanosienne

«Les grandes figures de courage mettent souvent leur propre institution dans l’embarras», glisse Jean de Saint-Cheron, revenant sur le silence prolongé autour de la religieuse. Aujourd’hui, un retour en grâce est-il possible ? «Notre époque est peut-être moins frileuse face au surnaturel», estime l’auteur. «Les jeunes générations sont moins radicalement matérialistes que leurs aînés.» Thibault de Montaigu, membre du jury, acquiesce : «Dans cette ère ultra-matérialiste, on touche les limites du rationalisme. Le besoin de transcendance, de spiritualité, rejaillit. Quand cela surgit dans un livre, je trouve cela très neuf et surprenant.»

Et l’auteur de La Grâce d’ajouter : «J’ai trouvé ça au XXIe siècle extrêmement insolent que d’écrire sur une sainte qui a des fleurs qui lui sortent par la bouche, qui en est prise avec le diable.» Une insolence que Roger Nimier aurait certainement applaudie. «Il y a quelque chose de bernanosien, trait cher à Nimier, chez l’auteur de Malestroit», expliquent les deux auteurs. «Jean de Saint Chéron n’est peut-être pas un fils ou un petit-fils de Nimier. Mais par cette filiation de Bernanos, dans la grande généalogie de la littérature, il est certainement un neveu ou un cousin du hussard !», conclut Louis-Henri de la Rochefoucauld.