"On doit repartir de zéro" : à Mayotte, les agriculteurs tentent de se relever après le passage destructeur du cyclone Chido
"On a l'impression qu'une bombe a explosé." A peine le cyclone Chido passé par Mayotte, Ange Dusom, président des Jeunes agriculteurs d'outre-mer, a enfourché son deux-roues et a foncé vers les exploitations agricoles situées près de chez lui. "C'était quasiment impossible d'y accéder, j'ai dû parfois abandonner ma moto pour y aller à pied", se remémore cet ancien vétérinaire qui a récemment repris une exploitation de volailles sur l'archipel. Une fois sur place, le spectacle était apocalyptique. "Tout était rasé, à terre, raconte-t-il. Aucun agriculteur n'a été épargné."
À Dembéni, au centre de Grande-Terre, le syndicaliste se retrouve dans une exploitation, mi-décembre, face à 15 000 volailles mortes, qu'il fallait ramasser à la tractopelle. Quelques kilomètres plus loin, ce sont 3 000 autres cadavres d'animaux qui "baignent dans le bouillon de litières, d'eau de pluie, de blocs de parpaings, de tôles", décrit-il dans son rapport envoyé à la cellule interministérielle de crise. Les productions végétales ne sont pas épargnées. Un peu partout, les nombreux bananiers et cocotiers de l'île ont été décapités.
Une indispensable agriculture "familiale et vivrière" détruite
En quelques heures, le fragile écosystème agricole mahorais a vacillé sous la puissance des vents. Sur l'île, la grande majorité des 4 312 exploitations agricoles disposaient de petites surfaces et d'infrastructures précaires destinées à la vente directe et locale de fruits, de légumes et de viande, selon un rapport parlementaire publié en 2023.
Ces filières "peu structurées" permettaient tout de même de garantir "une quasi-autosuffisance pour les bananes et le manioc, qui sont à la base de l'alimentation des Mahorais", souligne Joël Huat, chercheur agronome au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement et chef de projet à Mayotte. Sans cette agriculture "familiale et vivrière", "il y a un risque grave" pour la souveraineté alimentaire de l'archipel, relève Saïd Anthoumani, président de la chambre d'agriculture du 101e département français. Aujourd'hui, "tout est à refaire, on doit repartir de zéro", s'inquiète-t-il.
Des dégâts "sans précédent"
Dans les jours qui ont suivi la catastrophe, le premier défi des agriculteurs a été d'accéder à leurs exploitations ravagées. "Beaucoup de routes et de chemins étaient entravés par des branchages et des arbres", se remémore Jérome Despey, premier vice-président de la FNSEA en charge de l'outre-mer, qui s'est rendu à Mayotte peu après le passage du cyclone. Avec les Jeunes agriculteurs, le syndicat a envoyé une centaine de tronçonneuses sur l'île "pour aider [les professionnels] à accéder aux exploitations".
"Le paysage était complètement dévasté. On se croyait dans un mauvais film catastrophe."
Jérome Despey, premier vice-président de la FNSEA en charge de l'outre-merà franceinfo
Le bilan matériel qui se dessine au fil du mois de décembre fait froid dans le dos. Selon les deux syndicats majoritaires en France, environ 90% des serres et des exploitations de volailles de chair ont été détruites et 80% du cheptel décimé. Sur les bords de route, il n'est pas rare de croiser des chèvres, des vaches et des volailles divaguant entre les poubelles. "Les dégâts causés à notre agriculture sont sans précédent, assure Saïd Anthoumani dans un message aux agriculteurs et pêcheurs mahorais. Les champs ont été ravagés, des cultures totalement détruites, des élevages fortement impactés et les infrastructures agricoles gravement endommagées", liste-t-il.
Deux mois cruciaux pour replanter
Alors que l'île tout entière fait face à des destructions massives, le secteur agricole doit se relever au plus vite. "Nous avons seulement deux mois pour pouvoir replanter", insiste le président de la chambre d'agriculture, également pépiniériste. La saison des pluies, indispensable au développement des végétaux, n'est que de courte durée sur cet archipel de l'océan Indien. "Si on rate ces deux prochains mois, c'est foutu", résume Ange Dusom.
Avec les autres syndicats agricoles, il tente d'acheminer au plus vite des semences sur l'archipel. Le Secours populaire est déjà arrivé sur place, début janvier, avec des graines de tomates, d'aubergines, de melons et de pastèques dans ses valises. "Il faut très vite être en condition de reprise d'activité, sinon on va perdre un cycle de production", explique Jérome Despey.
"Les agriculteurs ont mis des années à monter leur exploitation ici. En quelques heures, Mayotte a régressé de quinze ou vingt ans."
Ange Dusom, président des Jeunes agriculteurs d'outre-merà franceinfo
D'autres productions mettront plus de temps à renaître. "Il faut six mois à un plant de manioc et onze à douze mois à un bananier pour produire", rappelle Saïd Anthoumani. D'autant plus qu'à Mayotte, l'agriculture reste peu mécanisée par rapport au reste du territoire français. "Tout le monde n'a pas de tracteur pour replanter", pointe Ange Dusom. "Cela va être un travail de longue haleine, et on n'est pas à l'abri que des gens abandonnent, car ils n'ont plus la santé suffisante pour tout recommencer", redoute-t-il.
Un appel à la solidarité
Pour se relever, le secteur agricole mahorais en appelle à la solidarité nationale et européenne. Celle-ci s'est déjà déployée dans d'autres secteurs depuis le passage de Chido. "Comme les électriciens qui viennent de partout pour soutenir EDM [Electricité de Mayotte], des agriculteurs de toute l'Europe devraient venir ici pour soutenir les agriculteurs mahorais et travailler dans les exploitations !", réclame Fouad Ali, président du Mouvement de défense des exploitants familiaux.
La liste des doléances rédigée par les syndicats est longue. Fourniture de matériels, déplafonnement des aides, mise en place d'un délégué à la reconstruction, aides à la trésorerie… "Ce qui s'est passé est exceptionnel, alors il faut soutenir les agriculteurs de manière exceptionnelle", plaide Fouad Ali. Avec une priorité : inclure les infrastructures agricoles dans le plan de reconstruction de Mayotte. "La plupart des agriculteurs ne veulent pas de l'argent, ils veulent retrouver leur outil de production", assure Ange Dusom.
L'espoir de voir l'agriculture prise en compte dans la loi spéciale
Pour le moment, la réponse de l'Etat laisse craindre le pire aux professionnels du secteur. "A ce stade, il manque beaucoup de points et de volets sur l'agriculture", regrette Jérome Despey de la FNSEA. Lors de l'annonce du plan "Mayotte debout", l'agriculture n'a été évoquée que très brièvement et avec des mesures jugées insuffisantes par les différents syndicats. "On a le sentiment que les réponses étaient déjà scellées depuis Paris. Nous n'avons pas été suffisamment entendus", dénonce le président de la chambre d'agriculture, issu de la Confédération paysanne.
Tous espèrent désormais que la loi spéciale qui doit être débattue devant le Parlement mi-janvier sera plus ambitieuse pour ce secteur clé. "On va veiller à ce que l'agriculture soit traitée à part entière", prévient Jérome Despey. Le gouvernement et les parlementaires sont attendus au tournant. "Qu'il n'y ait pas juste des paroles, réclame son collègue des Jeunes Agriculteurs, Ange Dusom. Place aux actes ! Le temps est compté."