«On est très très fort pour tricher, donc on triche.» Des propos qu’on serait tentés d’attribuer à un élève, mais ils ont été prononcés par Julia Torlet, présidente de SOS homophobie, lesbienne revendiquée et professeur de lettres classiques. Dans un extrait vidéo relayé ce mercredi 17 septembre par plusieurs comptes sur le réseau social X, Julia Torlet livre ses conseils à une élève enseignante qui l’interroge sur la meilleure manière de faire du militantisme LGBT dans les salles de classe, malgré le devoir de neutralité auxquels sont soumis les professeurs, à l’instar de n’importe quel fonctionnaire.
On «peut aller plus loin» et «c’est ce qu’il faut faire» sur le programme Evars d’éducation à la sexualité, répond notamment Julia Torlet. La professeur de lettres classiques affirme aussi que «parler politique» est interdit, mais qu’il faut tourner le terme politique «dans le sens qui nous arrange». «Quand on nous dit ça dans la loi, c’est la politique politicienne. Ben on est prof, c’est pas nous.» Dans ce sens-là, un professeur peut tout à fait parler de son orientation sexuelle en cours, sous-entend Julia Torlet. «C’est comme ça qu’on impose les identités LGBTI dans la société», achève-t-elle.
Passer la publicitéPlusieurs comptes X ont d’abord affirmé que l’échange relayé sur les réseaux sociaux s’était tenu le week-end dernier lors de la fête de l’Humanité. Après vérification, l’extrait vidéo date en réalité du samedi 23 août et a été enregistré à Valence lors des universités d’été de la France insoumise, les «Amfis». La conférence, intitulée «Sous les paillettes, la précarité : la grande vulnérabilité sociale des personnes LGBTI» rassemblait la drag queen Emily Tante, la députée LFI Ségolène Amiot et Julia Torlet. La conférence complète a été enregistrée par la France insoumise et publiée sur Youtube. La vidéo relayée sur les réseaux sociaux donne seulement à entendre quelques extraits.
L’Evars ne va «pas du tout assez loin»
Le Figaro a retranscrit une version de l’échange plus complète. «J’adorerais pouvoir parler de ma bisexualité avec mes élèves», lance à l’adresse des conférenciers une jeune femme qui se présente comme «étudiante en master MEEF pour être professeure de SVT». «Le souci c’est qu’on me répète H24 en cours que le prof se doit d’être neutre politiquement et je sais très bien que l’Éducation nationale risque de me tomber sur le dos si je le fais», poursuit-elle, micro en main.
La jeune femme évoque aussi «l’Evars», le très controversé programme d’éducation à la sexualité mis en place dans les écoles à partir de la rentrée. Un programme qu’elle qualifie de «nul à chi*r» et n’allant «pas du tout assez loin». «Si on fait plus que ce qui est dans le programme de l’Evars actuel, l’Éducation nationale risque de nous tomber dessus», s’inquiète la professeur en formation. Elle demande donc aux conférenciers de lui partager des «techniques» pour «passer en soum-soum» (en sous-marin, secrètement, en douce - NDLR), afin d’évoquer ces sujets en dehors du cadre légal imposé par l’Éducation nationale.
«J’adore cette question», s’esclaffe Julia Torlet qui prend le micro pour lui répondre. La présidente de SOS Homophobie livre alors «deux conseils». D’abord, «décorréler visibilité et vie privée» car «c’est souvent là-dessus qu’on se fait attaquer, notamment par les parents». Julia Torlet explique que si ses élèves «savent» qu’elle est «lesbienne», en revanche, personne ne sait rien de sa vie privée, «si je suis en couple, avec qui, si j’ai des enfants».
«C’est comme ça qu’on triche»
Sans ambages, Julia Torlet encourage ensuite carrément la jeune à contourner insidieusement la loi. «Deuxième chose, on dit qu’il ne faut rien dire. Mais on est très très fort pour tricher, donc on triche», poursuit-elle. Sur la base d’une distinction hasardeuse, la présidente de SOS Homophobie prétend qu’afficher son orientation sexuelle ne relève pas de la politique politicienne. Donc la neutralité qui incombe au professeur est préservée.
Passer la publicitéJulia Torlet semble avoir parfaitement conscience de défendre un sophisme aussi hypocrite politiquement que contestable intellectuellement : «Oui, on n’a pas le droit en tant que fonctionnaire de parler politique. Mais ça n’est pas politique, dans le sens qui nous arrange. Évidemment que nos identités sont politiques, ben oui, évidemment. Sauf que, quand on nous dit ça dans la loi, c’est la politique politicienne. Ben on est prof, c’est pas nous. Donc ça nous arrange, voilà.»
La professeure de Lettres classiques livre ensuite une «petite astuce». «Moi j’ai jamais dit à mes élèves que j’étais lesbienne», explique-t-elle. Mais «j’ai des lacets arc-en-ciel» et «je vais en classe comme ça», dit-elle en montrant les signes militants qu’elle porte aux poignets. «Donc les élèves, c’est écrit sur moi. Voilà. Et c’est comme ça qu’on triche. Et c’est comme ça qu’on impose les identités LGBTI dans la société.» Sur l’Evars, qu’elle qualifie de «mauvais», Julia Torlet assure enfin qu’on «peut aller plus loin» et que «c’est ce qu’il faut faire». «Ne pas hésiter à passer par les postes de référents référentes égalité dans les établissements scolaires qui sont une vraie porte d’accès», conseille-t-elle.
Julia Torlet est présidente de SOS Homophobie depuis mai 2024. À Libération, elle affirmait en juin 2024 vouloir mettre «le combat pour les transidentités, l’encadrement d’une GPA éthique, la lutte contre la lesbophobie et la défense de la visibilité lesbienne» au cœur de son mandat. Un mandat qui s’exerce en grande partie à l’école, SOS Homophobie étant agréée par l’Éducation nationale au titre des associations complémentaires de l’enseignement public. Le 15 septembre, Julia Torlet signait par ailleurs une Tribune dans Libération intitulée «L’Éducation nationale ne veut pas voir les profs queer, alors montrons que nous existons» . Elle y reprenait plusieurs des idées développées lors de la conférence des Amfis, sans toutefois appeler les professeurs à jouer avec le cadre légal.