«Je peux avoir tendance à être trop généreux»: entretien avec Morgan Charrière, le Français qui monte à l'UFC
Votre dernier combat s’est soldé par une défaite à la décision contre Chepe Mariscal, récompensée par le bonus de combat de la soirée. Qu’en avez-vous tiré comme leçon ?
Morgan Charrière: Ce qu’on a essayé de retenir c’est que je peux avoir tendance à être trop généreux. Il faut que je sois capable de fermer plus les portes, empêcher l’expression du style de mon adversaire. Quitte à faire un combat un peu moins ouvert, mois enjoué, moins divertissant peut-être, pour assurer la victoire et éviter les décisions où ça peut pencher d’un côté ou de l’autre. Maîtriser le combat de bout en bout. La générosité ça fait des combats fous pour le public, mais je dois être capable réfréner ça, et ne pas laisser de place à l’expression de mon adversaire.
Votre générosité se situe dans le volume de coups, qui donne des ouvertures ?
Disons que c’est plus accepter de faire des échanges alors que je pourrais rester à distance, et travailler de la façon dont je sais le faire avec mes armes. Ne pas accepter d’entrer dans un jeu dont je n’ai pas envie, ou dans lequel je n’ai rien à gagner. Si on prend le combat contre Chepe Mariscal, je lui ai donné un combat dans lequel il pouvait s’exprimé, alors que j’aurais pu l’en empêcher.
Ça ne change pas dans votre préparation physique ou tactique, mais plus sur le mental ?
Oui, l’objectif c’est de pouvoir m’en tenir à la tactique et le plan de jeu prévus. Mentalement, je ne dois pas me laisser prendre par le combat, pour maîtriser les échanges et le rythme.
Le public parisien vous apprécie beaucoup mais a de grandes attentes. Il pousse les combattants à attaquer pour finir leurs adversaires. Cette ferveur peut-elle être traître ?
Justement j’ai très bien réussi lors de mon premier UFC Paris (septembre 2023, NDLR) à garder cette version de moi-même, plus dangereuse pour mon adversaire, et moins dangereuse pour moi. J’avais «fermé le discours», il n’y avait que moi qui m’exprimais et mon adversaire n’arrivait pas à faire ce qu’il voulait. J’ai eu plus de mal à le faire avec Chepe Mariscal. Là on a travaillé pour y revenir.
Est-ce que vous avez senti un cap de niveau entre vos premiers combats à l’UFC et vos précédents combats au Cage Warriors ?
Non, pas vraiment. Au Cage Warriors j’ai combattu du début à la fin exclusivement en événement principal, ou co-événement principal. J’étais dans le top cinq des meilleurs de la catégorie. J’ai fait quatre ou cinq combats pour la ceinture. Des combats de vingt-cinq minutes contre la crème de la crème en Europe : que des combattants qui pouvaient signer à l’UFC. J’y ai fait des combats plus durs que mes deux combats ici. Donc non, je ne suis pas surpris du niveau.
Est-ce que vous avez une pression concernant votre prochain contrat à l’UFC, ou est-ce que vous êtes serein, en particulier grâce aux bonus ?
C’est une pression que je ne me mets pas. Mais effectivement je suis à une victoire et une défaite. Même si j’ai pris deux bonus, il ne faut pas avoir une défaite sur ce troisième combat parce que ça fait quand même enchaîner deux cases rouges. C’est important d’avoir une série de victoires. Autant ne pas prendre une défaite bête.
Comment se passe votre préparation ?
Tout se passe bien, il n’y a pas de bobo. Il y a évidemment un réajustement puisque j’ai changé d’adversaire, mais on a beaucoup de gens dans cette salle. Je peux tourner facilement des gabarits différents pour s’adapter à de nouveaux adversaires. On n’a eu besoin de ne ramener personne, on a un vivier à l’US métro qui est assez large. Le mercredi il y a des gars d’autres clubs qui peuvent passer, ce qui permet de tourner avec d’autres partenaires d’entraînement. Le poids va bien, pas de problème !
Est-ce qu’il y a eu une évolution physique pour ce combat ?
Je pense que ça va être relativement pareil que Vegas. J’avais fait un bon «cutting». J’étais rentré dans la cage bien en chair. Je vais essayer de faire quelque chose de similaire. D’autant que mon adversaire arrive en «short notice», il aura du mal à faire le poids. Ça veut le coup d’être un peu plus lourd que d’habitude, au cas où.
Qu’est-ce que vous pouvez dire de votre adversaire Gabriel Miranda ?
Il n’a que deux combats à l’UFC, mais il y a déjà beaucoup de données dans celui qu’il a fait contre Benoît Saint-Denis. Il y a aussi beaucoup de données sur les combats qu’il a faits avant de signer. J’ai de quoi, avec mon expérience, comprendre quels dangers il représente et quelles sont ses forces. Je sais bien vers où il va essayer de m’emmener, d’autant plus qu’il n’a pas beaucoup de temps pour préparer le combat : il va miser ses forces.
Comptez-vous capitaliser sur vos qualités propres, ou sur les failles de votre adversaire ?
Sur mes qualités. Tout en ayant en tête ce qu’il veut faire pour pouvoir le contrer et le chambouler mentalement. Je veux imposer mon jeu et l’obliger à faire des erreurs. Il est moins bon en percussions que Manolo Zecchini, mais il est très opportuniste sur la lutte et les finitions, il faudra y faire très attention, surtout au premier round. Mais je pars pour finir ce combat avant la limite.
Est-ce que face à cet adversaire qui a un bon niveau de sol, vous vous entraînez plus sur la défense de lutte, ou sur la défense de sol et les relevés ?
Son sol ne me fait pas peur. Je ne trouve pas qu’il ait un très haut niveau, et que si l’on tombe dans sa garde on va forcément se faire soumettre. Il est juste très opportuniste sur deux ou trois attaques d’étranglement qu’il maîtrise très bien. En dehors de ça il n’y a pas de danger immédiat. Il sera dangereux sur des phases d’explosion, où il est bagarreur, et où il peut prendre la tête bêtement sur une amenée au sol. Mais si je fais attention il ne m’emmènera pas au sol. Je peux lutter, «stricker» ou faire du sol avec lui ; le combat part plus dur pour lui que pour moi. Je ne sais pas quelle ceinture il a, mais je suis ceinture noire de lutte livre ; je ne viens pas de commencer !
Est-ce que vous vous sentez bien à l’aise en lutte gréco-romaine, et en travail contre la cage ? Lors du combat contre Chepe Mariscal,, il y a eu de la boxe sale en sortie de clinch...
Le «dirty boxing» était plus à l’initiative de Chepe Mariscal que de moi. Il mettait beaucoup de pression pour me coller contre la cage. Mais ensuite, toutes les tentatives d’amenée au sol viennent de moi. C’est justement un exemple que je l’ai laissé s’exprimer alors que j’aurai pu couper cette conversation bien avant. En gréco je suis très à l’aise.
On s'entraîne comme on combat. On doit donc essayer de finir son « sparring spartner » à l'entraînement, ce qui est toujours un peu difficile parce qu’on ne veut pas blesser
Morgan Charrière
Est-ce que le fait de vouloir terminer un combat change quelque chose à l’entraînement ?
Oui, parce qu’on s’entraîne comme on combat. On doit donc essayer de finir son «sparring spartner» à l’entraînement, ce qui est toujours un peu difficile parce qu’on ne veut pas blesser ou mettre KO un partenaire. Mais il faut que l’intensité y soit, au moins mentalement, pour pouvoir sentir et saisir les opportunités en combat. Si l’on sent que l’on touche, qu’on sent le goût du sang, qu’il est temps d’accélérer.
Quand on tente une combinaison, un crochet au foie, qu’on égrène les armes, et que l’adversaire encaisse indéfiniment, comment on reste dans le combat mentalement ?
Il faut essayer d’être lucide, de retoucher, et de se dire que même si l’objectif est la finition et qu’elle ne fonctionne pas, quand on touche on marque des points et on avance vers la victoire. On gagne le combat quand on est lucide. Il faut se remobiliser et continuer pour la décision si le mec est trop solide pour se laisser finir.
Vous qui êtes dans le circuit depuis longtemps, est-ce que vous sentez le MMA français se développer, et le regard sur les Français changer ?
À chaque fois que l’UFC vient à Paris, le MMA prend un niveau en plus en France. Il y a cette sensation à chaque rentrée qu’il y a de plus en plus de jeunes, que leur niveau est de plus en plus fort, qu’ils savent de plus en plus de quoi ils parlent. Le public est de plus en plus nombreux, et c’est un public averti qui comprend se qui se passe. Notre public français est très intéressé, il regarde beaucoup de contenu. C’est ce qui fait qu’on se retrouve avec des UFC où l’ambiance est incroyable. Le niveau français monte ; je trouve que les Français de l’UFC prennent beaucoup de victoires, et qu’il y a une grosse attente derrière nous. On pousse pour avancer, pour nous et pour les générations futures. On ouvre plus grande la porte comme les générations précédentes l’ont faite pour nous, sauf que la mienne est diffusée sur de très grandes audiences.
Il y a cette sensation à chaque rentrée qu'il y a de plus en plus de jeunes, que leur niveau est de plus en plus fort, qu'ils savent de plus en plus de quoi ils parlent
Morgan Charrière
Vous avez des contacts avec les autres combattants ?
Oui ! Ça dépend desquels, il y en a dont je suis plus proche et avec lesquels je communique souvent, d’autres moins. Mais globalement c’est cordial. Les Français qui combattent dans les plus grandes organisations mondiales se connaissent à peu près tous et échangent entre eux.
Est-ce que vous avez réussi à apaiser votre relation avec les réseaux sociaux ? Ils vous ont permis de réussir, mais auraient aussi pu vous tuer...
Apaiser c’est bien le mot. Je suis un peu moins présent. C’est toujours moi qui gère tout, parce que je trouve ça très important, mais je passe beaucoup moins de temps. Je produis du contenu, mais je ne vais plus en consommer. Je ne vais pas regarder ce qui se dit sur moi. Même les commentaires je ne vais plus les regarder, pour vivre ma vie tranquillement. Je mets ce que j’ai envie de mettre, je réponds un peu, mais je ne vais pas plus loin. La vie tranquille en dehors des réseaux me va beaucoup mieux.
Est-ce que vous commencez à vous faire une idée de votre niveau parmi les autres 66kgs, et jusqu’où vous pourriez aller ?
C’est difficile de répondre à cette question, parce que ça dépend vraiment des affiches. Il y a des adversaires que je peux croiser sur ma route, qui ne sont pas dans le top quinze mais qui sont extrêmement forts, et inversement d’autres qui seront plus faciles pour moi mais mieux classé. Ça dépend beaucoup du style.
Je pense que je suis compliqué à aborder et qu’il faut venir bien affûté et avec un bon plan de jeu pour me battre, sinon ça va être une très longue soirée pour mon adversaire. Ou très courte. (Rires). Je fais partie des combattants de la catégorie pénibles à affronter ; tant que je ne suis pas classé il n’y a pas beaucoup de gains à m’affronter mais beaucoup de risques. Personne n’a réussi à me finir. Je suis dur, on verra où ça va me mener. Je fais attention à y aller combat par combat, et ne pas me voir trop haut trop vite au risque de me décevoir.
Comme n'importe quel combattant, j'ai droit à une construction de carrière
Morgan Charrière
Est-ce difficile de vous trouver des adversaires ?
Oui, très. Au vu de mon style et des combats que j’ai eus avant, on veut me tester et me mettre contre des gars qui sont extrêmement forts. Mais comme n’importe quel combattant, j’ai droit à une construction de carrière. Or, dès qu’on veut construire et prendre des adversaires qui sont stylistiquement bons pour moi, et où l’adversité est bien dosée, les adversaires refusent, se blessent, ne viennent pas, changent d’avis. Je suis déjà à deux annulations à l’UFC... C’est quelque chose qui arrive beaucoup avec mon profil, et ça peut rendre tout ça un peu plus difficile pour mon manager.
Mais quand même, j’ai l’impression que ce qu’on me donne à l’UFC est équilibré. Ils ne m’envoient pas à la guerre pour m’user, et me font monter étape par étape. Je crois qu’il y a un plan derrière moi. À moi de passer les étapes. Je ne suis pas pressé, je suis encore jeune. D’ici deux ans, je commencerai à avoir des combats vraiment très intéressants : d’ici là je veux être bien installé, avoir pris mon temps, que mon nom commence à être connu. Le but c’est de faire une vraie carrière à l’UFC, pas une étoile filante. De dire «je suis le meilleur», avoir tout de suite de gros noms, des décisions qui passent à pas grand-chose, que je me blesse... Je veux construire.
Qui sera dans votre coin samedi ?
Johnny (Frachey, NDLR) mon «head coach», Karim mon professeur de pieds-poings, et Rémi mon préparateur physique.