Un soldat ukrainien près de Tchassiv Iar : "Il n’y a plus une seule maison qui tient debout"
Selon Kiev, c’était l’un des objectifs de Moscou à atteindre avant la fête de la victoire du 9 mai. Située dans l’oblast de Donetsk, à 11 kilomètres à l’ouest de Bakhmout, la ville de Tchassiv Iar concentre une part importante des efforts russes.

Ces dernières semaines, les troupes russes ont réalisé plusieurs avancées. Elles auraient commencé à pénétrer certains faubourgs de la ville. Situé à l’ouest de Tchassiv Iar et tombé aux mains des russes le 10 avril, le village d’Ivanivske constitue une prise de guerre marquant une étape importante pour la reconquête russe de la ville.
Le canal éponyme de Tchassiv Iar constitue une ligne de front précaire, d’autant plus qu’il ne borde pas l’ensemble de la ville Tchassiv Iar, car il est en partie souterrain.
Окупанти зруйнували міст через канал "Сіверський Донець-Донбас" на околицях Часів Яру,Донеччина pic.twitter.com/fMWYykxGNk
— Мисливець за зорями (@small10space) May 4, 2024
Si la situation n’est pas à son avantage, l’armée ukrainienne avait pourtant enregistré quelques succès dans la zone. Le 17 septembre 2023, les Ukrainiens avaient annoncé la prise du village de Klichtchiïvka, situé à 10 kilomètres au sud-ouest de Tchassiv Iar. Une victoire qui permettait de menacer la ville de Bakhmout reprise au mois de mai par le groupe paramilitaire Wagner.
Depuis, le village de Klichtchiïvka est devenue le principal frein à l’avancée des Russes dans la région de Tchassiv Iar.

"Nous passons nos journées à nous cacher dans les tranchées et dans des galeries d’irrigation souterraines à cause des drones"
La rédaction des Observateurs a pu entrer en contact avec Lesik, un soldat ukrainien membre de la défense territoriale qui a combattu dans le village de Klichtchiïvka et est mobilisé dans la région. Lesik est fantassin. Dans son unité, il occupe le poste de "medic" : en cas d’urgence, c’est lui qui prodigue les premiers soins à ses camarades.
À cause des drones, nous passons nos journées à nous cacher dans les tranchées et dans des galeries d’irrigation souterraines. On a peur de passer notre tête au-dessus des tranchées car on risque d’être repérés. Si on doit se déplacer à l’extérieur, on le fait au coucher ou au lever du soleil parce que le changement de luminosité nous cache des drones.
Le plus dur, c'est la logistique et le ravitaillement, parce qu'on est visibles en mouvement. Une grande partie de nos pertes ont lieu pendant la relève des troupes dans les tranchées. En effet, les drones permettent de voir une zone de 15 kilomètres derrière les lignes ennemies. Dans ce périmètre, tout est visible et n’importe qui peut constituer une cible. On a certes des engins de neutralisation des drones, mais tout mouvement reste risqué. On est obligés de se déplacer en petits groupes de deux personnes.
Je suis "medic". Pour moi, le plus risqué, ce sont les évacuations de soldats blessés, qui se déroulent le plus souvent en véhicule. Pour les Russes, un transport BMP [véhicule de transport de troupes de l’époque soviétique en dotation dans l’armée ukrainienne, NDLR] est une cible de choix, plus qu’un grand groupe de fantassins. Des fois, nous ne pouvons pas évacuer les blessés, je dois donc les maintenir en vie pendant plusieurs jours. C’est un vrai défi car les tranchées sont très sales.
Le type de blessures que je soigne le plus souvent sont dues aux éclats d’obus ou de mortiers et aux tirs de petits engins explosifs largués depuis des drones. Il y a aussi des tirs par balle, car nous devons souvent nous défendre des assauts russes. Il y a donc beaucoup de combats rapprochés à portée de fusil et de grenade. On a aussi souvent des commotions cérébrales causées par les traumatismes des combats.
"Il n'y a plus un seul civil dans ce village, cet endroit est mort"
Lesik décrit une zone ravagée par les combats, où les civils se font rares et où les seuls habitants encore sur place sont parfois un fardeau pour les combattants :
Vous devez comprendre qu’il n’y a plus une seule maison qui tient debout à Klichtchiïvka [...]. Il n'y a plus un seul civil dans ce village, cet endroit est mort. On m’a dit qu’il y avait encore quelques civils vers Tchassiv Iar et dans d’autres villages de la région. C’est une guerre où les villes sont totalement détruites par l’artillerie. Comme j’ai pu le voir à Bakhmout il y a un an, beaucoup de civils qui sont restés sur place sont morts. Vous savez, je n’ai pas beaucoup d’affection pour la police, mais ils devraient forcer les civils à évacuer de ce type de lieux, pour eux comme pour nous. J’ai déjà dû soigner des civils, mais nous n'avons pas forcément les moyens de leur prodiguer les soins adéquats. Pour moi, il faut qu’ils partent.
People who live without hope for tomorrow
— ✙ Constantine ✙ (@Teoyaomiquu) May 7, 2024
We see them, the Russians see them. These people still remain in the city - they plant gardens and carry water home between shelling.
At first, every house, every window is someone's life, warmth, children's laughter and years spent in… pic.twitter.com/d2ajz9ulz8
"Aucun des deux camps ne peut rassembler suffisamment de forces pour percer la ligne de front"
Dans cette guerre de positions, la puissance de feu fait loi. C’est à celui qui sera capable de maintenir l’infanterie adverse le plus longtemps sous pression afin qu’elle ne puisse repousser des assauts ou passer à l'offensive. De ce point de vue, les Russes peuvent être avantagés, comme l’explique un membre du groupe d’enquêteurs spécialisés dans le suivi du conflit ukrainien Ukraine Control Map , qui a requis l’anonymat :
Les combats reposent en grande partie sur l'usure : aucun des deux camps ne peut rassembler suffisamment de forces pour percer la ligne de front. Les forces ukrainiennes tiennent actuellement la zone et ont repoussé de nombreux assauts russes, mais nous pensons qu’elles n’ont pas l’équipement, les munitions ou la main-d’œuvre pour arrêter un assaut mécanisé important. Cependant, vu l’état médiocre du parc de blindés russes, ce sera sûrement un grand assaut d’infanterie plus qu’une large colonne de véhicules.
Les principales armes utilisées par les forces russes dans ce secteur sont donc l’artillerie et les frappes aériennes. Les avions russes tirent généralement des bombes planantes. Ces munitions ont une portée de 80 kilomètres, elles peuvent être tirées loin des défenses aériennes ukrainiennes. L'Ukraine n'a actuellement aucun moyen de contrer ces attaques, et c’est seulement le faible niveau de préparation des avions russes qui empêche les frappes aériennes de submerger les défenses de leurs adversaires.
Videos from the past two weeks showing reported Russian FAB-250 and FAB-1500 UMPK, UK RBP Grom, and artillery or S-8 strikes in the Chasiv Yar area. 3/https://t.co/SwjARVfCbxhttps://t.co/kYyCNL9celhttps://t.co/Kl4rd8oyzBhttps://t.co/3nLAK5tDBUhttps://t.co/eAX8hiZDAA… pic.twitter.com/Z8DyFJrIND
— Rob Lee (@RALee85) April 18, 2024
Lesik, lui aussi, ressent le manque de ressources de l’armée ukrainienne :
Les Russes ont plus d’hommes, plus de munitions, plus de matériel [...]. Pour l’instant, nous arrivons à repousser leurs assauts. Mais je ne pense pas qu’ils vont reprendre Tchassiv Iar, c’est une ville très urbanisée qui pourra se transformer en vraie forteresse.
Temporairement en permission à Kiev, Lesik s’apprête à repartir sous peu pour le front.
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