Haïti : pas de mémoire sans justice
La France – et la République – ont aujourd’hui une responsabilité dans le désastre économique que connait Haïti. En 1825, la monarchie française envoyait une flotte de guerre pour rançonner Haïti et l’obliger à verser un tribut aux anciennes familles d’esclavagistes, à leurs descendants, ainsi qu’aux banques françaises jusqu’en 1953. Ce faisant, la France ralentissait considérablement le développement de l’île tout en posant les bases d’une relation néocoloniale qui sera ensuite copiée un peu partout dans le monde.
Cette rançon inédite exigée à l’ancienne colonie française dont le seul crime était d’avoir pris son indépendance 21 ans plus tôt, représentait alors trois années du budget du jeune État. Elle était destinée à indemniser les esclavagistes et les propriétaires de terres. Cette infamie de la monarchie de Charles X ne fut pourtant pas corrigée par l’avènement de la République, qui laissa la classe dominante haïtienne exploiter les paysans pour dégager de quoi rembourser les intérêts des emprunts contractés auprès des banques françaises pour payer la rançon.
Au regard de la responsabilité de la France dans la situation économique actuelle à Haïti et à l’occasion de la commémoration du 221e anniversaire de l’indépendance d’Haïti (le 1er janvier 2025), le conseil présidentiel de transition a appelé la France à fournir des réparations. En février de la même année, les chefs de gouvernement des États de la Communauté des Caraïbes (CARICOM) ont convenu de demander la même chose.
Si la responsabilité du sous-développement de l’île est évidemment partagée avec d’autres pays Occidentaux, notamment les États-Unis, e le ne saurait se limiter à la reconnaissance d’une dette morale. L’évaluation du préjudice économique qu’a subi Haïti du fait de cette « double dette » odieuse française pourrait attendre 30 milliards d’euros.
À l’occasion du bicentenaire de ce brigandage d’État, le Président de la République Emmanuel Macron a fait un premier pas, timide. Il a annoncé la création d’une commission mixte franco-haïtienne chargée d’examiner cette question. Si nous soutenons le travail d’une telle commission, il ne peut être question que la France se limite à un simple travail mémoriel.
Le 21 avril dernier, Mme María Isabel Salvador, Représentante spéciale du Secrétaire général pour Haïti et cheffe du Bureau intégré des Nations Unies à Haïti lançait un appel à la communauté internationale et alertait sur l’existence du risque que le délitement de l’État haïtien atteigne un point de non-retour. Rien qu’en février et en mars de cette année, plus de 1000 personnes ont été tuées alors que 60 000 déplacés sont venus s’ajouter au mi-lion déjà dans cette situation. La guerre des gangs met en danger la viabilité de l’État alors que 39 établissements de soins et plus de 900 écoles ont dû fermer à Port-au-Prince.
L’ONU est pourtant présente dans le pays pour soutenir un processus de transition dans lequel des élections devraient être organisées d’ici février 2026. Une force de police de l’ONU, la MMAS, composée principalement de policiers kenyans et d’Amérique latine doit assurer le bon déroulement du processus. Mais l’aggravation de la situation sécuritaire sur le terrain invite à l’augmentation des moyens financiers et matériels de cette mission.
Il est du devoir de la France de répondre positivement à l’appel de la représentante spéciale de l’ONU, dans le respect absolu de la souveraineté haïtienne. Certes, les initiatives portées par des institutions internationales telles que l’Organisation des Nations Unies (ONU) ou la Communauté des Caraïbes sont aujourd’hui perçues par une grande partie du peuple haïtien comme des ingérences étrangères. La défiance envers les troupes étrangères, d’où qu’elles viennent, s’est consolidée au fil des scandales qui ont éclaboussé les casques bleus déployés dans le pays ces trente dernières années. Cette défiance légitime ne doit pour autant pas justifier l’inaction de la France. Notre responsabilité historique nous réclame d’agir en bonne entente avec la société civile haïtienne pour mener à bien le processus démocratique en cours. À court terme, le meilleur moyen est de répondre à l’appel de la représentante spéciale de l’ONU. La MMAS a besoin d’hélicoptères, de véhicules et d’équipements. La France doit les fournir dans les plus courts délais.
Nous avons une occasion historique de soutenir concrètement la population d’Haïti, dont une partie des malheurs nous est imputable. Une fois le processus démocratique bien enclenché, et parallèlement au travail mémoriel que la France doit mener, la question des réparations nécessitera une reconnaissance morale et matérielle. Il nous faudra alors nous engager dans des programmes de développement pensés par et pour les Haïtiens et ne pas reproduire de vieux réflexes colonialistes.
La France ne doit pas tergiverser devant sa responsabilité historique, elle doit agir concrètement aux côtés de la communauté internationale et apporter tout son soutien, matériel, financier et diplomatique pour que le peuple d’Haïti puisse retrouver la paix. Haïti mérite un avenir digne, libre et éclairé.
Avant de partir, une dernière chose…
Contrairement à 90% des médias français aujourd’hui, l’Humanité ne dépend ni de grands groupes ni de milliardaires. Cela signifie que :
- nous vous apportons des informations impartiales, sans compromis. Mais aussi que
- nous n’avons pas les moyens financiers dont bénéficient les autres médias.
L’information indépendante et de qualité a un coût. Payez-le.
Je veux en savoir plus