Astrophysique : l’astéroïde Bénou a-t-il contribué à développer la vie sur Terre ?

Retour en arrière. En 2016, la Nasa lance une sonde spatiale, Osiris-Rex, pour aller analyser un astéroïde de type B, riche en carbone et en minéraux argileux hydratés, situé à environ 320 millions de kilomètres de la Terre. Cet astéroïde de quelque 525 mètres de diamètre, découvert en 1999, est nommé Bénou (Bennu en anglais) d’après le nom d’un oiseau de la mythologie égyptienne.

En octobre 2020, le vaisseau spatial Osiris-Rex se pose à la surface de Bénou et, à l’aide de son bras robotique, il collecte des poussières et des échantillons du sol, avant de les rapporter sur Terre. Après un périple de plus de 6 milliards de kilomètres, la capsule contenant les échantillons est récupérée dans le désert de l’Utah, aux États-Unis, en septembre 2023. Tout ça pour ramener 121 grammes de poussière noire ! En fait, c’est un véritable trésor qui est aussitôt partagé avec des scientifiques du monde entier pour étudier les matériaux prélevés sur Bénou.

« Des perspectives uniques sur la composition des astéroïdes »

Neuf ans après l’envol d’Osiris, les premiers résultats scientifiques viennent d’être livrés dans deux études réalisées par des équipes internationales. L’une, consacrée à la chimie minérale, est publiée dans la revue Nature, et l’autre traite, dans Nature Astronomy, de la chimie organique révélée par les échantillons de Bénou.

Et les deux convergent vers une découverte essentielle : « La mission Osiris-Rex représente une avancée scientifique majeure dans notre compréhension du système solaire et de l’origine de la vie, commente Guy Libourel, cosmochimiste, professeur à l’université Côte d’Azur et coauteur de l’article de Nature. L’analyse de ces échantillons offre des perspectives uniques sur la composition des astéroïdes les plus primitifs et sur les processus qui ont façonné notre système solaire. »

En effet, les astéroïdes permettent de remonter le temps et de préciser l’évolution du système solaire primitif, il y a environ 4,5 milliards d’années, car leurs composants minéraux et organiques renseignent sur la température, la pression et la présence éventuelle d’eau.

De précieux échantillons préservés de toute contamination terrestre

Pour livrer leurs secrets, les débris de Bénou ont été minutieusement préservés de toute contamination physique ou chimique terrestre. Certains de leurs composants sont très fragiles, notamment les sels, qui se dégradent au contact de l’atmosphère terrestre. « Les échantillons prélevés ont permis d’étudier l’astromatériau carboné vierge, insistent les auteurs de l’article de Nature Astronomy, sans exposition incontrôlée à la biosphère terrestre. »

Les deux études révèlent que Bénou est riche en sels et en composés organiques dont la combinaison pourrait constituer des briques de la vie sur Terre. En effet, à l’intérieur des particules de poussière, se trouvent de minuscules cristaux de minéraux salins, des carbonates, des phosphates, des sulfates, des chlorures et des fluorures de sodium, qui, sur Terre, accélèrent les réactions chimiques permettant l’émergence de la vie.

Les analyses des échantillons ont mis en évidence une altération aqueuse omniprésente sur Bénou, astéroïde qui est un amas de débris formé au cours des 65 derniers millions d’années. Cette métamorphose ne s’est pas produite sur lui, mais sur son astéroïde parent plus grand, dont il est issu, et datant du début du système solaire.

Pour procéder aux analyses minéralogiques, l’équipe de scientifiques du CNRS et de l’université Côte d’Azur a utilisé des techniques avancées comme la cathodoluminescence, « un phénomène optique, raconte Guy Libourel, qui se produit lorsqu’un matériau est bombardé par un faisceau d’électrons, entraînant l’émission de lumière. L’analyse des différentes longueurs d’onde des photons émis fournit des informations chimiques et structurales très précises, révélant des variations infimes que d’autres techniques microscopiques ne permettent pas de détecter ».

Des éléments essentiels à la formation de la vie

Quant aux éléments organiques retrouvés sur Bénou, ils comprennent des milliers de molécules différentes contenant du carbone, de l’hydrogène, de l’oxygène et de l’azote. Parmi elles, se trouvent 14 des 20 acides aminés nécessaires à la vie terrestre. « Nos collègues chimistes organiciens, précise Guy Libourel, ont révélé la présence d’une riche diversité de molécules organiques dispersée dans les échantillons de Bénou, comme de nombreux acides aminés essentiels à la vie, ainsi que les cinq nucléobases fondamentales – adénine, guanine, cytosine, thymine et uracile –, des composants essentiels de l’ADN et de l’ARN»

Dès lors se pose la question majeure : est-ce que les saumures ont fourni un environnement favorable à l’apparition des molécules organiques et à l’assemblage d’éléments constitutifs de la vie ? En effet, si l’on associe « la présence de composés organiques complexes à la « séquence évaporitique » (mélange de minéraux et de sel produisant des éléments chimiques à la source d’acides aminés – NDLR) et à des minéraux argileux et carbonatés, cela fait de Bénou un candidat prometteur pour l’étude de l’origine de la vie », explique Guy Libourel.

Cette découverte semble conforter l’hypothèse selon laquelle les astéroïdes ont pu livrer, en s’écrasant sur la Terre il y a des milliards d’années, les ingrédients du vivant. Mais, attention, met en garde le cosmochimiste : « S’il est possible que des impacts d’astéroïdes sur la Terre primitive aient apporté ces éléments, créant ainsi les conditions favorables à l’émergence de la vie, il est toutefois impossible d’affirmer à l’heure actuelle que les astéroïdes sont à l’origine de la vie sur Terre. »

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