Un missile nucléaire intercontinental provoque une explosion sur une base militaire russe
C’est un incident rare observable uniquement depuis le ciel, comme le montrent beaucoup d'images satellites relayées sur les réseaux sociaux : le programme de missile nucléaire russe Sarmat vient de connaître un nouvel échec. Également appelé RS-28, ce missile dispose d’une portée de 15 000 kilomètres et peut emporter avec lui une quinzaine de têtes nucléaires.
Le 20 septembre, une source de chaleur inhabituelle pour le nord de la Russie apparaît sur l’écran des satellites de détection des incendies de la Nasa. Trois épais points rouges désignent un départ de feu. Le lendemain, ils sont toujours visibles.

Les points de chaleur désignés par les satellites de la Nasa indiquent qu’un incendie s’est déclaré sur un site de lancement des satellites militaires russes, à Plesetsk, un lieu hautement sensible.

Sur d’autres images fournies par les satellites de la mission Sentinel, on observe la présence de flammes, le 20 septembre.

Des images satellites de meilleure qualité fournies par l'entreprise Maxar permettent de constater l’ampleur des dégâts provoqués par l’incendie.

Sur X, des analystes indépendants ont commenté l’incident. La présence d’un large cratère - qui mesurerait une soixantaine de mètres de large selon l'analyste à l’Institute for the study of war (ISW) George Barros - accrédite la thèse d’une puissante explosion. Les dégâts considérables à l’image témoignent de la violence du choc : un bâtiment a été fortement touché, les antennes ont été rasées et le silo central est totalement détruit.
Toutes ces images satellites ont été publiées sur les réseaux sociaux à peine quelques heures après les premières traces de chaleur sur la zone. Une réactivité qui s’explique simplement : de très nombreux analystes et enquêteurs indépendants avaient les yeux rivés sur la zone.
“Les Américains déploient à chaque fois des avions de recueil de renseignements [...] ce qui est implicitement accepté par la Russie”
Dès le 16 septembre, des analystes spécialistes de la dissuasion nucléaire évoquent la mobilisation d'avions de recueil de renseignement américains pour le lancement du missile russe.
Le test était donc suivi de près par les États-Unis, qui avaient prépositionné en Alaska deux avions de renseignement de type Cobra Ball. Ces deux avions étaient observables en ligne sur des site de tracking comme FlightRadar24.
Pour l’analyste en système stratégiques Étienne Marcuze, c’est une pratique courante :
“Les Américains déploient à chaque fois des avions de renseignement, cela fait partie des pratiques courantes lors de ce type de test. C’est implicitement accepté par la Russie, car les avions de renseignement américains ne pénètrent pas dans son espace aérien. À chaque fois qu’une puissance procède à un test de ses missiles nucléaires, elle prévient ses pairs afin de ne pas déclencher leur système d’alerte. Bien sûr, ces vols sont l’occasion de recueillir du renseignement, mais on ne peut pas parler d’espionnage.
Autre détail qui permet de connaître l'objectif et la date du test : les zones d’interdiction de survol, appelées NOTAM pour NOtice To AirMen. En effet, les Russes ont émis des interdictions de vol pour tous les aéronefs qui auraient pu survoler les zones de décollage et d'atterrissage du missile. Autant de mesures de prévention qui ont permis aux analystes en ligne d’anticiper le test.
Pourtant, le jour du test de décollage du missile, les analystes observent un demi tour des avions de collecte de renseignement américains le jour même du test. En effet, le site de suivi Flight Radar montre bien le départ d’avion de type Cobra de leur base d’Elmendorf en Alaska, où ils étaient positionnés pour observer le test russe, pour la base aérienne d’Offutt dans l’État du Nebraska.

Un incident au décollage
Les images montrent que le silo d’où s’élance le missile a été considérablement endommagé. Selon l'analyste Étienne Marcuze, la première hypothèse serait celle d’un incendie déclenché pendant le décollage :
On aurait effectué un décollage proche de ce qu’on appelle une “éjection à froid”. C'est-à-dire que l’on va générer du gaz dans le silo pour propulser le missile, sans avoir à démarrer la propulsion de l’engin. Ensuite, il faut que le premier étage de la fusée s’allume, ce qui n’aurait pas eu lieu.
Une propulsion de missile, c’est comme une voiture : pour que le moteur marche, il faut un carburant qui est l’essence et le comburant qui est l’air. Pour un missile, on utilise de l’UDMH qui joue le rôle du carburant et le peroxyde d’azote comme comburant [une substance chimique qui permet la combustion d'un combustible, NDLR].
Le problème c’est que ces deux liquides - une fois associés - sont hautement inflammables. La première hypothèse serait donc que le missile n'ait pas réussi à allumer son moteur, soit retombé, entraînant ainsi la destruction du silo.
Selon Étienne Marcuze, un deuxième scénario est possible :
Il se pourrait également que le tir n'ait pas été effectué et qu’on ait tenté de vider le carburant. Ce serait à ce moment que l’explosion aurait eu lieu.
Dans tous les cas, il va leur falloir beaucoup de temps pour réparer le silo. Il faut qu’ils le reconstruisent en entier, cela leur avait déjà pris plusieurs années afin de l’adapter à des missiles de type RS-28. Ils vont possiblement devoir relocaliser leurs essais dans le sud du pays où il existe des sites de lancement adaptés en ce type d’équipement.
Selon Étienne Marcuze, la Russie est parfaitement au courant des effets indésirables d’une telle explosion. L’analyste s’est procuré une étude environnementale commandée par une municipalité russe proche du site.
Selon le document, il existe près de 1% de chance pour qu’une telle explosion se produise. Dans ce cas, la puissance de l’explosion serait équivalente à une charge de 21 tonnes de TNT.
Dans cette étude, un schéma a intéressé l'enquêteur. Selon lui, les concepteurs de ce schéma auraient sous-estimé la puissance de l’explosion. En effet, la zone de destruction symbolisée par un rond noir dans le schéma ci-dessous est largement inférieure à l’impact qui apparaît sur les images satellites.

“ Les Russes essaient de reprendre la main sur une technologie élaborée en Ukraine”
Si le RS-28 est un programme expérimental, ce missile intercontinental ne va pas pour autant révolutionner la dissuasion nucléaire russe, ajoute Étienne Marcuze :
Le RS-28 va remplacer le R36 qui remonte aux années 50. Il a été construit en Ukraine soviétique. Pour les Russes, il s’agit donc de retrouver cette technologie qu’ils ont perdu. Le RS-28 ne représente donc pas vraiment un bon technologique.
La construction du RS-28 a été officialisée pour le grand public en 2018, cela correspond à une période de renouvellement de l’arsenal nucléaire russe au moment où le pays ne craint pas de se faire supplanter par la dissuasion américaine. Mais ce missile n’a jamais eu vocation à incarner une rupture technologique, il s’agit plutôt de la continuation d’un programme classique.”
Si cet échec a fait jaser sur les réseaux sociaux, Étienne Marcuze met en garde :
Je ne suis pas de ceux qui minimisent les capacités nucléaires russes qui restent efficaces, ce serait une erreur de dire que la dissuasion russe ne fonctionne pas.
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