Droits TV de la Ligue 1 : un statu quo, un nouveau diffuseur, une chaîne lancée par la LFP... Quelle issue pour le football français ?

Au bout d'une journée rocambolesque, mardi 15 avril, le processus de médiation entre la Ligue de Football Professionnel et DAZN, diffuseur de la Ligue 1, n'a pas abouti. La LFP avait accepté la proposition du médiateur de rompre le contrat à l'issue de la saison, moyennant une indemnité de 110 à 125 millions d'euros payable en quatre fois. Mais DAZN, diffuseur britannique propriétaire des droits de la Ligue 1 jusqu'en 2029, a refusé.

"Je ne suis pas très positif. On est dans un cas unique avec deux parties qui se retrouvent devant le tribunal dès le début de l'exploitation du contrat. On ne peut pas dire que la confiance règne, et que la relation soit paisible et constructive. Ça ne sent pas bon", alerte Pierre Maes, spécialiste des droits TV. C'est donc dans ce contexte tendu que la LFP et son diffuseur vont devoir continuer à collaborer, en attendant de trouver une solution. Mais laquelle ?

Option 1 : DAZN reste diffuseur

Dans l'état actuel des choses, le contrat liant la LFP à DAZN jusqu'en 2029 pour 375 millions d'euros annuels tient toujours. Le diffuseur britannique est donc tenu de verser 70 millions d'euros le 30 avril, et la même somme le 30 juin pour honorer ses engagements. Le fera-t-il ? C'est toute la question. Mais d'ici là, la LFP, tenue par ce contrat, ne peut engager officiellement de pourparlers avec d'autres diffuseurs, que ce soit pour acheter les droits ou négocier l'hébergement d'une éventuelle chaîne produite par la LFP.

"La LFP ne va pas prendre le risque de contrevenir au contrat. Ce serait une erreur qui profiterait à DAZN, or il est certain que DAZN les attend au tournant, ils ne vont pas prendre de risque. De toute façon, soyons pragmatiques, il n'y a pas grand monde à aller voir chez les autres diffuseurs", pointe Pierre Maes.

Du côté de la Ligue, on n'écarte ainsi pas la piste de voir DAZN conserver les droits jusque la fin de saison prochaine, avant d'activer la clause qui permettrait au diffuseur britannique de rompre le contrat à l'issue de la saison 2025-2026. Seule condition pour cela : avoir moins de 1,5 million d'abonnés en décembre 2025. Pour le moment, même après avoir bradé son offre en s'associant avec une célèbre chaîne de fast-food, DAZN tourne autour de 700 000 abonnés.

Option 2 : le contrat est rompu, un autre diffuseur sort du bois

La médiation n'y est pas parvenue, mais un accord entre la LFP et DAZN est toujours possible, si les deux entités se mettent d'accord. Dans ce cas de figure, la Ligue pourrait alors négocier de gré à gré avec un autre diffuseur, pour ce cycle de droits TV qui court jusqu'en 2029. Mais lequel ? "Si DAZN part, il n'y a plus personne, c'est une première. Sortir du contrat DAZN c'est bien, mais c'est un saut dans le vide", prévient Pierre Maes.

"On ne voit pas d’autre diffuseur intéressé. C’est une situation particulière, même si partout en Europe, le nombre de diffuseurs intéressés est en baisse. Là, si DAZN part, aucun diffuseur ne va se positionner. C’est assez extrême, nouveau, mais c’est la réalité."

Pierre Maes, spécialiste des droits TV

à franceinfo: sport

Tous les regards se tourneraient vers Canal+. Mais la chaîne cryptée est toujours en conflit avec la LFP sur le précédent contrat, lorsqu'elle versait 332 millions pour deux matchs de Ligue 1, alors que Prime Video payait 250 millions d'euros par an pour les huit autres rencontres, dont l'affiche du dimanche soir. D'autant que Canal+ possède déjà un catalogue fourni, et cher, avec 75 millions d'euros par an pour la Premier League jusqu'en 2028, 480 millions d'euros annuels jusqu'en 2027 pour les Coupes d'Europe de football, 90 millions d'euros pour la Formule 1 jusqu'en 2029, sans oublier son accord de distribution exclusive de BeIN Sports contre 250 millions d'euros par an. 

De son côté, la chaîne qatarie - détentrice de l'affiche du samedi 17h - ne peut agir sans l'aval de Canal+, dont elle dépend pour être rentable, via l'accord de distribution exclusif. Sans oublier que le président de BeIN Sports se nomme Nasser Al-Khelaïfi, président du PSG, que l'on dit agacé depuis les accusations de conflits d'intérêts. Enfin, Prime Video n'a jamais rentabilisé son investissement sur le dernier cycle de Ligue 1, et n'a plus manifesté d'intérêt. 

Option 3 : la LFP lance sa propre chaîne... diffusée par Canal ?

Face à cette situation inédite, le projet de chaîne porté par la LFP tient de plus en plus la corde. De nombreux présidents de Ligue 1 y croient désormais, avec la volonté de réunir tout le football professionnel français sur une même chaîne, qui serait ensuite distribuée grâce à un partenaire. Le premier projet présenté l'été dernier en ce sens proposait ainsi un accord avec Warner Bros Discovery, qui aurait rendu la chaîne LFP accessible sur sa plateforme. Pour 28 euros, les abonnés auraient ainsi eu accès à la chaîne LFP mais aussi à tous les contenus de la plateforme Max/HBO.

"Une chaîne, ça coûte de l'argent, mais c'est facile à monter. Après, faire une chaîne rentable, c'est autre chose... Le défi serait colossal, parce qu'ils vont se retrouver face aux mêmes difficultés que DAZN. Mais ça semble être le seul chemin possible", analyse Pierre Maes, en rappelant que ce projet traîne dans les cartons depuis dix ans. "Les Ligues n'iront dans cette direction que lorsqu'il n'y aura plus de chaînes pour payer les droits TV. Parce que le système actuel, c'est un confort absolu pour les Ligues de laisser les chaînes tout gérer. La LFP va être la première ligue en Europe contrainte d'aller vers cette solution."

Inédit dans le football mondial, ce système est courant dans le sport américain, que ce soit en NBA, en NFL, MLB ou en NHL. "Toute l'Europe du foot business va regarder ça avec attention, mais lancer une chaîne, ça coûte de l'argent avant d'en remporter, ce qui est délicat pour les clubs. Sans oublier que la rentabilité est hypothétique. Les clubs passeront de recettes certaines à quelque chose qui coûte avant des revenus aléatoires", résume Pierre Maes.

Ironie du sort, cette chaîne produite par la LFP pourrait intéresser... Canal+. "Le groupe Canal est devenu, depuis des années, un agrégateur de contenus, qui veut proposer le plus possible sur sa plateforme. Si la Ligue lance sa chaîne, d'un point de vue stratégique, Canal+ voudra la diffuser", imagine Pierre Maes. Ce qui pourrait signer le retour de la Ligue 1 sur MyCanal (sa plateforme de streaming), sans que la chaîne cryptée ne paye les droits TV. Une thèse renforcée par l'arrivée de Nicolas De Tavernost à la direction de la société commerciale de la LFP, ex-président de M6, et réputé proche de Maxime Saada, président de Canal+.