C'est une petite phrase d'apparence anodine mais qui enterre de fait l'idée d'un Nutri-Score obligatoire partout en Europe. Le 24 mars 2023, le directeur général à l'Agriculture au sein de la Commission européenne Wolfgang Burtscher doit s'entretenir avec les responsables du groupe Schwarz, propriétaire des magasins Lidl. Lors de ce rendez-vous, la question sensible d'un logo nutritionnel harmonisé et obligatoire au sein des 27 doit être abordée. Pour préparer l'entretien, les services de la Commission ont résumé quelques "messages clés" dans une note interne. "La proposition de l'UE ne copie/collera aucun système existant", peut-on lire dans ce document obtenu fin 2024 par l'ONG Foodwatch et que la cellule investigation de Radio France révèle aujourd'hui.
Dans le paragraphe qui suit, la Commission précise : "Nous comprenons qu'un système d'évaluation (similaire à Nutri-Score) est facile à comprendre pour les consommateurs. La DG AGRI [direction générale de l'Agriculture] n'y voit pas d'objection." En clair, le futur logo européen pourrait ressembler au Nutri-Score, mais ce ne sera pas le Nutri-Score. "C'était politiquement trop sensible de proposer le Nutri-Score. Cela aurait été trop dur à avaler pour les Italiens", analyse Suzy Sumner, la responsable du bureau de Foodwatch à Bruxelles. Interrogée, la Commission répond qu'elle ne souhaite faire "aucun commentaire sur des documents qui ont fuité".
"Hypocrite et absurde"
Le concepteur du Nutri-Score, le professeur Serge Hercberg fulmine : "C'est totalement hypocrite et absurde. D'un côté, la Commission reconnaît l'intérêt du Nutri-Score basé sur la science, mais de l'autre, elle cède aux pressions des lobbys", en écartant ce logo. Surtout, estime Serge Hercberg, "scientifiquement parlant, cela n'a aucun sens. Si on change le format graphique, si on change quoique ce soit au Nutri-Score, il faut refaire les études qui valident le logo". Cela ferait perdre beaucoup de temps... Dans un dossier où la Commission joue clairement la montre.
Tout avait pourtant bien commencé. En mai 2020, dans le cadre de son ambitieux Pacte vert, la Commission européenne dévoile sa stratégie "Farm to fork", "de la ferme à la fourchette". Il est question de créer à l'horizon fin 2022, un logo nutritionnel harmonisé et obligatoire sur le devant des emballages (Front-of-pack nutrition labelling, ou FOPNL, en anglais). "La Commission a pris cette décision parce que l'étiquetage nutritionnel, et en particulier le Nutri-Score, prenait de l'ampleur au niveau européen", raconte Emma Calvert, la porte-parole du Bureau européen des unions de consommateurs (BEUC).
C'est en France, en 2017, que le Nutri-Score a été créé. Il a été mis au point par une équipe de chercheurs de l'université Sorbonne-Paris-Nord, sous la direction du professeur Serge Hercberg. Dans la foulée, il est adopté par cinq pays européens : l'Allemagne, les Pays-Bas, la Belgique, le Luxembourg, l'Espagne, auxquels s'ajoute la Suisse, tous séduits par sa simplicité d'utilisation et le consensus scientifique qui l'entoure. Grâce à ses cinq lettres (de A à E) et ses cinq couleurs (de vert à rouge), il permet de connaître en un clin d'œil la valeur nutritionnelle d'un produit (teneur en gras, sucre, sel...), là où auparavant il fallait déchiffrer un tableau écrit en tout petit à l'arrière des emballages.
Ses bénéfices en matière de santé sont étayés par près de 150 études. "Les personnes qui consomment en majorité des aliments avec un bon Nutri-Score ont moins de risques de développer des maladies chroniques, une maladie cardiovasculaire ou un cancer", explique Mathilde Touvier, directrice de recherches à l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), qui a participé à l'élaboration du Nutri-Score. Sauf que les marques sont libres de l'afficher ou pas. Seule l'Union européenne peut le rendre obligatoire. En France, 60% des produits vendus en supermarché affichent le Nutri-Score sur leur emballage.
Une campagne de lobbying très intense
En octobre 2021, les députés européens approuvent, dans son principe, l'idée d'un logo nutritionnel obligatoire. Mais depuis, la Commission n'a formulé aucune proposition législative. Rien n'a bougé, sauf en coulisses. "Une campagne de lobbying très intense s'est mise en place contre le Nutri-Score", témoigne Emma Calvert. Avec en première ligne, l'Italie et sa puissante industrie agroalimentaire, comme l'ont raconté nos confrères de Mediapart. "L'Italie avait peur du Nutri-Score, elle redoutait que ce soit ce label qui soit généralisé en Europe", se souvient Suzy Sumner de Foodwatch. "C'était le seul logo qui remplissait tous les critères que la Commission a formulés. Il est scientifique et basé sur 100 grammes de produit", là où l'industrie agroalimentaire préfère la notion de portion qui lui est plus favorable.
Parmi tous les labels nutritionnels existants en Europe (Traffic lights, Heart symbol, Keyhole...), le Nutri-Score fait figure de favori à Bruxelles. Mais plus pour longtemps. Les responsables politiques et les industriels italiens font pression sur la Commission et en particulier sur ses deux directions qui pilotent le dossier : la DG Agri et la DG Santé. D'ordinaire, ce genre de lobbying se fait en coulisses mais l'association Foodwatch, aidée du BEUC, est parvenue à obtenir des comptes-rendus de réunions de hauts-fonctionnaires de la Commission grâce à une fastidieuse procédure d'accès aux documents ("ask the EU").
Dix-sept réunions avec les intérêts économiques, seulement deux avec la société civile
"Ils ont eu 17 réunions avec des opposants au Nutri-Score ou des intérêts commerciaux et seulement deux avec la société civile", explique Emma Calvert qui a épluché tous ces comptes-rendus, réunis sous le nom de Nutriscore papers. "Ce qui est aussi surprenant, ajoute-t-elle, c'est de voir certains des arguments avancés lors de ces réunions. Par exemple, les Italiens ont dit qu'il n'y avait pas de preuves scientifiques derrière le Nutri-Score alors qu'en réalité, il n'y a pas d'étiquette nutritionnelle qui a autant de preuves scientifiques !"
Autre argument avancé par l'Italie : la généralisation du Nutri-Score risquerait d'entraîner "des difficultés économiques pour les producteurs de cacao dans les pays pauvres" et par conséquent, cela provoquerait "une hausse de l'immigration en Europe". "Voilà le genre d'arguments absurdes et extrémistes que l'on a entendus à propos d'un simple étiquetage nutritionnel de produits alimentaires", lâche Emma Calvert. Il faut dire que l'opposante numéro un au Nutri-Score n'est autre que la Première ministre italienne Giorgia Meloni. Issue du parti d'extrême droite Fratelli d'Italia, elle n'a eu de cesse de décrire le Nutri-Score comme une "folie", qui nuirait aux produits "made in Italy". "Notre gouvernement et nos industriels mentent en permanence quand ils parlent du Nutri-Score", dénonce le médecin nutritionniste italien Antonio Pratesi, contributeur régulier du journal indépendant Il Fatto Alimentare. "Ils affirment que c'est une multinationale de l'alimentation qui a créé le Nutri-Score afin de mettre un coup d'arrêt au 'made in Italy'. Mais c'est faux !, s'emporte-t-il. Ils prétendent aussi que le Nutri-Score est contre le régime méditerranéen et que l'huile d'olive est notée E. Ce n'est pas vrai, elle est notée B."
Un combat existentiel pour l'Italie de Meloni
Impossible de savoir si Giorgia Meloni et Ursula von der Leyen ont parlé ensemble du classement de l'huile d'olive mais il est certain que la Première ministre italienne et la présidente de la Commission européenne se sont vues à plusieurs reprises en 2022 pour échanger notamment sur le Nutri-Score, selon les documents révélés dans les Nutriscore papers. "La pression exercée sur la Commission pour qu'elle ne propose pas le Nutri-Score comme étiquetage nutritionnel a été très forte", analyse a posteriori la porte-parole du Bureau européen des unions de consommateurs, Emma Calvert.
Interrogé sur cette implication personnelle de la Première ministre italienne, le député européen Michele Picaro, membre de Fratelli d'Italia, reconnaît que "le combat contre le Nutri-Score est un combat politique important pour le gouvernement Meloni. Nous défendons l'agriculture italienne et les traditions culinaires du pays", affirme-t-il, estimant que les produits italiens sont "menacés". Les charcuteries et fromages notamment seraient "moins bien notés" que leurs homologues français. Une affirmation que réfute Mathilde Touvier : "Les aliments italiens, fromages ou charcuterie, ne sont pas moins bien classés que les produits français. Tout est une histoire de sel et d'acides gras saturés, explique l'épidémiologiste. Et contrairement à ce qu'on entend, on ne dit pas qu'il ne faut pas consommer ces aliments-là. C'est juste qu'il faut en manger en fréquence et en quantité raisonnables."
Des Français "silencieux"
Un message inaudible en Italie où le lobby agroalimentaire est très puissant. "C'est lui qui fixe l'agenda nutritionnel", estime le nutritionniste italien Antonio Pratesi, citant l'exemple de Federalimentare, l'équivalent italien de l'Association nationale des industries alimentaires (Ania) et de Coldiretti, une association de producteurs agricoles aux 1,6 million d'adhérents. "Il y a un alignement parfait entre ces organisations et notre gouvernement", poursuit Antonio Pratesi. Résultat : "Tout le monde en Italie est contre le Nutri-Score : les institutions, les ministères, les lobbies, les entreprises", déplore le médecin. L'Italie a transformé son opposition au Nutri-Score en "combat existentiel", raconte une source française au Parlement européen. "Elle a fait un récit, une forme de storytelling, comme quoi leur art de vie et leur art culinaire seraient attaqués. Face à eux, très peu de voix se sont élevées pour défendre le Nutri-Score."
Y compris côté français, où l'on était soucieux de ne pas trop "charger la barque" avec le Pacte vert européen, qui fait figure d'épouvantail pour les agriculteurs. Par ailleurs les deux députées françaises qui militaient à Bruxelles pour un Nutri-Score obligatoire, Michèle Rivasi (Les Ecologistes) et Véronique Trillet-Lenoir (Renaissance), sont toutes les deux décédées en 2023.
Les ONG en attente de documents clés
"Ursula von der Leyen [la présidente de la Commission] avait besoin de Meloni pour être réélue, alors elle a cédé à ses exigences", poursuit notre source au Parlement européen. Et tant pis si le parti de Giorgia Meloni a finalement voté contre la reconduction d'Ursula Von Der Leyen à la tête de l'exécutif européen en juillet 2024. Aujourd'hui, les députés Fratelli d'Italia triomphent à Bruxelles. "Notre succès contre le Nutri-Score a été obtenu grâce à une étroite collaboration entre différents parlementaires européens qui partagent nos préoccupations, nous dit ainsi Michele Picaro. C'est une victoire importante, mais nous restons vigilants. Nous surveillons ce qui se passe à Bruxelles et serons toujours prêts à agir pour protéger notre alimentation."
Mais les ONG de défense des consommateurs ne baissent pas les bras. Faute de voir le Nutri-Score s'imposer en Europe, elles souhaitent mettre la Commission face à ses contradictions en la forçant à publier deux documents clés : l'étude d'impact sur le logo nutritionnel obligatoire qu'elle a réalisée en 2022 ainsi que l'avis du comité d'examen de la réglementation (CER). Le CER donne son feu vert quand un texte est prêt à être proposé au Parlement et aux Etats membres.
"Nous pensons qu'en 2022 tout était prêt, tout était bouclé. Les citoyens ont le droit de savoir pourquoi une législation en faveur de leur santé et d'une meilleure alimentation a été retardée, puis bloquée", avance Suzy Sumner de Foodwatch. Devant le refus réitéré de la Commission de publier ces documents, elle a saisi la médiatrice de l'Union européenne, qui lui a donné raison dans une décision au ton particulièrement ferme. "C'est un cas de mauvaise administration", peut-on lire dans cet avis non contraignant. "La Commission devrait accorder un accès beaucoup plus large à ce type de documents. C'est dans l'intérêt du public, et cela fait partie du droit des citoyens de savoir comment les lois sont élaborées", explicite Honor Mahony, la porte-parole de la médiatrice de l'Union européenne, rencontrée dans son bureau bruxellois. "Lorsque ces documents ne sont pas divulgués, les gens pensent qu'il y a peut-être quelque chose à cacher."
Interrogée pour savoir si elle comptait in fine publier ses documents, la Commission européenne ne nous a pas répondu sur ce point. Mais elle précise que ses "travaux approfondis sur l'étiquetage des denrées alimentaires [...] ont confirmé la complexité de cette question et mis en évidence les défis à relever pour parvenir à des solutions communes." Côté français, on ne se fait guère d'illusion. La question du logo nutritionnel harmonisé et obligatoire n'est même pas mentionnée dans la "Vision pour l'agriculture et l'alimentation" publiée mi-février 2025. "Je ne vois pas la Commission mettre un texte législatif sur la table dans les années à venir", confie une source diplomatique européenne.
La Finlande et les Emirats Arabes Unis intéressés par le Nutri-Score
Face au renoncement de la Commission, le Nutri-Score continue malgré tout son chemin. D'après les informations de la cellule investigation de Radio France, la Finlande souhaite l'adopter. "On essaye d'avancer de notre côté car rien n'avance au niveau européen, explique une source gouvernementale finlandaise. Comme partout, notre industrie agro-alimentaire n'aime pas le changement. Mais on leur dit que ce sera plus facile pour eux de vendre leurs produits sur les marchés français et allemands s'ils affichent le Nutri-Score."
Les Emirats Arabes Unis sont également intéressés. Le pays du Golfe, où 61% des adultes sont en surpoids, envisage même de le rendre obligatoire. Une délégation d'Abu Dhabi doit se rendre à Paris au printemps prochain pour rencontrer des responsables de Santé Publique France, qui gère le Nutri-Score côté français.
Le retrait de Danone, un coup de tonnerre
Reste qu'en France, le logo nutritionnel bien connu des consommateurs doit faire face aussi à des vents contraires. Alors qu'il était dans une dynamique de progression depuis son lancement en 2017 – 1400 marques l'ont adopté –, un coup de tonnerre s'est produit en septembre 2024. Danone, l'un des plus gros soutiens du Nutri-Score, annonce le retirer de ses yaourts à boire Actimel, Danonino, Hi-Pro et Activia. En cause, le nouveau mode de calcul plus strict du Nutri-Score, adopté en 2023, avec un délai de deux ans accordé à l'industrie agroalimentaire pour changer ses emballages.
Ce nouvel algorithme déplaît fortement à Danone, qui le juge "biaisé". Il a pourtant été mis au point de manière collégiale par un comité scientifique indépendant, dans lequel siègent des experts reconnus issus des sept pays qui ont adopté le Nutri-Score. "Le mode de calcul du Nutri-Score a été modifié pour tenir compte des avancées de la science en matière de nutrition, explique Chantal Julia, chef de service santé publique à l'hôpital Avicenne, membre de ce comité scientifique. Globalement, ce nouveau Nutri-Score durcit les notes pour la majorité des produits, sauf pour les poissons gras, certaines huiles végétales et quelques fromages à pâte dure peu salés comme l'emmental." Le plus gros changement concerne le lait. Il bascule de la catégorie des aliments vers la catégorie des boissons. Seule l'eau obtient la lettre A. Les laits écrémés et demi-écrémés sont notés B au lieu de A, et le lait entier obtient un C, contre B précédemment.
Un taux de sucre similaire aux sodas
L'impact de ce changement de catégorie se fait surtout sentir pour les yaourts à boire. "Les Actimel, qui étaient au préalable A ou B, vont passer en D ou E selon les taux de sucre. Cela ne plaît évidemment pas à Danone, explique l'épidémiologiste Mathilde Touvier. Mais c'est totalement justifié. On parle quand même de taux de sucre qui dépassent les 10 grammes pour 100 millilitres de produit, du même ordre que ce qu'il y a dans les sodas".
Chez Danone, qui se décrivait jusque-là comme un "pionnier" du Nutri-Score, ce nouveau mode de calcul est vécu comme une trahison. "Ce qui nous pose problème, c'est le biais cognitif, nous dit une source interne. Nos yaourts à boire sont désormais considérés comme des boissons. Or une boisson, c'est de l'eau et du sucre. Nos produits apportent de la vitamine D, des protéines et du calcium et cela n'est pas valorisé dans le nouveau mode de calcul."
Des marges colossales
Exit donc le Nutri-Score sur les yaourts à boire. Une décision que l'expert David Garbous, président du collectif En vérité juge "incompréhensible". "Une étude récente de l'institut Kantar montre que les produits qui affichent un Nutri-Score, même un E, se vendent mieux que les produits qui ne l'affichent pas, explique celui qui a travaillé pendant 20 ans dans l'industrie agroalimentaire, chez Fleury-Michon, Lesieur et... Danone. Les consommateurs ont compris que quand il n'y avait rien de marqué, c'était plus suspect que quand il y avait une mauvaise note. Ils ont l'impression que la marque leur cache quelque chose. Et c'est horrible pour la confiance."
Mais si Danone prend le risque d'ébranler la confiance des consommateurs, c'est parce qu'il y a, à la clé, de gros enjeux financiers. Actimel est l'un des produits phares du groupe, avec une étiquette "d'alicament", à mi-chemin entre l'alimentation et la santé. Olivier Mevel, maître de conférence en sciences de gestion à l'Université de Bretagne occidentale, a fait les calculs : "Actimel est vendu aux environs de 2,70 euros le litre, sachant que les producteurs de lait sont rémunérés en moyenne 420 euros les 1 000 litres de lait [soit 42 centimes le litre]. Actimel permet au groupe de réaliser des marges colossales. Ils ont eu peur qu'avec le nouveau Nutri-Score les ventes chutent."
"Ils ont tapé haut et fort"
Danone a donc déployé les gros moyens pour éviter que le nouveau logo ne voie le jour. D'après les informations de la cellule investigation de Radio France, le groupe a fait un intense lobbying dans les ministères en 2023, lorsque le comité scientifique planchait sur le nouvel algorithme et qu'avaient déjà fuité ses futurs contours. "Danone et toute la filière laitière ont tapé haut et fort", nous dit une source ministérielle. Parmi leurs interlocuteurs, le cabinet de la ministre chargée des professions de santé Agnès Firmin Le Bodo, qui avait dans son périmètre la nutrition et la santé alimentaire.
Interrogée sur ce point, l'ancienne ministre confirme ces entretiens. "L'idée était d'avoir des échanges avec tous les acteurs de l'alimentation, assume Agnès Firmin Le Bodo, aujourd'hui député Horizons de Seine-Maritime. Le Nutri-Score est un travail collectif. Ça ne me paraît pas anormal de rencontrer les principaux intéressés qui vont être impactés par une mesure. En matière de prévention et de lutte contre l'obésité, ils [les industriels] ont aussi un rôle à jouer."
Les arguments de Danone et de la filière laitière semblent en tout cas avoir eu l'oreille du cabinet de la ministre. Une conseillère a par exemple demandé aux experts du comité scientifique de définir "ce qu'était une boisson". Absurde ? "Non", nous dit Agnès Firmin Le Bodo. "L'enjeu autour du lait, c'était de savoir si c'était un aliment ou une boisson. Qu'on se fasse préciser très clairement ce qu'entendait le comité scientifique sur la place du lait dans notre alimentation, c'était important pour prendre une décision qui, juridiquement, aurait pu être remise en cause."
Le nouveau Nutri-Score toujours pas en vigueur en France
In fine, malgré le lobbying de Danone et de la filière laitière, le nouveau Nutri-Score est adopté par le comité scientifique et approuvé par les sept pays concernés. Il est entré en vigueur le 1er janvier 2024. Mais en France, c'est toujours l'ancien Nutri-Score qui est affiché sur les emballages, contrairement aux autres pays européens qui l'ont mis à jour immédiatement. L'arrêté interministériel qui valide le nouveau Nutri-Score n'a en effet toujours pas été signé par les ministères concernés (Agriculture, Santé et Consommation). Il est pourtant rédigé et attend dans les parapheurs depuis près d'un an. Un retard qui peut s'expliquer par l'instabilité politique, avec la dissolution de l'Assemblée en juin 2024 puis la censure du gouvernement six mois plus tard. Mais il y a aussi l'opposition frontale exercée ces derniers mois par la filière laitière. "On a été demander des rendez-vous au ministère de l'Agriculture et au ministère de la Santé, explique Carole Humbert, la directrice de la Coopération laitière, qui regroupe 240 coopératives. L'Agriculture comprend notre problématique et la façon dont on est impacté par les notes du Nutri-Score. On sait que l'arrêté doit être validé par les trois ministères. Pour le moment, on attend de voir quand et si ça va être signé."
D'après les informations de la cellule investigation de Radio France, le nouveau Nutri-Score verra bien le jour en France. L'arrêté doit être signé "dans les prochaines semaines" nous fait savoir le ministère de la Santé. "On laisse passer le salon de l'agriculture et on signera après", nous dit une autre source ministérielle.
Quant à Danone, toujours selon nos informations, il envisage aujourd'hui d'abandonner le Nutri-Score sur toutes ses marques et pas seulement sur ses yaourts à boire. Coup de pression ou coup de bluff, l'avenir le dira.
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