L’esprit ravivé de Pierre Bénichou, « Prince de l’humour » et des médias

Comme pour toutes les évidences, on se demande bien pourquoi personne n’y avait pensé auparavant. Pierre Bénichou, une figure de style, paru aux éditions du Rocher ce mercredi 12 mars, comble un vide. Futile pour certains, mais immense pour d’autres. Celui de pouvoir replonger dans le destin exceptionnel de celui qui s’est éteint le 31 mars 2020, pendant son sommeil, à l’âge de 82 ans. Comment ce grand échalas de 1,91m en costume-cravate tel que le présente la couverture noire et jaune (ci-dessous), qui a fréquenté le Tout-Paris illuminant de son brillant esprit les conversations de nuit comme de jour, avait-il pu y échapper à une biographie ? Peut-être fallait-il oser se confronter à la gouaille rocailleuse et à la carrure imposante de Pierre Bénichou. À ses coups de gueule et à ses colères légendaires. À sa tendresse débordante aussi.

Ami d’Albert Camus

C’est le défi qu’a relevé Benjamin Puech, avec courage, pour son premier livre. Une gageure que notre confrère du Figaro - pas encore trentenaire mais doté d’un sacré talent d’observation et d’écriture – a relevé avec une féroce curiosité. L’auteur a choisi de s’intéresser à toutes les facettes de Pierre Bénichou. Sa famille, ses amis, ses ennemis, aussi. Et Dieu sait s’il avait su s’en faire... Quand un jeune auteur basque se découvre des affinités avec un vieux Juif pied-noir. L’enquête ne manque d’aucune profondeur sur celui qui compte encore aujourd’hui de nombreux admirateurs. Pierre Bénichou était fidèle en amitié. Et ceux qui l’ont croisé lors de sa vie dans les rédactions de presse, à la télévision et à la radio où il a travaillé, ou bien chez Castel aux heures avancées de la fête, tous ceux-là ne l’ont pas oublié. De Laurent Ruquier, son ancien patron aux « Grosses Têtes » de RTL dont il était un pilier, Frédéric Beigbeder, en passant par Philippe Labro, Franz-Olivier Giesbert, Jean-Paul Enthoven, Patrick Bruel ou Philippe Geluck, pour les plus connus, tous ont répondu une nouvelle fois présents.

Plus qu’une simple biographie, ces deux cents pages consacrées à Pierre Bénichou constituent – comme le sujet principal du livre - une figure de style. Un hommage de l’auteur, qui compile et raconte une multitude d’anecdotes toutes plus croustillantes les unes que les autres. Dans le sillage de Pierre Bénichou, enfant d’Oran et fils d’un professeur de littérature auquel Albert Camus vouait une amitié et une admiration sans borne, le lecteur est invité à la table de personnages extraordinaires. L’homme surnommé par ses amis « Beau Pedro Roi du Tango » a rencontré tout ce que la France compte d’artistes, d’entrepreneurs, de journalistes, de voyous…

« Quand ce sera la chasse au con, tu auras du mouron à te faire »

Tous sont marqués par le caractère et la trajectoire imprévisibles du « Président », comme l’appelait aussi son ami Coluche. Au fil d’articles signés dans Ciné-Révélations, où il a débuté à la fin des années 50, jusqu’à ceux qui ont fait la Une du Nouvel Observateur dans les années 80, l’esprit de Bénichou illustre la légèreté d’une époque. Dans la revue Le nouvel Adam, lointain ancêtre du Lui, où il sévissait, on lui doit cette légende sous la photo d’une femme en tenue très légère : « Ne la jugez pas trop vite : il faisait si chaud cette nuit-là. »

Les plus anciens retrouvent le plaisir des bulles de champagne qui pétillaient rue Princesse, dans l’insouciance des nuits parisiennes. Ils auront encore un peu de ce frisson qui parcourait une France alors heureuse. Un temps, pas si lointain, où l’on savait se faire des ennemis avec un certain panache. Jugez plutôt. Le défaut d’Éric Naulleau pour Bénichou ? « C’est qu’il termine toujours ses phrases ! ». Magnanime ou visionnaire, il prévenait aussi l’animateur Christophe Dechavanne : «Quand ce sera la chasse au con, tu auras du mouron à te faire...»

Ce livre manquait. Il ravive avec enthousiasme et nostalgie une personnalité flamboyante qui manque tant à l’univers des médias et de la télévision d’aujourd’hui, celle du « Prince de l’humour » qui aimait jouer les faux modestes et lançait : «Assez parlé de moi. Parlons de mon œuvre !»