Les agriculteurs français n’en démordent pas. L’interdiction en France de l’acétamipride, dont la réintroduction prévue par la loi Duplomb a été censurée jeudi 7 août par le Conseil constitutionnel, crée une concurrence déloyale avec les autres producteurs européens. «La France ne peut pas rester le seul pays d’Europe à imposer à ses agriculteurs des contraintes que les autres ne subissent pas. Il en va de notre souveraineté nationale agricole et alimentaire», ont dénoncé jeudi la FNSEA, le principal syndicat agricole, et les Jeunes Agriculteurs (JA) dans un communiqué commun.
Les producteurs de betteraves sucrières, qui étaient parmi les plus demandeurs d’un retour de ce pesticide de la famille des néonicotinoïdes pour lutter contre les ravageurs, accusent le coup. La décision prise par les Sages de censurer l’article portant sur l’utilisation de l’acétamipride «pérennise la flagrante distorsion de concurrence entre de nombreux agriculteurs français et leurs voisins européens, bien qu’ils opèrent sur un marché “unique”», s’insurge la Confédération générale des planteurs de betteraves (CGB), association spécialisée de la FNSEA, dans un communiqué. Favorable à la loi, la ministre de l’Agriculture Annie Genevard a pointé sur X la «divergence entre le droit français et le droit européen, ce qui conserve les conditions d’une concurrence inéquitable faisant courir un risque de disparition de certaines filières».
En effet, la France est aujourd’hui le seul pays en Europe à interdire l’acétamipride. L’interdiction de cet insecticide, censé éliminer les ravageurs en s’attaquant à leur système nerveux, est entrée en vigueur le 1er septembre 2018, de même que celle de quatre autres néonicotinoïdes. À l’échelle européenne, ce pesticide est lui autorisé par Bruxelles. Il bénéficie d’une homologation jusqu’en 2033. «Nous sommes 27 pays en Europe, 26 l’autorisent l’acétamipride», a martelé vendredi sur RMC le sénateur LR Laurent Duplomb, à l’origine de la loi partiellement censurée par le Conseil constitutionnel. Et beaucoup ne se privent pas d’utiliser cet insecticide dans leurs champs. En particulier l’Allemagne, la Pologne, l’Estonie, la Croatie et l’Italie, selon une liste mentionnée dans une proposition de loi déposée en octobre 2024, visant à réautoriser l’acétamipiride ainsi qu’un autre produit phytopharmaceutique, la flupyradifurone.
À lire aussi Loi Duplomb : existe-t-il une alternative à l’acétamipride ?
Crainte d’un afflux de sucre allemand et de noisettes turques
La FNSEA fustige ainsi une «porte ouverte aux importations». «La France a fait le choix des importations plutôt que de la production nationale, c’est inacceptable et inadmissible ! Elle signe la mise en péril de la filière betterave et l’ouverture des importations de sucre, le tout produit avec de l’acétamipride», dénonce dans un communiqué Franck Sander, président de la CGB. «Non seulement cela va fragiliser plus de 10.000 producteurs de betteraves en France, mais en plus, cela va accentuer les importations d’une filière où nous étions leaders en Europe. Nos voisins allemands, polonais et belges vont récupérer nos parts de marché», a développé dans nos colonnes celui qui est aussi exploitant en Alsace, alors que la France est le premier pays producteur de sucre dans l’UE et le deuxième producteur de sucre de betterave au niveau mondial.
Les producteurs tricolores de noisettes sont également en première ligne. S’il s’agit d’une petite filière agricole, avec ses 350 exploitations hexagonales, elle est devenue un symbole pour la réautorisation de l’acétamipride, face à l’incapacité des producteurs à combattre les insectes ravageurs. La France est aujourd’hui le quatrième consommateur mondial de noisettes, mais n’en produit l’équivalent de 12% seulement. Elle en importe ainsi déjà la majorité, et la filière craint que cette tendance ne s’aggrave. Elle rappelle en effet que l’acétamipride est autorisé notamment en Turquie, en Italie et aux États-Unis, les principaux pays producteurs de noisettes dans le monde.
Les producteurs de tomates s’inquiètent eux aussi. «Sans néonicotinoïdes, je vais devoir arrêter la production de tomates», s’alarme dans nos colonnes Sébastien Héraud, maraîcher en Dordogne. «Je ne suis pas seul dans cette situation, qui favorise l’importation de tomates espagnoles et marocaines traitées avec des néonicotinoïdes», estime-t-il, alors que 36% des volumes annuels de tomates fraîches consommées en France sont importées, fournies à plus de 80% par le Maroc et l’Espagne. Betteraves sucrières, noisettes, tomates... Le président de la FNSEA Arnaud Rousseau pense à ces productions lorsqu’il estime que la censure de la réintroduction de l’acétamipride «marque l’abandon pur et simple de certaines filières de l’agriculture française».