Léon XIV révèle son programme et sa méthode de travail

C’est l’ultime rituel du conclave : au lendemain de la première messe du pape avec les cardinaux dans la chapelle Sixtine, le Sénat de l’Église s’est retrouvé pour une rencontre, où l’élu les a remerciés de cette élection tout en leur proposant les grandes lignes de son pontificat. Mais Léon XIV a innové sur deux plans : alors que son prédécesseur avait souhaité, en 2013, que la réunion similaire soit transmise en vidéo, celle-ci s’est déroulée à huis clos. Il a fallu attendre plus de trois heures, après le début de l’assemblée, pour que le Vatican communique le discours du nouveau pape.

Gouverner avec ses cardinaux

Seconde nouveauté très significative du nouveau style de gouvernement, après ce discours, le nouveau pape a tenu à écouter l’avis de ses cardinaux, recevoir leurs conseils, sur un mode synodal qu’il a volontairement lancé. Ceux qui le désiraient ont pu s’exprimer librement et informellement. Le protocole ne prévoyait en effet qu’un discours, puis une salutation individuelle des cardinaux.

« Dans la première partie de cette rencontre, a expliqué le nouvel élu, il y aura un petit discours avec quelques réflexions que j’aimerais partager avec vous. Mais ensuite, il y aura une deuxième partie, un peu comme l’expérience que beaucoup d’entre vous ont demandée, une sorte de partage avec le Collège cardinalice afin de pouvoir entendre quels conseils, suggestions, propositions, des choses très concrètes, dont on a déjà un peu parlé dans les jours qui ont précédé le Conclave

Juste avant, le pape avait introduit la réunion par une prière en latin : « Avant de prendre place, commençons par une prière, en demandant au Seigneur de continuer à accompagner ce Collège et surtout, toute l’Église dans cet esprit, avec enthousiasme, mais aussi avec une foi profonde. Prions ensemble en latin le Pater Noster et l’Ave Maria. »

Avant de déployer sa vision du pontificat le nouveau pape a aussi expliqué la raison essentielle du choix de son nom : « «Principalement, parce que le Pape Léon XIII, avec l’encyclique historique ’Rerum novarum’, a abordé la question sociale dans le contexte de la première grande révolution industrielle ; et aujourd’hui l’Église offre à tous, son héritage de doctrine sociale pour répondre a une autre révolution industrielle et aux développements de l’intelligence artificielle, qui posent de nouveaux défis pour la défense de la dignité humaine, de la justice et du travail».

« Humble serviteur et rien d’autre »

Quant à son pontificat, Léon XIV, ne se voit pas porter une telle charge, sans l’appui de ses cardinaux : « Vous êtes, chers Cardinaux, les plus proches collaborateurs du Pape, et c’est pour moi un grand réconfort dans l’acceptation d’un fardeau qui est manifestement bien au-delà de mes forces, comme de celles de n’importe qui d’autre. Votre présence me rappelle que le Seigneur, qui m’a confié cette mission, ne me laisse pas seul pour en porter la responsabilité. Je sais avant tout que je peux toujours, toujours, compter sur son aide, l’aide du Seigneur, et, par sa Grâce et sa Providence, sur votre proximité et celle de nombre de frères et sœurs qui, dans le monde entier, croient en Dieu, aiment l’Église et soutiennent le Vicaire du Christ par la prière et les bonnes œuvres. »

Situant « le départ du regretté François » et ce « conclave » comme un « événement pascal », c’est-à-dire une sorte de résurrection, Léon XIV a, une nouvelle fois, insisté la nécessaire humilité de cette tâche : « Le Pape, depuis Saint Pierre jusqu’à moi, son indigne successeur, est un humble serviteur de Dieu et de ses frères, et rien d’autre. »

À l’image, a-t-il observé de ses prédécesseurs dont le Pape François, avec « son style de dévouement total dans le service et de sobre manière d’être dans la vie, d’abandon à Dieu pendant le temps de la mission et de confiance sereine au moment du retour à la maison du Père ». Attitudes que son successeur considère comme un « précieux héritage ». Un nouveau pape qui aurait toutefois l’intention de revenir habiter dans les Palais pontificaux.

«La voix subtile du silence»

En effet pour le nouveau pape « c’est le Ressuscité, présent parmi nous, qui protège et guide l’Église et qui continue à la faire revivre dans l’espérance, par l’amour répandu dans nos cœurs par l’Esprit Saint qui nous a été donné ». Il s’agit donc d’être les « auditeurs dociles de sa voix et les ministres fidèles de ses desseins de salut, en nous rappelant que Dieu aime se communiquer, plus que dans le fracas du tonnerre et des tremblements de terre, dans le ‘murmure d’une brise légère ou, comme certains le traduisent, dans une ‘voix subtile de silence’. » C’est l’enjeu : « la rencontre importante, à ne pas manquer, à laquelle il faut éduquer et accompagner tout le saint peuple de Dieu qui nous est confié ».

Une communauté de fidèles dans le monde entier qui a pu « s’exprimer » à travers ces événements récents où « nous avons pu voir la beauté et sentir la force de cette immense communauté (…) nous avons vu quelle est la véritable grandeur de l’Église, qui vit dans la diversité de ses membres unis à l’unique Tête, le Christ, « pasteur et gardien » de nos âmes »

La mission est claire. Cette communauté catholique est « le sein dans lequel nous sommes engendrés et, en même temps, le troupeau, le champ qui nous est donné pour que nous le soignions et le cultivions, que nous le nourrissions des sacrements du salut et que nous le fécondions avec la semence de la Parole, de sorte que, ferme dans la concorde et enthousiaste dans la mission, il puisse marcher, comme autrefois les Israélites dans le désert, à l’ombre de la nuée et à la lumière du feu de Dieu. »

«Adhésion au Concile Vatican II»

C’est alors que le nouveau pape a décliné son programme qui s’inscrit dans le Concile Vatican II : « je voudrais que nous renouvelions ensemble, aujourd’hui, notre pleine adhésion au chemin que l’Église universelle suit depuis des décennies dans le sillage du Concile Vatican II. »

Avec notamment « quelques aspects fondamentaux » que Léon XIV, a repris de l’Exhortation apostolique de François, « la joie de l’Evangile » et qu’il a énumérés dans cet ordre : « le retour à la primauté du Christ dans l’annonce ; la conversion missionnaire de toute la communauté chrétienne ; la croissance dans la collégialité et la synodalité ; l’attention au sensus fidei , [c’est-à-dire le bon sens du peuple catholique NDLR.], en particulier dans ses formes les plus authentiques et les plus inclusives, comme la piété populaire ; l’attention affectueuse aux plus petits et aux laissés-pour-compte ; le dialogue courageux et confiant avec le monde contemporain dans ses diverses composantes et réalités ».

Pour le nouveau pontife romain « Il s’agit de principes évangéliques qui ont toujours animé et inspiré la vie et l’œuvre de la Famille de Dieu, de valeurs à travers lesquelles le visage miséricordieux du Père s’est révélé et continue de se révéler dans le Fils fait homme, espérance ultime de quiconque recherche sincèrement la vérité, la justice, la paix et la fraternité », citant à la fois Benoît XVI et François.

Après son mot à la foule, le soir de son élection, sa première homélie pontificale, vendredi, Léon XIV a également conclu cette première intervention - qui est une sorte de déclaration de politique ecclésiale comme un nouveau président aurait une déclaration de politique générale - en citant le pape Paul VI (pape de 1963 à 1978) : « Je voudrais conclure cette première partie de notre rencontre en faisant mien – et en vous proposant également - le souhait que saint Paul VI, en 1963, plaçait au début de son ministère pétrinien : ‘Qu’elle passe sur le monde entier comme une grande flamme de foi et d’amour qui enflamme tous les hommes de bonne volonté, éclaire leurs chemins de collaboration mutuelle et attire sur l’humanité, encore et toujours, l’abondance de la divine complaisance, la puissance même de Dieu, sans l’aide duquel rien n’est valable, rien n’est saint ».

En citant cet extrait du « Message à toute la famille humaine » Qui fausto die du 22 juin 1963, le pape Léon XIV, a conclu « Que ces sentiments soient aussi les nôtres, pour les traduire en prière et en engagement, avec l’aide du Seigneur. »