«Il devient urgent de prendre ce virage» : l’IA encore trop peu utilisée en entreprise aux yeux des salariés, selon une étude
Le constat est sans appel : seule une entreprise sur trois en France a déployé des outils d’intelligence artificielle (IA), alors que dans le même temps, deux salariés sur trois déclarent les utiliser dans le cadre professionnel - dont 20% en font même un usage quotidien. Un paradoxe pointé dans une enquête réalisée par Ipsos pour Greenworking, et dévoilée ce jeudi par Le Figaro. Celle-ci met ainsi en lumière le très fort usage «fantôme» des IA, avec des salariés qui utilisent ces outils dans leur travail dans un cadre qui n’a pas toujours été homologué par leur entreprise. «C’est indispensable d’adopter l’IA en entreprise, c’est une révolution comme l’a été Internet», estime Nolwenn. La trentenaire - qui utilise l’IA au quotidien dans le cadre de son travail - juge que «ceux qui n’ont pas pris ce virage dans les années 2000 n’ont pas réussi à rester compétitifs». «Il faut définir des règles ensemble, car ce serait dangereux que chacun l’utilise en sous-marin», renchérit Lou, pour qui il est devenu «urgent» que les entreprises «prennent ce virage».
De fait, l’étude menée par Ipsos montre que les salariés ont pris le virage de l’IA générative dans leur travail «souvent de leur propre initiative», et ce notamment pour ceux qui n’ont pas encore accès à des outils déployés par leur entreprise. «On peut voir à quel point les salariés considèrent que l’IA a beaucoup plus d’impacts positifs que négatifs dans leur capacité à innover, dans l’amélioration de leurs conditions de travail», note Étienne Mercier, directeur du département Opinion chez Ipsos. Il souligne «l’appétence extrêmement forte» de tous les salariés, qui sont une grande majorité à être convaincus de l’intérêt de l’IA pour «améliorer tous les pans de leur vie professionnelle». «Les salariés vont plus vite que l’entreprise qui se retrouve dépassée par le phénomène et peine à en voir les dangers», décrypte l’expert.
Un phénomène déjà très largement développé
«La valeur apportée par l’IA n’est plus à démontrer dans le monde du travail. Nous en avons de très nombreux exemples», abonde Philippe Limantour, directeur technologique et cybersécurité chez Microsoft. Alors que les salariés «sont noyés dans des quantités d’informations considérables, l’IA vient les aider à trier, classifier et prioriser toutes les tâches». De la même façon, cela a permis de «réinventer l’expérience des clients», «en leur facilitant l’accès à leur service», «en leur permettant de travailler d’un peu partout dans le monde», précise celui qui plaide pour un encadrement de la pratique, mais surtout pour une formation complète des dirigeants d’entreprises comme des salariés. Et l’étude confirme ces bénéfices, puisque 67% des utilisateurs réguliers de l’IA sont satisfaits de leur productivité au travail, 73% y voient les effets positifs sur leur capacité à innover et être créatif, et 71% sur leur bien-être.
À chaque nouvelle vague de technologie, il y a eu un certain décalage entre ce que les utilisateurs pouvaient faire chez eux et ce qu’ils pouvaient faire en entreprise
Philippe Limantour, directeur technologique et cybersécurité chez Microsoft
Plus les salariés utilisent l’IA générative, «plus ils explorent ses possibilités et en diversifient l’utilisation», avance également l’étude. On constate d’une part une utilisation assez classique des différents outils existants, pour faire des recherches sur un sujet précis, traduire des textes ou corriger la grammaire, l’orthographe ou le vocabulaire d’un document. Mais d’autres usages viennent se greffer, comme le fait de créer des formules automatiques dans les tableurs (Excel, Google Sheets...), analyser et reformater des données ou encore générer et améliorer des idées. Chaque utilisateur d’IA a ainsi déjà expérimenté quatre cas d’usage différents en moyenne, et ce, quelle que soit la politique interne de son entreprise.
Et s’«il est difficile d’évaluer un phénomène qui n’est pas censé exister» sur l’utilisation fantôme de l’IA, «les chiffres parlent d’eux-mêmes puisque entre 20% et 40% des Français disent avoir utilisé au moins une fois l’IA, et 90% des 28-34 ans assurent l’utiliser régulièrement», souligne Yann Ferguson, sociologue et directeur scientifique du LaborIA à l’INRIA (Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique). Le chercheur précise en outre que l’absence de position officielle des entreprises sur ce sujet «tend à renforcer la pratique», avec tout ce que cette utilisation «en sous-marin» peut comporter de dangereux. L’étude montre ainsi que 72% des salariés déclarent ne pas toujours utiliser des outils homologués par leur entreprise. Résultat : ces derniers ont recours à des solutions gratuites - disponibles en ligne - plutôt qu’à une solution officiellement déployée en interne.
Un usage qui n’est pas sans risque
«À chaque nouvelle vague de technologie, il y a eu un certain décalage entre ce que les utilisateurs pouvaient faire chez eux et ce qu’ils pouvaient faire en entreprise (...). Et quand on utilise une solution qui n’est pas vérifiée ou validée par les systèmes informatiques de l’entreprise, on s’expose inévitablement à certains risques», prévient Philippe Limantour. Le directeur cybersécurité de Microsoft expose deux grands risques : celui de la sécurité dans la mesure où certaines personnes malveillantes pourraient en profiter pour venir voler des données ou demander des rançons, et celui de la conformité alors que chaque secteur d’activité dispose de droits et de devoirs que l’utilisation de l’IA pourrait mettre à mal. Au risque pour l’entreprise de recevoir une amende en cas de non-respect de la réglementation en vigueur.
Pour Yann Ferguson, le principal risque est bien «la fuite de données confidentielles», alors qu’«un prompt sur douze en contient», parmi lesquelles 25% de données «salariés» et 45% de données «clients». Outre l’enjeu sécuritaire, le sociologue fait aussi état «d’autres risques collectifs» de l’utilisation de l’IA non encadrée au travail. Car l’intelligence artificielle «produit une accélération cognitive» mais reste à ses yeux «une technologie qui s’appuie sur des probabilités statistiques, et qui aborde l’écrit par le calcul de probabilité et non en lien avec la vérité». En somme, cela permet d’«aller très vite mais pas forcément très loin». Reste aux entreprises de s’en emparer pour accompagner leurs salariés et les former, justement pour éviter tout risque de dérives.