Kim Le Court, la cycliste qui met la lumière sur l'île Maurice
Jusqu'au bout, elle s'est inquiétée. Elle avait beau avoir devancé dans un sprint à quatre les Néerlandaises Puck Pieterse, Demi Vollering et la Française Cédrine Kerbaol pour remporter Liège-Bastogne-Liège dimanche 27 avril, le podium continuait de la préoccuper.
"J’avais peur qu’ils n’aient pas l’hymne national de l’île Maurice", a-t-elle expliquée à DirectVelo. "Je suis fière de pouvoir amener mon pays sur la scène mondiale. Je veux être unique et rester fidèle à moi-même : je viens de l’île Maurice et pas d’un autre pays."
Mais, il n'y a pas eu de raté. La sociétaire d'AG Insurance-Soudal a bel et bien pu savourer la plus belle victoire de sa carrière au son de "Mère Patrie". Méritée pour celle qui entre dans l'histoire comme la première cycliste (homme et femmes confondues), à remporter un "Monument", ces courses d'un jour considérée comme les plus prestigieuses du vélo sur route.
"J'ai vu un drapeau mauricien être agité sur parcours à un moment donné", a-t-elle souri. "Je suis tellement fière et heureuse d'avoir pu enfin leur offrir cette victoire."
Un maillot arc-en-ciel source de confusion
Son drapeau national lui vaut souvent aventures et mésaventures. Car en tant que championne nationale de l'île Maurice, elle a le droit d'en arborer les couleurs rouge, bleu, jaune, vert. Ce qui n'est pas sans rappeler le maillot arc-en-ciel de championne du monde actuellement portée par Lotte Kopecky. Résultat, sur les courses, elle est souvent confondue avec la Belge.
"Je n’ai pas créé le drapeau de mon pays. Je n’y peux rien si nous avons le plus beau drapeau", préfère-t-elle rire. "Nous avons demandé et obtenu l’approbation de l’UCI. L’équipe de Kopecky n’a pas non plus contesté le fait que je puisse courir avec. C’est ça le plus important pour moi."
Après le foot, le VTT
Née d'une mère écossaise et d'un père mauricien, sur une île de l'océan Indien quatre fois plus petite que la Corse et rattachée géographiquement à l'Afrique, Kim Le Court n'était sur le papier pas destinée à faire sensation dans le cyclisme. Son premier amour est plutôt le football, elle qui est fan de Manchester United et Wayne Rooney. Mais elle finit par se mettre au VTT, dans la roue de ses parents et de son frère.
Victorieuse sur plusieurs courses africaines en juniors, elle tente une première fois de passer professionnelle en Europe en 2015 et 2016. Mais elle traverse son expérience avec les Britanniques de Matrix Fitness et les Espagnols de Bizkaia-Durango dans l'anonymat complet.
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"C'était trop tôt pour moi, j'avais 18-19 ans, je n'étais pas prête. Je me mettais sans doute beaucoup de stress pour essayer d'avoir des résultats. Et puis financièrement, malgré le soutien de mes parents, c’était trop compliqué. Le cyclisme féminin n'était pas aussi développé que maintenant. C'était dur, j'étais en plus loin de ma famille. Je n'avais pas la motivation pour continuer. J'ai dit stop et j'ai même failli complètement arrêter le vélo", a-t-elle récemment expliqué à RMC.
Elle déménage avec son compagnon en Afrique du Sud, se trouve un boulot mais le virus du VTT la reprend rapidement. Il faut dire que compagnon Ian Piennar est également un adepte de la discipline.
Elle se remet en selle, multiplie les victoires sur la scène africaine et s'adjuge même en 2023 l'exigeante Cape Epic, une prestigieuse course par étapes de VTT, ses 648km et ses 15 000m de dénivelé positif à dévaler en une semaine.
Un retour gagnant sur route
Une victoire qui lui fait s'interroger sur la suite. Et si elle revenait à la route ? Elle passe donc l'hiver à envoyer son CV à l'ensemble des équipes du World Tour, le plus haut niveau. Et c'est AG Insurance-Soudal qui lui donnera sa chance, à quelques jours à peine de son mariage !
Une chance qu'elle saisît à pleine dents. Pour son retour sur les routes européennes, elle signe un printemps intéressant en s'illustrant avec des TOP 10 sur le Trofeo Alfredo Binda, à la Classic Brugge-De Panne et sur Paris-Roubaix. Puis, sa première grande victoire : l'ultime étape du Tour d'Italie 2024.
Cette année, rebelote sur l'ensemble des "Monuments" auxquelles elle participe : 9e sur le Trofeo Alfredo Binda, 5e de Milan–San Remo, 5e du Tour des Flandres. Jusqu'à cette consécration à Liège :
"J'étais toujours 5e ou 6e jusque-là. C’était frustrant. J’avais l’impression qu’il y avait toujours un écart entre les trois meilleures coureuses et moi. Aujourd’hui, j’ai comblé ce fossé", savoure-t-elle.
Quelle est son secret ? Si elle professe une addiction aux chocolats Maltesers, c'est un autre carburant qui lui a permis d'entrer dans l'histoire dimanche : "J'ai mangé du tiramisu la veille de la course et ça a bien fonctionné", rigole-t-elle.