Coco: «La manière dont on traite les animaux dit beaucoup de la manière dont on se traite entre nous, humains»
LE FIGARO. – Partir en livre est un festival qui s’adresse principalement aux jeunes lecteurs. Racontez-nous la place qu’occupe le livre dans votre vie.
COCO. - J’aime les livres, j’en ai de toutes sortes (romans, BD, catalogues d’expo, livres d’histoires, biographies…). Enfant, je lisais pas mal de bandes dessinées, à commencer par Gaston Lagaffe de Franquin. Les Schtroumpfs, Lucky Luke, Astérix, Tintin, Le concombre masqué… Ces lectures ont vraiment été importantes pour moi. Et puis à l’adolescence, j’ai découvert Stephen King. Christine, par exemple, a été un roman que j’ai lu en une journée ! Après lui, j’en ai lu beaucoup de son œuvre. Je pense également à Orwell et plus particulièrement à La Ferme des animaux. Une petite fable qui se lit facilement, pour les jeunes, et qui dit beaucoup des rapports de domination, de pouvoir. La lecture est essentielle pour se construire quand on est enfant.
Il faut inciter les jeunes à lire, qu’ils soient davantage à lire des livres qu’à scroller sur des écrans. C’est un peu mon cheval de bataille à la maison ! Que ce soient des BD, des romans graphiques, des romans, des essais… Ils apprendront mieux à réfléchir et à penser, se construiront un esprit critique et intégreront mieux l’information en lisant... On peut trouver de quoi lire dans les boîtes à livres, de même, il existe pas mal d’endroits où il y a des bourses aux livres, des livres d’occasions ( pour les petits budgets) ! On peut acquérir des livres pour rien et les échanger, les partager...
Chez moi, j’ai des livres de dessins de presse, des gros bouquins sur l’âge d’or de la caricature ou des livres de dessinateurs que j’aime (Cabu Reiser, Gébé, Honoré, Crumb, Spiegelman, Willem, Vuillemin…). Mais j’ai pas mal de romans, des contemporains, j’aime la plume sensible (et un peu mystique !) de Yannick Haenel, les voyages de Sylvain Tesson, et des classiques, Orwell, Bukowski, John Fante, Camus...
Pour moi le dessin et l’écriture se complètent. La différence, c’est que pour nous dessinateurs, on doit dire beaucoup avec très peu de mots. Derrière chaque image, il y a une pensée, une réflexion au même titre que quelqu’un qui écrit. Il faut être juste dans ce qu’on raconte.Vous êtes donc arrivée au livre par la bande dessinée ?
Possible… Mon père lisait Gaston Lagaffe, Gotlib, la Rubrique-à-Brac, Fluide glacial et autant de magazines. À la maison, il y avait pas mal de presse régionale : le Dauphiné, le Messager, parfois aussi le Matin (comme j’habitais à la frontière suisse)… Cela a sans doute contribué à mon envie de me lancer dans le dessin de presse. À côté de ces lectures, je dessinais déjà beaucoup. J’ai le souvenir d’avoir fait des caricatures de mes professeurs au collège. J’ai été soutenue dans cette voie, par mon père notamment. Et puis, j’ai un oncle aussi qui écrivait et faisait de la BD. On faisait de la BD épistolaire : lui faisait une planche, me l’envoyait, je faisais la suite et lui envoyais à mon tour, on se répondait, etc. Et on avançait comme ça, en faisant une espèce de cadavre exquis de bandes dessinées !
Et vous en avez fait votre métier.
J’ai obtenu un bac L avec mention. Et puis, j’ai intégré les Beaux-Arts de Lyon, avec une bonne note au concours. Seulement, je suis ressortie un peu dépitée de cette école, car elle était beaucoup trop conceptuelle pour moi. J’ai fait une année en fac d’histoire de l’art, en attendant de repasser un concours pour l’École européenne supérieure de l’image (EESI).
J’ai passé cinq ans d’études là-bas, j’ai validé mes diplômes. Et c’est en fin d’année qu’un prof m’a dit : « Tu devrais faire ton stage de fin d’études à Charlie . » Je commençais à dessiner un peu sur la société, à faire des dessins un peu trash. J’ai envoyé une demande de stage et j’ai été prise un mois. À la fin, on m’a dit : « Tu reviens quand tu veux après tes études », et je suis revenue. Il y avait une vraie cohésion entre toutes ces personnalités très différentes. Le rire, le sérieux… À l’époque, il y avait Philippe Val, Gérard Biard, Riss, Catherine Meurisse... Il y avait quelque chose qui m’a immédiatement plu dans cette synergie. J’étais aussi timide que très admirative. J’ai pu dire que c’était une révélation d’entrer chez Charlie, mais c’était un peu ironique, parce que je suis athée comme pas mal de membres de la rédaction.
Et depuis, pas un jour sans un dessin ?
Oui, c’est vrai. Quand je ne travaille pas, je le fais à loisir (j’aime le cinéma aussi ! ) À l’époque déjà, même si je n’étais pas du tout au point, mais je m’employais à dessiner pour comprendre les ressorts du métier. Pour moi le dessin et l’écriture se complètent. La différence, c’est que pour nous dessinateurs, on doit dire beaucoup avec très peu de mots. Derrière chaque image, il y a une pensée, une réflexion au même titre que quelqu’un qui écrit. Il faut être juste dans ce qu’on raconte.
Le dessin permet de défendre des valeurs humanistes, oui. C’est l’observation, l’interprétation du réel et du vivant, il permet de prendre conscience du monde qui nous entoureQuel est votre livre de chevet en ce moment ?
J’ai acheté le dernier Tesson, Les Piliers de la mer. Même si je n’adhère pas à ses partis pris politiques, j’aime ses voyages, j’ai été emportée par La Panthère des Neiges, Blanc, ... Sinon, j’ai Houris de Kamel Daoud, que je n’ai pas encore commencé, et qui est sur ma table de nuit. Je suis en train de finir de lire Georges et Louis, de Daniel Goossens, une BD très écrite, dessins incroyables, bourrée de gags. Vraiment géniale !
Le livre qui m’a le plus bouleversée dans ma vie est Si c’est un homme, de Primo Levi. Il y a la force du témoignage d’un rescapé du “lager”, mais aussi la puissante réflexion sur le sens de l’existence, la mort, le fascisme…
En parlant de livres, vous avez publié Pauvres bêtes , (Les Échappés) dans lequel vous enquêtez sur la condition animale et notamment la maltraitance dont ils sont victimes. Le thème du festival de cette année, c’est justement nos amies les bêtes. Quel est votre rapport avec elles ?
J’ai grandi avec des animaux. Un chien, un labrador noir, des chats, des poissons, des lapins, des poules… Dont une noire qu’on a gardée longtemps. Mon père lui avait même construit une petite caisse, on la rentrait l’hiver dans la maison. J’étais très attachée à toute cette ménagerie. Le chien est très attachant dans la reconnaissance qu’il a à l’homme. Impressionnant de fidélité. Les chats ont un tempérament que j’aime bien, imprévisible, punk. J’en ai un d’ailleurs, qui s’appelle Jason. Mon mari l’a récupéré au refuge Chalakoff, juste après les attentats de janvier 2015. Il a 11 ans maintenant.
Dans votre livre, vous écrivez: « Si je n’avais pas été dessinatrice, j’aurais été naturaliste. » Les dessins sont-ils une manière de vous engager pour la cause animale, de mieux éclairer ou du moins questionner les enjeux de l’actualité sur le réchauffement climatique, la dignité animale, le spécisme, etc. ?
Oui, car c’est du dessin de reportage. Le journalisme permet de montrer le réel, de montrer des situations telles que les maltraitances en corrida, on retranscrit la cruauté de l’humain sur l’animal en dessin ; à Marineland, on pointe du doigt la petitesse des bassins pour tous les cétacés par exemple . J’ai suivi également des procès spécialisés en justice environnementale, et témoigner du dévouement des équipes de soignants dans les refuges pour animaux (sauvages ou domestiques). On doit raconter cette réalité pour mieux parler de la condition animale. La manière dont on traite les animaux dit beaucoup de la manière dont on se traite entre nous, humains.
Le dessin est-il une forme d’humanisme ?
Il permet de défendre des valeurs humanistes, oui. Le dessin c’est l’observation, l’interprétation du réel et du vivant, il permet de prendre conscience du monde qui nous entoure. Le dessin, par le rire, même acide, même féroce, est un pas vers le débat. Le dessin peut déranger, choquer, indigner, amuser, émouvoir. C’est suffisamment universel et de riche pour nous amener à avoir des réflexions sur notre rapport aux animaux, mais pas seulement. C’est le rôle du dessinateur et de manière générale, celui du journaliste de pouvoir faire bouger les lignes... Il y a dans le dessin une liberté qui lui est inhérente. On va dans tous les coins avec nos dessins. On cherche à parler de tous les sujets, même s’il y a toujours les limites de la liberté de la presse et de la loi : ce cadre reste un immense terrain de jeu !