Dépistages des cancers : la France a encore des progrès à faire

Avec plus de 60.000 nouveaux cas chaque année, le cancer du sein est le plus fréquent des cancers en France, et celui qui tue le plus de femmes. Le cancer colorectal, avec près de 48.000 nouveaux cas par an, est le deuxième cancer le plus mortel chez les hommes et le troisième chez les femmes. Le cancer du col de l’utérus se situe au 12e rang des cancers chez les femmes. Pourtant, un diagnostic précoce permet une diminution de la mortalité pour ces trois cancers, voire d’éviter la maladie pour ceux du col de l’utérus et colorectal. C’est la raison pour laquelle tous trois font l’objet de dépistages organisés au niveau national, gratuit et sans avance de frais. Mais leur mise en place n’est pas encore optimale, montre un état des lieux de Santé publique France (SpF) publié ce mardi à l’occasion de la Journée mondiale contre le cancer.

Cancer du sein : trop de dépistages individuels

Seules 50 % des femmes concernées ont participé au programme national de dépistage organisé du cancer du sein (PNDOCS) de 2016 à 2022, loin « de la recommandation européenne de 70 % », note SpF. Mais cette donnée cache une autre réalité : un « niveau élevé » de dépistage « spontané » (des femmes passant une mammographie sur prescription de leur médecin, hors programme national), que SpF estime à 17-18 % sur cette période. La couverture totale dans l’Hexagone atteindrait donc les 60 %. Mais « le dépistage est plus performant lorsqu’il est réalisé dans le cadre du programme organisé » car il offre « une seconde lecture des mammographies » et ainsi « une meilleure qualité » du dépistage et de « l’évaluation de ses résultats », insiste SpF.

Ce recours au dépistage spontané s’observe notamment en Île-de-France et en région Paca, « dans des zones très urbaines », note Stéphanie Barré Pierrel, coordinatrice Dépistage des cancers chez Santé publique France. Dans ces zones, des radiologues peuvent avoir tendance à orienter une patiente vers un dépistage spontané - ce qui leur permet de faire des dépassements d’honoraires, notent certains observateurs. « Il serait souhaitable d’avoir des messages plus clairs en direction des professionnels de santé pour orienter les femmes vers le dépistage organisé », tranche Stéphanie Barré Pierrel.

SpF pointe aussi « la désertification médicale dans certains territoires, la baisse de l’offre en sénologie et l’allongement des délais de rendez-vous ». « Il y a une vraie difficulté d’accès à la mammographie, abonde Emmanuel Ricard, délégué à la promotion du dépistage de la Ligue contre le cancer. Des cabinets de radiologie ferment et se regroupent pour investir sur du matériel plus cher, tout en s’éloignant de la population. Résultat : la facturation de l’examen et le coût pour se rendre au centre de radiologie augmentent. Enfin, il faut parfois attendre un an pour obtenir un rendez-vous. Il y a donc des renoncements. »

Cancer colorectal: un tabou autour des selles

Le dépistage organisé s’adresse à toutes les personnes âgées de 50 à 74 ans : tous les deux ans, elles peuvent bénéficier d’un test immunochimique fécal quantitatif (FIT), suivi d’une coloscopie si le test est positif. La participation au Programme national de dépistage organisé du cancer colorectal (PNDOCCR) était de 34,3 % en 2021-2022. Un taux « faible, en deçà des recommandations européennes de 45 % », déplore SpF.

« Une part non négligeable de la population fait d’emblée une coloscopie. C’est parfois très lié à une pratique locale de médecins qui la prescrivent directement », remarque Stéphanie Barré Pierrel. C’est le cas particulièrement en Corse. Là encore, certains gastro-entérologues peuvent avoir tendance à promouvoir la coloscopie par intérêt économique, soulignent d’autres observateurs. En incluant les coloscopies (hors dépistage organisé), le taux de couverture était proche de 48 %.

Le nouveau kit de dépistage est facile, propre, et cela dure cinq minutes

Emmanuel Ricard, délégué à la promotion du dépistage de la Ligue contre le cancer

Mais le faible taux global de participation s’explique surtout, par une médiatisation moindre du programme (pourtant lancé depuis 2008-2009) et par un tabou persistant autour des selles. Un sondage de la Fondation pour la recherche sur le cancer, publié ce mardi, montre qu’en parler reste compliqué pour 54 % des Français de 45 ans et plus, et même 61 % des 45-54 ans. La peur des résultats (57 %), l’embarras (31 %) et le dégoût d’en parler (29 %) freinent le dépistage d’un cancer qui se guérit pourtant dans 90 % des cas s’il est pris en charge tôt. Le dépistage permet en effet de « détecter des adénomes, des petits polypes qui pourront sur de longues années se cancériser. C’est un vrai moyen de détection de tumeurs précancéreuses, à un stade où on peut les retirer sans avoir à faire de chirurgie », insiste Emmanuel Ricard. Lors du recueil des selles, « on ne les manipule pas directement. Le nouveau kit de dépistage est facile, propre, et cela dure cinq minutes. On peut se le procurer chez son médecin, en pharmacie ou via un site de commande en ligne dédié », rappelle Stéphanie Barré-Pierrel.

Cancer du col de l’utérus: des disparités régionales

Avec 3100 nouveaux cas et 1100 décès annuels, ce cancer lié aux papillomavirus humains (HPV) reste un problème de santé publique majeur. Recommandée pour les jeunes filles et les garçons entre 11 et 19 ans, la vaccination contre les HPV, étendue en milieu scolaire depuis deux ans, a permis d’améliorer sa prévention. En complément, un dépistage régulier est recommandé pour les femmes de 25 à 65 ans dans le cadre du Programme national de dépistage organisé du cancer du col de l’utérus (PNDOCCU) instauré en 2018.

En 2023, la couverture vaccinale est estimée à 54,6 % (au moins une dose) chez les filles de 15 ans et de 26 % chez les garçons, un taux en hausse depuis plusieurs années mais avec des disparités territoriales importantes. Le taux de couverture du dépistage a quant à lui atteint 59,5 % entre 2020 et 2022, en augmentation mais toujours « en deçà des objectifs fixés par l’OMS (70 % des femmes dépistées à 35 et 45 ans) et du taux de couverture européen du dépistage du CCU acceptable (75 %) », note SpF. Ce dépistage est « très marqué socialement. Les populations défavorisées, plus à risque, ont moins de suivi gynécologique », observe Stéphanie Barré-Pierre. Le déploiement du dépistage organisé a toutefois permis une meilleure participation des femmes plus âgées, moins enclines à y participer.