Pour «briser l’omerta» et en finir avec cette «épidémie de suicides à l’hôpital public», plusieurs médecins, soignants ou familles de victimes saisissent de façon inédite la justice. Selon les informations du Monde et de France Inter ce lundi 14 avril, une plainte visant trois ministres a été déposée jeudi 10 avril devant la Cour de justice de la République (CJR) - la seule instance apte à juger des ministres pour des faits commis dans l’exercice de leurs fonctions - pour «harcèlement moral, homicides involontaires et violences volontaires ayant entraîné la mort sans l’intention de la donner et mise en danger de la personne».
La plainte vise Catherine Vautrin, ministre du Travail, de la Santé et des Solidarités, le ministre délégué en charge de la Santé et de l’Accès aux soins Yannick Neuder ainsi qu’Élisabeth Borne, ministre de l’Éducation nationale mais aussi de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, qui est en charge de l’enseignement de la médecine et a autorité disciplinaire sur les professeurs des universités-praticiens hospitaliers (PU-PH).
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Organisation de la «désorganisation institutionnelle»
Selon le quotidien et la radio publique, cette action en justice regroupe dix-neuf requérants «qui ne se connaissent pas». Tous les corps médicaux (directeur, chef de service, infirmière) et toutes les spécialités (cardiologie, gynécologie, pédiatrie...) sont concernés. De même, les cas proviennent de toutes les régions de l’Hexagone.
L’avocate qui porte la plainte, Maître Christelle Mazza, s’appuie sur trois arguments. D’abord, «l’organisation de la désorganisation institutionnelle», «avec des ministres qui changent tout le temps, de multiples réformes de l’hôpital». «On a un tel chaos que les agents ne savent plus à qui rendre des comptes et cela dilue les responsabilités», explique-t-elle.
«Il y a aussi la prétendue doxa des contraintes budgétaires où l’on dit qu’il va falloir faire plus avec moins. Et puis il y a évidemment la pression exercée sur les personnels, on écrase toute forme de dissidence. Et le système ne fonctionne que sur leur dévouement, le respect du patient et du serment d’Hippocrate.» «Mais là où l’État est considérablement responsable, c’est d’instrumentaliser ce dévouement pour écraser et utiliser les personnels», ajoute Me Christelle Mazza. «Quand vous acceptez des fonctions de ministre, vous reprenez les dossiers, donc vous êtes responsable de ce qui a pu se produire et de ce qui se produit", conclut-elle.
Jurisprudence France Télécom
Christelle Mazza, détaillent Le Monde et France Inter, s’appuie sur la jurisprudence tirée d’un arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation en janvier dans l’affaire France Télécom sur la responsabilité pénale des dirigeants de l’entreprise et la notion de «harcèlement moral institutionnel». «[Cette] jurisprudence doit s’imposer aux ministres comme à n’importe quel chef d’entreprise au nom du principe d’égalité devant la loi, en particulier quand il y a de telles atteintes à l’intégrité de la personne», développe Maître Christelle Mazza.
Cette dernière, rappellent les médias, a également déposé plainte en mars pour le compte de plusieurs professeurs des universités-praticiens hospitaliers auprès du parquet de Paris contre l’AP-HP et l’université de Paris-Cité pour «harcèlement institutionnel». En mars 2024, Me Christelle Mazza avait également interpellé en vain Catherine Vautrin sur le risque suicidaire au sein de l’hôpital public.
La plainte sera étudiée le 19 juin prochain par la commission des requêtes de la CJR. Ce filtre doit déterminer «si l’action en justice part à l’instruction ou si elle ne va pas plus loin». La réponse est attendue à l’automne. Cette plainte, rappellent Le Monde et France Inter, intervient dix ans après le suicide de Jean-Louis Mégnien, cardiologue qui s’est suicidé à l’hôpital européen Georges-Pompidou (Paris) en décembre 2015 à l’âge de 54 ans. En 2023, l’Assistance-Publique Hôpitaux de Paris (AP-HP) a été condamnée à une amende de 50.000 euros pour «harcèlement moral».