États-Unis : la condamnation d’une femme à 11 ans de prison pour avoir tué un homme qu’elle accuse d’abus sexuels fait débat
Onze années d’emprisonnement, et cinq années supplémentaires de surveillance prolongée. C’est la peine dont a écopé Chrystul Kizer lundi 19 août, après avoir plaidé coupable pour une accusation allégée d'homicide par imprudence au second degré avec utilisation d'une arme dangereuse, crime passible d'une peine maximale de 30 ans d'emprisonnement. La jeune femme, qui avait 17 ans au moment des faits en 2018, a reconnu avoir tiré deux balles dans la tête de Randall Volar, 34 ans, qu’elle accuse d’abus sexuels. La jeune femme ne purgera cependant pas onze années en prison, puisque David Wilk, le juge du comté de Kenosha, a rappelé qu’elle avait déjà passé plus d'un an et demi emprisonnée.
Cette affaire qui a débuté il y a six ans est très suivie dans le pays. L’annonce du verdict de Chrystul Kier a fortement indigné une partie de l’opinion publique et des défenseurs des droits humains à travers les États-Unis. Selon les dires de la jeune femme, Randall Volar la payait pour avoir des rapports sexuels avec elle, abusait sexuellement d’elle en la filmant et la droguait pour que d’autres hommes abusent d’elle dans des chambres d’hôtel, tout cela alors qu’elle était mineure. Les deux protagonistes de cette histoire macabre se sont connus via une application de rencontre, désormais fermée en raison de sa participation à des réseaux de prostitution et de trafic d’êtres humains.
Lors de l'annonce de son verdict, le juge David Wilk a déclaré : «le tribunal est parfaitement au courant des circonstances entourant votre relation avec M. Volar». Il a cependant indiqué que ces dernières n'excusaient pas son geste, «le contraire reviendrait à cautionner une descente dans l'anarchie et le chaos». La condamnation «allégée» de la jeune femme a été possible car en 2022, la Cour Suprême du Wisconsin l’avait déclarée éligible à la «défense affirmative» une première dans cet État. Dans ce cas précis, Chrystul Kizer devait prouver que son crime avait été commis en raison des divers abus qu’elle dit avoir subis, pour qu’une partie des charges soient abandonnées.
Les divers abus décriés par Chrystul Kizer
Lors d'interrogatoires, Chrystul Kizer a déclaré qu'en échange d'actes et de faveurs sexuels souvent filmées, Randall Volar la couvrait d'argent et de cadeaux. Bien que les procureurs aient maintenu tout au long du procès que le seul rôle de ce dernier dans le trafic sexuel de mineurs était celui d'acheteur, Chrystul Kizer affirme qu'il l'avait également prostituée de force à d'autres hommes, informe le Washington Post. Il l’aurait, selon les dires de la jeune femme, abreuvée de drogues pour la conduire dans des hôtels et lui faire rencontrer d'autres pédophiles. Randall Volar aurait ensuite gardé les gains de ce trafic.
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Dans la nuit du 4 juin 2018, Randall Volar envoya un Uber chercher Chrystul Kizer, qui lui disait s’être disputée avec son petit ami. Une fois la jeune fille arrivée, le trentenaire aurait commencé à lui masser la jambe pour initier un rapport sexuel, avant que cette dernière le repousse en disant qu'elle n’en avait pas envie. Chrystul Kizer déclara plus tard aux inspecteurs que Randall Volar l'avait plaquée au sol avant qu'elle ne puisse s'enfuir, fait inlassablement rappelé par son avocate Jennifer Bias qui plaidait la légitime défense. Une fois libérée de son emprise, elle prit une arme à feu dans son sac à main et l'abattu de deux balles dans la tête. Elle mit ensuite le feu à sa maison et s'enfuit à bord de la BMW du trentenaire.
Un homme déjà connu de la justice
Chrystul Kizer ne serait malheureusement pas la seule victime de Randall Volar. Cet homme, qui avait une malformation physique des mains et des jambes, est décrit par les procureurs comme quelqu'un de naïf et socialement maladroit, rappelle le Washington Post. L'homme âgé de 34 ans au moment de sa mort avait travaillé dans des maisons de retraite et dans une station-service, et avait gagné une «somme d'argent substantielle» en tant qu'investisseur précoce dans la cryptomonnaie bitcoin.
La police avait perquisitionné le domicile de Randall Volar trois mois avant qu'il soit abattu par Chrystul Kizer. Cette perquisition avait eu lieu après qu'une jeune fille de 15 ans a été aperçue en train de s'enfuir de chez lui, vêtue d'un soutien-gorge et d'une veste uniquement. Les forces de l'ordre avaient alors trouvé dans une «cachette» des centaines de vidéos d'abus sexuels commis sur une douzaine de jeunes filles noires.
Il y avait, d'après une enquête du Washington Post de 2019, plusieurs vidéos que Randall Volar avait faites de Chrystul Kizer et de jeunes filles qui, parfois, semblaient n'avoir que 12 ans. Le procureur de Kenosha avait pourtant publiquement déclaré que son bureau ne connaissait pas l'âge des victimes, rappelle le quotidien de washingtonien. Après la découverte des vidéos pédopornographiques et malgré l'ouverture d'une enquête le trentenaire avait pu rester en liberté, et continuer de sévir.
Une affaire très médiatisée
L’histoire de Chrystul Kizer et son procès ont attiré l'attention de défenseurs des victimes de traite d’êtres humains à travers les États-Unis et même outre frontières, ainsi que du mouvement #MeToo, qui ont fait pression pour que les charges à son encontre soient abandonnées. Alors que sa mise en liberté sous caution avait initialement été fixée à 1 million de dollars puis réduite en février 2020 à 400.000 dollars, le Chrystul Kizer Defense Committee, le Chicago Community Bond Fund, le Milwaukee Freedom Fund et Survived & Punished se sont cotisés pour la financer. Plus de 1,5 million de personnes ont signé une pétition en ligne pour la soutenir et demander l'abandon des poursuites, rapporte le Milwaukee Journal Sentinel.
Le procureur du comté de Kenosha Michael Graveley a déclaré lors de l’audience : «Nous ne demandons en aucun cas à la Cour de considérer que M. Volar est irréprochable dans cette affaire», tout en soutenant que «le fait qu'il ne soit pas irréprochable en tant que victime n'excuse en rien» le geste de Chrystul Kizer. Il a par ailleurs soutenu tout au long de la procédure judiciaire qu’elle avait commis un meurtre prémédité pour voler la BMW de Randall Volar, en citant des messages postés sur les réseaux sociaux dont un envoyé depuis le domicile de Randall Volar la nuit du meurtre qui disait : «Je vais enfin le faire». Michael Graveley l’a décrite comme étant cupide, impulsive et indigne de confiance, puisqu’elle a changé son histoire à plusieurs reprises depuis son arrestation.
Le juge David Wilk a estimé que même si la traite d'êtres humains constituait un problème réel et grave, il voyait un trop grand fossé entre les déclarations passées de Chrystul Kizer aux forces de l'ordre et la personne repentante qu'elle prétend être selon lui. Cette dernière a eu une enfance difficile, souffrant d'abus sexuels et de pauvreté déjà avant sa rencontre avec Randall Volar en 2016, comme rappelé par son avocate tout au long du procès. David Wilk a décrété que l'enfance de Chrystul Kizer explique les circonstances dans lesquelles elle s'est trouvée, «mais cela ne les excuse pas».
«Je suis emplie de remords et de regrets»
Lors de son audience, s’adressant à la famille de Randall Volar, elle a déclaré : «Je suis emplie de remords et de regrets, et je suis sincèrement désolée». Des excuses qui n’ont pas suffi, puisque le père de Randall Volar a adressé une lettre au juge, l'implorant de ne pas faire preuve d'indulgence à l'égard de celle qui a tué son fils. Elle purgera donc sa peine à l'institution correctionnelle de Taycheedah, la prison d'État pour femmes du Wisconsin, et devrait en sortir à l’âge qu’avait Randall Volar lorsqu’elle le tua.
Claudine O'Leary, une consultante indépendante pour les victimes de la traite d'êtres humains qui a travaillé avec Chrystul Kizer s'est déclarée attristée par cette condamnation dans un mail cité par le New York Times. «Il y a des hommes dans le sud-est du Wisconsin qui se promènent librement aujourd'hui et qui ont payé pour pouvoir abuser sexuellement de Chrystul lorsqu'elle était mineure et ils n'ont jamais eu à répondre de leurs actes», a-t-elle écrit. «C'est le genre d'affaires dont les jeunes se souviendront. Ils diront : “Ils n'ont pas cru Chrystul, pourquoi me croiraient-ils ?”».