Kareen Guiock Thuram : « Le journalisme et la musique sont complémentaires »

D’un pas dansant, Kareen Guiock Thuram s’élance sur la scène du festival Nancy Jazz Pulsations vendredi 10 octobre. Elle porte sur son visage un sourire familier, communicatif, fidèle à celui d’une Antillaise désireuse de « célébrer la vie ». Les 800 spectateurs du soir la connaissent pour ses talents d’interprète de jazz. Le grand public, lui, reconnaît le ton singulier de la présentatrice du « 12.45 », le journal télévisé de la mi-journée diffusé sur la chaîne M6 et qu’elle incarnait entre 2012 et 2023. Depuis deux ans, la journaliste arpente les scènes musicales de l’Hexagone et des outremers au rythme d’une dizaine de dates par an, avec ses trois musiciens.

Sa tournée ? Un hommage à la chanteuse américaine Nina Simone, disparue en 2003, qui a donné son nom à l’album Nina. Le projet, qu’elle porte aux côtés du musicien de jazz Dominique Fillon, est la suite logique de son parcours d’artiste, longtemps effacé par son activité journalistique. En 2023, Jazz Radio le classe parmi les dix meilleurs albums de l’année. Dans le même temps, Kareen Guiock Thuram, mariée à l’ancien footballeur Lilian Thuram, est sacrée « révélation féminine » par Jazz Magazine. Vendredi, avant d’investir la salle Poirel de Nancy, la journaliste-chanteuse s’est confiée au Figaro...

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LE FIGARO. - D’où vous vient cette passion pour la musique, pour le jazz ?

KAREEN GUIOCK THURAM.- Quand j’étais plus jeune, je chantais et je dansais. J’ai grandi en Guyane et en Guadeloupe, où résonne beaucoup de musique caribéenne, brésilienne et africaine. Mon foyer avait une ambiance très “jazz guitare” avec du Stanley Jordan et du George Benson. C’était lui mon premier professeur de chant, le seul musicien vocaliste que nous écoutions à la maison. Mes parents me demandaient souvent de chanter moins fort, car ils n’entendaient pas la télévision ou la radio.

Vous rejoignez la rédaction de M6 en 2001 et vous montez pour la première fois sur scène en 2002. Comment avez-vous mêlé ces deux activités pendant plus de vingt ans ?

Quand je suis arrivée au journal télévisé, j’ai mis en pause la musique le temps de maîtriser l’exercice. Il me fallait au moins trois ou quatre ans d’apprentissage. Puis, j’ai joué en parallèle dans des festivals, à la foire de Paris, en Guadeloupe... Je faisais mes armes dans la soul, puis dans le jazz, ma première école. Pour faire simple, je présentais le JT le midi et je montais sur scène le soir. Mais je me devais d’être honnête avec le public. Quand je présente un journal télévisé, je suis dédié à 100 % à l’information. Quand je fais de la musique, c’est pareil. Je ne peux pas dire sur scène, le soir, que je suis fatigué parce que j’étais à l’antenne le midi. M6 a bien compris cela. La chaîne m’a aidé à trouver une solution pour que je consacre plus de temps à ma carrière musicale.

Kareen Guiock Thuram aux côtés de ses trois musiciens sur la scène du Nancy Jazz Pulsations le 10 octobre 2025. VINCENT ZOBLER-@VINZOBLER

Quel était votre rapport à la scène ?

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J’ai eu beaucoup de mal au début. J’étais timide, tétanisée. Je ne comprenais pas pourquoi les artistes aimaient y retourner. Un jour, nous sommes allés boire un verre avec mon mari dans un club de jazz parisien. Le patron de la salle a insisté pour que je monte sur scène. J’ai été prise d’une crise de panique. J’avais envie de le faire, mais je ne pouvais pas. Les larmes sont montées. Sur le chemin du retour, Lilian m’’a dit « j’ai compris, en fait tu ne veux pas chanter ». Ses propos m’ont débloqué. Le lendemain, je suis retournée dans ce même club et je me suis excusée. Le patron m’a programmée deux fois.

Les journalistes écrivent des livres et ce n’est pas moins impudique

Kareen Guiock Thuram au Figaro

Quel soutien vous apporte Lilian Thuram au quotidien ?

Il est comme moi : obsédé par le travail. C’est le coach mental de toute la famille. Il n’en peut plus, il va s’enfuir un jour ! C’est un phare, une écoute et un appui dans les moments difficiles. Il adorerait chanter ou devenir musicien ! Des fois, il fait croire qu’il est pianiste. Les enfants aussi. Kephren chante très bien. Il interprète à merveille les chansons de Melody Gardot. Marcus fait du rap. Je suis sûre qu’après leur carrière de footballeur, ils se tourneront vers le milieu musical.

Que vous apporte votre expérience journalistique dans ce milieu ? 

Mes années de télévision m’ont donné plus de sang-froid. J’étais obligé d’avoir une certaine capacité à prendre le contrôle de la situation et à ne pas me laisser déborder lorsque je faisais des directs devant des milliers de téléspectateurs. Les deux métiers sont vraiment complémentaires.

Kareen Guiock Thuram interprète depuis 2023 la discographie de Nina Simone sur scène. VINCENT ZOBLER-@VINZOBLER
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Avez-vous peur du regard des gens sur cette double activité ?

Les journalistes écrivent des livres et ce n’est pas moins impudique. Beaucoup y racontent leur vie intime et s’y mettent à nu. Nous nous empêchons de faire certaines choses, car nous pensons que nous n’avons pas le droit de les faire. Finalement, nous devons saisir l’opportunité. C’est vrai, si je faisais de la dance hall ou du métal, ce serait plus clivant. J’aime dire qu’il faut exploiter ses talents. Écoutons notre inspiration et suivons-la.

D’où vient votre admiration pour Nina Simone ?

Je l’ai découverte à l’adolescence. J’ai été bouleversée quand j’ai écouté le morceau Good Bait. C’est uniquement du piano, mais j’avais l’impression qu’elle chantait. Le musicien Dominique Fillon m’a proposé ce projet et ça s’est imposé comme une évidence. Il ne fallait pas que je rejoue ses morceaux à l’identique. Ça n’aurait eu aucun intérêt. Autant écouter directement Nina Simone, géniale et inimitable. Nous nous sommes astreints à respecter son élégance, son authenticité, sa chaleur, sa sobriété, son côté très classieux. Nous voulions aussi raconter son combat pour les droits civiques des Afro-Américains qu’elle chante dans Mississippi Goddam, ses histoires d’amour avec I put a spell on you et mettre à l’honneur ses grands classiques comme My baby just cares for me. C’est une exploration de son œuvre et de ses combats.

Je n’ai pas de raison de faire de choix, car je suis bien dans les deux

Kareen Guiock Thuram au Figaro

Chanter Nina Simone, c’est aussi de porter un discours militant. Est-ce difficile pour une journaliste ?

La musique est politique. L’art est politique. Nina Simone l’était aussi. Je suis une femme noire. Nous avons une histoire extrêmement proche. Je sais à quel point ce monde n’est pas fait pour nous. Je ne pouvais qu’épouser ses combats, car ce sont aussi les miens et ils devraient animer n’importe quel être humain. Personne ne peut vous reprocher de défendre l’égalité et la justice. C’est une lutte pour l’humanité qui ne devrait pas poser question.

Pensez-vous devoir faire un choix entre la musique et le journalisme ? 

Pour l’instant, ça ne s’impose pas. Je suis très heureuse de présenter le « 66 minutes » et de garder un contact hebdomadaire avec les Français. En janvier 2026, je fêterai mes 25 ans chez M6. C’est une histoire de fidélité et de grande loyauté. Je n’ai pas de raison de faire de choix, car je suis bien dans les deux.

Kareen Guiock Thuram présente encore, en parallèle de sa carrière d’artiste, l’émission «66 minutes» le dimanche sur la chaîne M6. VINCENT ZOBLER-@VINZOBLER