La baisse des taux de la BCE "n'a pas un impact direct sur les taux des crédits immobiliers", selon le directeur général de BNP Paribas

Comment se porte l'économie française avec une croissance et une inflation faible, des défaillances d'entreprises élevées et une consommation des ménages qui ralentit ? Mais aussi dans un contexte de guerre commerciale internationale initiée par Donald Trump avec les hausses des droits de douane. Ce sont les questions auxquelles tente de répondre, vendredi 6 juin, Thierry Laborde le directeur général délégué de BNP Paribas.

franceinfo : La Banque centrale européenne vient de baisser ses principaux taux directeurs pour la huitième fois en un an. Est-ce que concrètement, ça signifie qu'avec quelques mois de décalage, les taux d'intérêt des crédits immobiliers vont baisser pour les particuliers ?

L'impact de cette baisse des taux de la Banque centrale européenne, il était déjà anticipé et ça n'a pas un impact direct sur les taux des crédits immobiliers. Le taux des crédits immobiliers, il se refinance non pas à un an ou à deux ans, mais à dix ans. Donc c'est sur des taux plus longs. Et les taux plus longs sont un peu plus élevés que les taux courts de la Banque centrale européenne. Ça aura un impact, mais pas un impact direct à hauteur du 2% qu'on anticipe. Et là où c'est intéressant, c'est que c'est un facteur de soutien pour les entreprises. Parce que les entreprises, elles en prennent plus courts. Donc là, c'est très important pour donner confiance aux entreprises, puisqu'on voit quand même quelques délais de décision qui se sont rallongés avec l'incertitude qu'on connaît depuis le début de l'année. Donc ça, c'est un facteur de soutien important pour la confiance des entrepreneurs en France et en Europe.

Vos clients, ce sont les particuliers, mais aussi les entreprises. Les défaillances, on l'a vu, ont été très élevées ces deux dernières années. Elles restent à un niveau élevé. Est-ce que vous, comme banquier, vous voyez des entreprises qui ont aujourd'hui des problèmes de trésorerie, qui ne payent pas leurs factures, qui ne payent pas leurs fournisseurs ?

On peut voir dans certains secteurs, plutôt ceux des entreprises de proximité, des entreprises plus petites sur des secteurs de commerce au détail, là, ce sont des secteurs qui ont bien sûr souffert. On peut avoir des approches sectorielles, dans la viticulture, qui sont là aussi impactées par les menaces. Mais globalement, nous, ce que nous voyons sur notre fonds de commerce, c'est un fonds de commerce qui tient bien, en tout cas un coût du risque, qui est le premier marqueur pour une banque, d'une dégradation des entreprises qui se situe à un niveau bas.

Selon l'ancien ministre de l'Économie, Arnaud Montebourg, il y a la question des prêts garantis par l'Etat (PGE) souscrits pendant le Covid qui n'ont pas tous été remboursés. Il reste 40 milliards à rembourser, selon Bpifrance. Pour vous, ce n'est pas un risque ?

Non, ce n'est pas un risque puisque, en tout cas, pour nous, je regarde à l'aune de notre fonds de commerce, 85% de ces PGE sont remboursés. Donc il reste une petite fin de remboursement, mais on ne voit pas de risques majeurs, et en tout cas pour les finances publiques, tout cela est couvert par les commissions. Parce qu'il ne faut jamais oublier que sur les PGE, l'Etat a encaissé des commissions versées par les entreprises pour rémunérer la garantie de l'Etat sur ces prêts garantis par les pots. Donc ça, ce n'est pas du tout un facteur de risque.

Pas de facteur de risque de défaillances supplémentaires des entreprises qui ne pourraient pas rembourser leurs PGE ?

En revanche, il y a des entreprises dont le cycle de vie se termine un peu. Elles ont été soutenues un peu artificiellement pendant la phase Covid. Il est normal qu'on retrouve un cycle plus normal de renouvellement du tissu entrepreneurial. En revanche, ce qui est très important, ce que nous disent aussi nos clients, plutôt les grands, puisque c'est ceux que nous avons vus ces trois derniers jours à Paris, puisqu'on a organisé notre conférence dirigeants d'entreprises de toutes les grandes entreprises mondiales, c'est qu'on commence à voir, certains nous le disent en tout cas, des signaux avant coureurs de reprise de la croissance en Europe. Donc ça, c'est un signal très positif, tiré par beaucoup la conviction, et en tout cas la crédibilité, des politiques budgétaires annoncées par le nouveau chancelier allemand. Il y a quand même un bazooka en termes de relance budgétaire très important et tous les clients allemands que nous avons vus, et l'économie française est très dépendante de l'économie européenne, mais aussi de l'économie allemande, tous nous disent vraiment "c'est crédible" et on devrait voir dès l'été les premiers signaux positifs de cette relance budgétaire allemande.

Malgré le contexte international géopolitique, avec notamment le risque de hausse des droits de douane pour les Etats-Unis, vous avez l'impression que ça ne suffira pas à freiner les investissements des entreprises françaises et européennes ?

Ce que l'on voit aujourd'hui. Là, nous sommes au mois de juin 2025. On voit, et ça, c'est un marqueur très important de la reprise à venir, une reprise des volumes sur le transport maritime. C'est presque contre intuitif. Il y a eu un effet d'à-coup très bas, de baisse de ces volumes au mois d'avril, mais on voit en mai et début juin une reprise de ces volumes. Ça, c'est tous les grands transporteurs mondiaux qui ont vraiment un bon indicateur avancé de reprise de l'économie. Et on voit encore ces éléments de confiance dans la relance budgétaire allemande, qui donne confiance à beaucoup d'entreprises.

Et donc ça, c'est l'Europe qui va en profiter ?

Exactement. Et plutôt l'Europe d'ailleurs que les États-Unis. On a vu les derniers chiffres aux Etats-Unis, ils sont quand même beaucoup moins bons. Donc c'est d'abord l'économie américaine qui va un peu souffrir parce qu'il y a quand même des tensions inflationnistes, il y a des hausses de prix. Il y a beaucoup d'entreprises européennes qui sont aux Etats-Unis, qui importent leurs biens aux Etats-Unis et qui vont augmenter les prix. 

"On sait qu'il y a un sous-jacent inflationniste aux Etats-Unis fort, que les taux ne vont pas baisser."

Thierry Laborde

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D'ailleurs, Jerome Powell, le président de la Fed, résiste aux pressions politiques, il est indépendant, il a raison de résister. Et donc l'économie américaine va être dans une situation un peu plus difficile.

Donc ça signifie que l'économie européenne devrait en bénéficier ?

Exactement et avec en plus quelque chose qui est un peu nouveau. Il faut le temps que ça se matérialise, mais vous avez peut-être vu, ça a été annoncé hier, jeudi, le lancement du label européen sur des produits d'épargne pour labelliser des produits d'épargne pour les Européens qui investissent à 70% dans les actions ou les obligations d'entreprises européennes. Et nous, ce que l'on voit chez BNP Paribas, c'est quand même des allocations d'actifs qui allaient plus sur les Etats-Unis et qui ont tendance à revenir sur le continent européen.

Le projet d'euro numérique, cher à la Banque centrale européenne, pourrait, au sein de la zone euro, permettre aux clients de se passer des réseaux de paiements américains qu'on utilise tous au quotidien Visa, Mastercard pour les transactions. Pourquoi les banques n'y sont pas favorables ?

Ce n'est pas que nous ne sommes pas favorables, c'est que nous ne trouvons pas la raison d'être d'un tel projet. Puisque les cas d'usage, quand vous êtes en France, en Europe, vous arrivez à payer partout sans aucune difficulté. La faille de marché n'existe pas sur les paiements en Europe. C'est encore plus vrai en France, où les paiements sont d'ailleurs très souverains puisque le premier réseau de paiements en France, il est totalement français. Il est propriétaire des banques françaises mais aussi des grands commerçants français et il s'appelle Carte bancaire. Et ce réseau, il a réinvesti dans la technologie, il a réinvesti dans l'innovation et il assure quelque part la souveraineté des paiements en France.

Mais on utilise tous Mastercard ou Visa pour nos transactions ?

Non, non. En France, vous utilisez majoritairement des cartes qu'on appelle co-marquées avec les deux marques. Et quand vous payez avec une carte, carte bancaire visa, carte bancaire Mastercard, en France, c'est le réseau français qui est utilisé. Ce n'est pas le réseau américain. Ce que veulent faire les acteurs nord américains, c'est faire que leur carte soit mono marque seulement Visa, seulement Mastercard. Et en France, nous avons trouvé cet accord de carte qui est co-marquée et qui permet de bien répartir les usages hors des frontières quand le paiement n'est pas fait en paiement domestique et quand il est fait en paiement domestique, c'est bien les infrastructures nationales qui sont utilisées et qui en assurent la souveraineté.

Ce que vous dites à la BCE, c'est qu'on n'a pas besoin de cet euro numérique ?

Un, on n'en a pas besoin. En tout cas, on ne comprend pas les raisons. Il vaut mieux qu'on nous les explique parce qu'on ne les comprend pas. Deux, le coût de ce projet, et je le dis, est faramineux. L'étude vient d'être publiée hier. Elle est estimée pour le seul coût d'implémentation de la solution dans le monde bancaire européen, entre 18 et 30 milliards d'euros.

À payer par les banques ?

Payer par les Banques.

Et donc vous dites non à cette euro numérique en l'état ?

Alors qu'il n'y a pas d'usage, qu'il n'y a pas de failles de marché, c'est un peu dommage d'utiliser une telle capacité d'investissement alors que l'Europe a besoin de beaucoup d'autres investissements que les banques peuvent financer plutôt que de les investir dans ce projet qui n'a pas de cas d'usage. Et puis la deuxième raison, il ne faut pas l'oublier. C'est important pour vos auditeurs. C'est qu'il y a un petit risque quand même sur la stabilité financière. Parce qu'un euro numérique avec de la monnaie Banque centrale, les dépôts, ils ne sont plus dans la banque, ils sont sur les comptes de la Banque centrale. Donc ce sont des dépôts que vous ne pouvez plus utiliser pour financer l'économie. Ça c'est essentiel.