Sous-effectif, vidéosurveillance, narcotrafic : les dysfonctionnements de la police marseillaise pointés par la Cour des comptes

Le Figaro Marseille

C'est un rapport explosif, publié dans un contexte qui l'est tout autant sur le Vieux Port. Plusieurs jours après l'arrestation de membres de la DZ Mafia et plusieurs narchomicides à Marseille, la Cour des comptes s’est penchée sur l'action de la police dans la cité phocéenne, avec des constats parfois aussi cinglants qu'amers. De la vidéosurveillance à la stratégie contre le narcotrafic, les magistrats ont formulé une liste de recommandations censées améliorer la situation.

Des policiers accaparés par le narcotrafic

La Cour des comptes le concède : la lutte contre le narcotrafic occupe énormément les forces de l'ordre dans la cité phocéenne. Il faut dire qu'il y a de quoi avec un nombre d'interpellations liées à ce type d'infraction qui a plus que doublé en sept ans. «Entre 2016 et 2023, le nombre de mis en cause pour usage de stupéfiants a plus que quadruplé à Marseille», peut-on lire encore dans le rapport.

La nouvelle stratégie de «pilonnage» des points de deal marseillais mise en œuvre à la sortie de la crise sanitaire porterait ses fruits. «L'intensification de la lutte contre le trafic de stupéfiants présente des résultats positifs», estime le rapport. Pour autant, les magistrats émettent quelques réserves. La Cour des comptes déplore ainsi que, depuis 2016, le taux d'élucidation des narchomicides à Marseille est «quasi systématiquement inférieur» à celui de Paris. «Le taux d'élucidation des homicides à Marseille connaît une forte baisse en 2022 : 22 % contre 45 % en 2021», note le rapport.

Surtout, à en croire les magistrats, la lutte contre le narcotrafic accapare les policiers au point qu'ils n'ont plus le temps d'effectuer les autres missions qui leur incombent. «Les policiers de la sécurité publique ont consacré en 2023 31,6 % de leur temps à des missions sur la voie publique, contre 30,3 % en 2020», affirment les magistrats. «En particulier, les patrouilles pédestres représentent une faible proportion du temps policier disponible : 0,5 % en 2021 et 2022 , et 0,4 % en 2023.»

«L'engagement permanent de moyens considérables contre le trafic de stupéfiants réduit mécaniquement la disponibilité des policiers sur la voie publique, estime la Cour des comptes. En particulier, la police secours intervient mois qu'auparavant à la suite d'appels au 17. Cette concentration des moyens contre le trafic de stupéfiants conduit également à délaisser d'autres champs infractionnels.» Ainsi, selon le rapport, les escroqueries et infractions économiques et financières ont augmenté à Marseille de 31 % entre 2016 et 2023, mais le taux d'élucidation a été réduit de plus de moitié, de 63 % à 29,8 %. 

Des forces de l'ordre en sous-effectif

Durant son passage à Beauvau, entre 2020 et 2024, Gérald Darmanin le clamait à chacune de ses nombreuses visites dans la cité phocéenne. À la faveur du plan Marseille en grand, le ministère de l'Intérieur avait considérablement renforcé les effectifs de la police nationale dans la cité phocéenne, annonçant en septembre 2021 300 policiers supplémentaires. De fait, plus de 400 agents sont venus renforcer les rangs des forces de l'ordre, que ce soit au niveau de la sécurité publique ou de la police judiciaire. Il s'agit toutefois essentiellement de jeunes recrues sorties d'école, y compris dans les rangs de la très technique police judiciaire.

«Ces renforts, essentiellement constitués d'agents sortis d'écoles, sont neutralisés par des départs de plus en plus nombreux, qu'il s'agisse de retraites anticipées ou des demandes d'affectations dans des zones dans lesquelles l'intensité des missions est moindre», peut-on lire dans le rapport.

De plus, ce renfort décidé par Gérald Darmanin demeure en deçà de ce que bénéficiait Marseille en 2016. «Les effectifs policiers à Marseille, tous corps confondus, ont chuté entre 2016 et 2020», s'alarment même les magistrats. «Vu l'ampleur de la délinquance sur place et la dégradation d'un certain nombre d'indicateurs, il faut renforcer les effectifs», plaide-t-on du côté de la Cour des comptes. Cette dernière n'entend pas inclure dans ce renfort d'effectifs les différentes compagnies de CRS basées à Marseille car elles sont mobilisables partout sur le territoire. La crise se retrouve aussi dans les rangs de la police judiciaire, désertés en partie en raison d’horaires moins avantageux que dans les autres services.

Ce sous-effectif frappe enfin de plein fouet l'antenne marseillaise de l'inspection générale de la police nationale, qui comptait au 1er janvier 2024 5,5 agents pour un effectif théorique de 14 agents. Les magistrats appellent ainsi à «pourvoir sans délai les emplois vacants» dans ce service.

Alors que Marseille peine à attirer et retenir de nouveaux policiers sur le Vieux-Port, la Cour des comptes suggère également de créer «une indemnité de fidélisation versée aux effectifs de police exerçant dans les divisions les moins attractives de Marseille pendant une durée continue de cinq ans.»

Une vidéoprotection à développer d'urgence

Point d'achoppement entre le maire de Marseille, Benoît Payan, et son opposition à droite, le déploiement très lent de caméras de vidéoprotectionn'a pas échappé aux magistrats qui le déplorent. Le plan Marseille en grand prévoyait ainsi de doter la ville de 500 caméras. Or, selon le rapport, seules 90 étaient installées et opérationnelles au 30 juin dernier. «Au regard des enjeux de sécurité dans la deuxième ville de France, ce déploiement devient indispensable», estime la Cour des comptes.

Autre signe que ce point est actuellement délaissé par la municipalité selon les magistrats : la dernière convention spécifique entre la préfecture de police des Bouches-du-Rhône et la ville de Marseille relative à la coopération en matière de vidéoprotection a été signée entre 2015 pour une durée de cinq ans. Depuis ? Plus rien. «Elle doit être renouvelée rapidement», plaide encore la Cour des comptes. Un exemple qui démontre plus globalement des problèmes de coopération avec la police municipale selon les magistrats, qui incitent policiers municipaux et nationaux à partager davantage les informations sur la sécurité du quotidien et patrouiller ensemble plus fréquemment.

Le préfet de police des Bouches-du-Rhône dans le viseur

Depuis 2012, une préfecture de police œuvre à Marseille sur les questions de sécurité, en lieu et place d'un préfet délégué aux questions de sécurité comme il en existe dans d'autres villes. La solution proposée par le gouvernement de l'époque se voulait une réponse aux difficultés qui subsistaient dans la seconde ville de France en la matière. 

Cette autorité est indépendante de la préfecture de région. Mais à en croire le rapport, la répartition des compétences entre préfecture et préfecture de police demeure parfois floue, au point de créer «des conflits de compétence et de tensions». Les magistrats citent ainsi le mouvement de foule survenue après l'arrivée de la flamme olympique sur le Vieux-Port, juste avant le concert de Soprano. Un moment de flottement avait suivi, le temps de déterminer qui du préfet de région ou du préfet de police devait décider de l'annulation éventuelle du concert.

«Un rattachement hiérarchique du préfet de police au préfet de département, tout en conservant au premier son appellation et des attributions larges pourrait renforcer la clarté de l'action de l'État dans le département des Bouches-du-Rhône», estime la Cour des comptes. Un point qui reste désormais entre les mains de l'actuel ministre de l'Intérieur Bruno Retailleau, dont la visite officielle est attendue prochainement sur la Canebière.