«Un signe de l’au-delà» : Jean-Luc, 62 ans, rachète sa 304 cabriolet, 25 ans après l’avoir vendue
DANS MON GARAGE - Chaque vendredi, des automobilistes présentent au Figaro leurs véhicules d’exception. Aujourd’hui, Jean-Luc, habitant de Valence dans la Drôme, nous raconte l’histoire extraordinaire de sa Peugeot 304 S cabriolet de 1975.
Passer la publicité Passer la publicitéNous sommes en 1985. Jean-Luc, 22 ans, dépose alors une annonce dans l’Est Républicain, à la recherche d’un véhicule pour ses déplacements quotidiens. Dès le lendemain, un employé Peugeot le contacte Il possède une 304 S cabriolet de 1975, blanche, mise à prix : 4000 francs. «Elle n’était pas en très bel état mais elle roulait», se souvient-il. L’affaire est conclue.
Dans la grande maison de la grand-mère de Jean-Luc, en Franche-Comté, commence alors une aventure de plusieurs mois. Démontage intégral, sablage, relookage avec de la peinture bleu métallisé. Des centaines d’heures de travail, des soirées entières passées dans le garage. «Ma grand-mère qui vivait seule était très heureuse d’avoir souvent ma compagnie», raconte-t-il. Ces longues heures de travail sont l’occasion de renforcer le lien avec elle. D’apparence rien à voir avec la 304 S cabriolet. Surtout ce soir où elle lui confie sa conviction : «Les morts veillent sur les vivants». Réponse de Jean-Luc : «Grand-mère, quand tu seras morte, promets-moi de me faire un signe évident qu’il y a une existence après la mort, un signe que je ne puisse confondre avec rien d’autre.» Elle répond : «Je te promets de faire ce que je pourrai».
Une si brutale séparation
Deux belles années passent avec sa 304 métamorphosée. Jantes Gotti dorées, volant blanc, moquette rouge... Le style années 80 assumé. Mais la réalité économique rattrape le jeune homme. «C’était déjà la crise à cette époque», s’interrompt-il. «À cause de mes finances, je l’ai vendue à un copain mécano en 88 car il fallait refaire tout le système de freinage. J’avais aussi une moto à l’époque, il a fallu faire un choix». Son ami la garde un an, puis un garage Peugeot la rachète, la voiture disparaît des radars.
Un simple pincement au cœur, vite estompé dans l’effervescence de ses 20 ans. Jean-Luc ne sait pas encore qu’en s’en séparant, c’était aussi une belle partie de sa jeunesse qui s’évanouissait. Cap au Sud. Une opportunité professionnelle le mène à Valence, dans la Drôme, où il vit depuis plus de 30 ans. La vie passe, un mariage avec «une femme super», trois enfants, une famille avec laquelle il se consacre à d’autres passions : la course à pied, des marathons, des dizaines de compétitions... Mais de temps à autre, il jette un coup d’œil aux 304 sur Leboncoin. Et quelquefois, dans certains rêves, «j’ai ma 304...», confie Jean-Luc. À chaque retour en Franche-Comté chez ses parents, la nostalgie reprend le pas. «Par réflexe, machinalement, je jetais toujours un coup d’œil dans le garage qui avait acheté ma 304. Au cas où...»
Le destin
En 2013, un nouveau directeur arrive dans l’entreprise de Jean-Luc. Franc-comtois comme lui, passionné de course à pied aussi. Les deux hommes sympathisent rapidement et partent s’entraîner ensemble. Son nom ? Le même que celui du garage Peugeot où il avait acheté la 304. Jean-Luc lui pose la question qui lui brûle les lèvres. Le garagiste est-il quelqu’un de sa famille ? «Oui, c’est mon père, il est maintenant en retraite.», répond le directeur. «Te souviens-tu avoir vu une 304 cabriolet bleu métal ?», poursuit Jean-Luc. «Non seulement je l’ai vue, mais mon père la possède encore », répond l’homme. Mais rien n’est simple... La voiture est restée au garage et le nouveau directeur est en froid avec son père, impossible de rentrer en contact avec lui, ou d’organiser une visite.
Quelques mois plus tard, Jean-Luc se rend enfin dans ce fameux garage. «Ce fut un choc, c’était très imprudent, je n’avais pas de défibrillateur à proximité, plaisante Jean-Luc, elle était exactement comme je l’avais vendue il y a 28 ans. Dans le moindre détail, avec le hard-top qui était déjà là avant la restauration chez ma grand-mère». Le signe de vie après la mort dont lui parlait cette dernière est enfin arrivé. «Statistiquement, j’avais autant de chances de gagner à l’Euromillion que de posséder à nouveau cette voiture», résume-t-il.
25 ans après
Jean-Luc fait un tour d’essai avec son fils cadet de 12 ans. Cinq minutes plus tard, à leur retour, le propriétaire lui dit, sans qu’il le demande, que «cela lui ferait plaisir de me la vendre». Le prix est raisonnable : 5000 euros. Mais il y a plus troublant encore. «Le garagiste avait trouvé un acheteur trois mois plus tôt et lui avait redonné son acompte, refusant de finaliser la vente au jeune conducteur, pressentant qu’il allait “casser” cette voiture. C’est improbable, j’y vois un signe de l’au-delà», confie Jean-Luc.
L’histoire aurait pu s’arrêter là. Mais Jean-Luc pousse plus loin sa quête. «J’avais conservé la plaque d’immatriculation de Franche-Comté ». Grâce à un ami, il retrouve l’adresse du tout premier propriétaire, un chauffeur qui vit désormais au pied du Ventoux. «Un jour, en me promenant près de son domicile, j’ai mis un mot dans sa boîte aux lettres : “Si c’est vous qui aviez cette voiture il y a 40 ans, voilà mon numéro”. L’homme était très, très heureux. Il a dit à ses enfants que la voiture existait encore, il m’a raconté des souvenirs, envoyé des photos». Que d’émotions, qui racontent les complicités que tissent vivants, morts, voisins, collègues et inconnus autour de la singularité d’un modèle automobile.