«Ses efforts pour paraître intimidante étaient comiques» : Graydon Carter, figure iconique de Vanity Fair, règle ses comptes avec Anna Wintour

Il fut l’emblématique rédacteur en chef du magazine Vanity Fair US. Pendant vingt-cinq ans, Graydon Carter a incarné le mensuel américain dédié au monde du pouvoir et de la mode. Après avoir passé le flambeau en 2017 et lancé la newsletter Air Mail en 2019, l’homme de 75 ans publie ses mémoires, When the Going Was Good, une rétrospective sur son ascension et ses relations avec les figures majeures du journalisme new-yorkais. Parmi elles, Anna Wintour, dont il dresse un portrait à la fois admiratif et caustique. Interrogé par le New York Times en amont de la sortie de son livre, Graydon Carter est ainsi revenu sur sa relation contrastée avec celle que l’on surnomme la «papesse de la mode».

Un excès de puissance

Avant d’intégrer Vanity Fair en 1992, Graydon Carter avait cofondé le magazine satirique Spy dans les années 80. Il connaissait déjà Anna Wintour, rédactrice en chef de Vogue depuis 1988, et leur relation était empreinte de respect mutuel. Mais tout change en 2013, explique-t-il, lorsque la journaliste est promue directrice artistique de Condé Nast, renforçant encore son emprise sur le groupe — propriétaire de The New Yorker, Vogue, Vanity Fair, GQ ou encore Glamour. «J’ai beaucoup d’affection pour Anna, mais elle a embrassé le pouvoir plutôt que de rester l’amie complice et chaleureuse qu’elle était autrefois», raconte ainsi Graydon Carter. S’il se dit impressionné par l’appétit insatiable de sa collègue pour les responsabilités, il admet, en revanche, avoir quant à lui toujours cherché à s’en préserver.

L’ex-rédacteur en chef de Vanity Fair ne cache pas avoir été déconcerté par l’autorité et la froideur de sa collègue. Il revient notamment sur ce jour où, après sa nomination, Wintour l’a appelé pour lui annoncer, sur un ton détaché, que près de la moitié de son équipe allait être transférée sous sa supervision. Dans son livre, il raconte avoir été «sans voix» face à cette annonce, qui marquait selon lui le début de son déclin au sein du magazine. Derrière cette façade impassible, Carter perçoit chez Wintour une volonté d’intimider : «Autant je l’aimais bien, autant j’ai trouvé que ses tentatives pour paraître intimidante et puissante étaient presque comiques.»

Il évoque notamment cette scène où, alors que leurs fils, également camarades de classe, participaient à un spectacle scolaire, Anna Wintour se serait installée au premier rang, lunettes de soleil vissées sur le nez malgré l’éclairage tamisé. «J’ai failli éclater de rire et j’ai dû détourner le regard», ironise-t-il.

Anna Wintour et Graydon Carter. THOS ROBINSON / Getty Images via AFP

Un steak à emporter

Graydon Carter égratigne enfin son ancienne rivale sur ses habitudes alimentaires et ses réflexes au restaurant. Connu pour ses fastueuses soirées aux Oscars, il se moque du pragmatisme quasi militaire de la rédactrice en chef de Vogue : «Dîner avec elle au restaurant, c’est comme assister à une démonstration d’efficacité digne d’un expert de chez McKinsey, relate-t-il encore. On est assis à 20h. Pas besoin de voir le menu. Un steak, saignant. Je ne sais pas si elle boit. Je ne pense pas. Et quand il y a du personnel de Vogue, dès qu’Anna a mangé le dernier morceau de steak, on appelle pour l’addition. Même si ses compagnons de table sont encore en train de manger. Il m’arrive souvent, après un repas avec elle, de m’arrêter sur le chemin du retour pour manger quelque chose.»

Face à ces piques, Anna Wintour n’a pas réagi frontalement. Dans une déclaration laconique, elle s’est contentée d’affirmer : «C’était merveilleux d’avoir Graydon comme collègue, d’abord chez Vogue, puis chez Vanity Fair. Nous avons passé de très bons moments ensemble. J’ai hâte de lire son livre et je lui souhaite le meilleur.»