«Profond mépris», «mauvaise foi criante» : foire d’empoigne entre les maires de Toulouse et Bordeaux sur la LGV

«Profond mépris», «mauvaise foi criante» : foire d’empoigne entre les maires de Toulouse et Bordeaux sur la LGV

Les maires Jean-Luc Moudenc (à gauche) et Pierre Hurmic (à droite). AFP / LIONEL BONAVENTURE / LUDOVIC MARIN

Jean-Luc Moudenc, maire Les Républicains de Toulouse, accuse Pierre Hurmic, son homologue écologiste bordelais, de revenir sur un engagement pris vis-à-vis des Toulousains.

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Le Figaro Bordeaux

Une ligne à grande vitesse (LGV) pourrait bientôt rapprocher Bordeaux et Toulouse, mais visiblement pas les maires de ces deux villes. Ce mardi, Jean-Luc Moudenc, maire Les Républicains de Toulouse, a lancé sur X une volée de bois vert à l’encontre de Pierre Hurmic, l’édile écologiste bordelais, fervent défenseur du «train du quotidien» mais opposé à cette LGV qu’il juge coûteuse et destructrice d’espaces naturels. Le maire de Bordeaux a répondu à ces invectives, lesquelles témoignent de deux visions du monde radicalement différentes à la tête des deux plus grandes villes installées sur la Garonne.

Ce chantier de ligne à grande vitesse fait couler beaucoup d'encre. Il s'inscrit dans le Grand projet ferroviaire du Sud-Ouest (GPSO), qui prévoit de relier Bordeaux à Toulouse puis à l'Espagne via Dax en LGV, pour un coût estimé à au moins 14,3 milliards d’euros. Décrié par de nombreux élus locaux et parlementaires girondins de droite comme de gauche, le GPSO prévoit de détruire près de 5000 hectares d'espaces naturels, alors que ses opposants défendent une rénovation des lignes existantes pour un gain de temps presque équivalent, mais à moindre coût économique et environnemental.

En Haute-Garonne, le GPSO est toutefois attendu de pied ferme. Jean-Luc Moudenc juge que «les habitants de la métropole toulousaine ont payé pour que Bordeaux ait sa LGV», et que par ses prises de position, Pierre Hurmic reviendrait «sur l’engagement pris vis-à-vis des Toulousains il y a plus de 25 ans, lorsque la LGV Paris-Bordeaux était en projet». Une affirmation démentie par l’écologiste, qui rappelle que «les Toulousains ont aussi profité de la LGV entre Bordeaux et Paris puisque de fait, comme les Bordelais, ils ont gagné une heure». Selon lui, «leur participation à ce financement était tout à fait cohérente, sans qu’il soit acté nulle part qu’il faille aller au-delà de cette LGV».

Un projet «plébiscité par 78% des Français»

Mais Jean-Luc Moudenc accuse en outre Pierre Hurmic de faire montre d’«un profond mépris pour tous les habitants et usagers du rail des Landes, du Pays basque, du Béarn ainsi que du midi toulousain et agenais». Le maire écologiste de Bordeaux rétorque qu’il s’agirait au contraire d’un «mépris de la démocratie», car ce projet «méprise les maires du Sud Gironde qui ont tous dit qu’il s’agirait d’une balafre qui fragmenterait et défigurerait leurs communes».

Ces 80 élus locaux environ sont d’ailleurs soutenus par des parlementaires ainsi que cinq des six des sénateurs de la Gironde, «dont certains sont proches de la sensibilité de monsieur Moudenc», tance Pierre Hurmic, ajoutant que «la communauté d’agglomération du Pays basque a voté contre le principe d’une LGV entre Bordeaux et Dax, disant clairement qu’ils voulaient une amélioration des lignes existantes»Les maires de Bordeaux, Bayonne et Irun ont de surcroît lancé un appel en ce sens au début de l’année 2023.

Mais reprenant un sondage récent, Jean-Luc Moudenc assure que cette LGV serait «plébiscitée par 78% des Français». Selon lui, Pierre Hurmic nierait donc «un besoin réel de créer une alternative décarbonée à la voiture et à l’avion pour rejoindre Paris depuis Toulouse», et préfèrerait «un mur de camions entre Bordeaux et l’Espagne plutôt que d’augmenter les capacités ferroviaires pour le report modal». Des arguments «d’une mauvaise foi criante», déplore le maire de Bordeaux auprès du Figaro. «La LGV s’est considérablement développée en France et le transport de marchandises n’a fait que reculer, on est le cancre de l’Europe en la matière, c’est un choix politique. Qu’on ne nous dise pas qu’on a besoin de nouvelles lignes de chemin de fer pour le fret, car toute l’histoire de la SNCF prouve exactement l’inverse.»

14 milliards d’euros pour 20 minutes de trajet

En aval et en amont du fleuve, une vraie bataille des chiffres a déjà lieu. «En 2015, une enquête publique a réuni 14.000 avis, ce qui est énorme, dont 93% négatifs, ce qui fait que la commission d’enquête elle-même, et c’est rare, a émis un avis défavorable, considérant que le projet était peu pertinent compte tenu de la hauteur de l’investissement et des retombées attendues», explique Pierre Hurmic. Le maire de Bordeaux cite également un rapport de la Cour des comptes de 2014, intitulé «La grande vitesse ferroviaire : un modèle porté au-delà de sa pertinence», selon lequel «l'emballement pour la grande vitesse s'oppose aux coûts croissants de réalisation des LGV joints à leur rentabilité décroissante, les lignes les plus pertinentes ayant été construites en premier».

«Il se trouve que Toulouse a du mal à accepter d’être plus loin de Paris que Bordeaux», estime Pierre Hurmic. «Ce n’est pas le fruit de l’histoire mais de la géographie. Il faut arrêter cette compétition en disant “eux, ils ont la LGV et moi je ne l’ai pas”, car à un moment donné il faut dire qu’il y a d’autres solutions plus pertinentes et moins onéreuses que la LGV pour rapprocher des villes.» Selon l’édile écologiste, la réhabilitation de la ligne actuelle pourrait permettre un écart d’environ «20 à 30 minutes par rapport au projet de LGV». «Est-ce que cela vaut vraiment le coup de dépenser plus de 14 milliards d’euros pour raccourcir un trajet de seulement 20 minutes ? Je ne le crois pas.»