Bilan humain, alimentation, énergie... : où en est Mayotte après le passage du cyclone Chido ?

Le bilan du passage dévastateur du cyclone Chido à Mayotte s'est alourdi, vendredi 20 décembre, à au moins 35 morts, 67 blessés graves et 2 432 blessés légers, selon un décompte du ministère de l'Intérieur. Mais "le nombre de morts n’est pas en adéquation avec la réalité des 100 000 personnes qui vivent dans un habitat précaire". Le préfet a donc ordonné au sous-préfet la mise en place d’une mission de recherche des morts ; "70 % des habitants ont été gravement touchés", précise le ministère dans un communiqué.

Un archipel que le président français Emmanuel Macron a quitté vendredi 20 décembre après une visite d'un peu plus de 24 heures. Dans quel état se trouve ce département d'outre-mer six jours après le passage du cyclone le plus violent depuis 90 ans ? 

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OUTRE-MER © France 24

L’épineuse question du bilan humain

Parmi les 35 victimes annoncées officiellement, 22 décès ont été recensés à l'hôpital et neuf par des communes du département le plus pauvre de France. Un bilan très faible au vu des dizaines de milliers de personnes vivant sur cet archipel dans des bidonvilles rayés de la carte par le cyclone. Au 1er janvier 2024, la population de Mayotte était estimée à 321 000 personnes par l'Insee.

En visite à Mayotte jeudi 19 décembre, le président Emmanuel Macron a estimé que le nombre de victimes était "vraisemblablement" très supérieur.

Les autorités invoquent deux raisons intimement liées : l'"habitat précaire" dans lequel vivait une grande partie des victimes potentielles, ainsi que "la tradition musulmane d'enterrer les défunts dans les 24 heures", alors qu'une part importante des habitants des bidonvilles est originaire des Comores voisines.

Ces deux facteurs laissent à penser "qu'un grand nombre de personnes décédées au sein des habitats précaires sont enterrées avant de pouvoir être reconnues et comptabilisées officiellement", estime le ministère de l'Intérieur.

Sur l'archipel qui panse ses plaies, les rumeurs circulent ainsi au sujet de potentielles fosses communes dans des zones reculées encore inaccessibles aux secours.

Pour établir le bilan définitif, les autorités ont diligenté une mission de recherche, confiée à des gendarmes. Avec ce travail d'enquête, notamment dans les bidonvilles, "on va pouvoir identifier, je pense et je l'espère, des victimes supplémentaires, leur mettre un nom, pouvoir leur rendre hommage" et obtenir la "vérité des chiffres", a assuré Emmanuel Macron. 

Une aide qui se fait attendre

Loin de Mamoudzou, le chef-lieu, les secours, l'eau, l'électricité et la nourriture tardent à arriver, au grand dam des habitants sinistrés.

Selon le ministère de l’Intérieur, seulement 15 % de la population de l’île est réalimentée en électricité et le réseau mobile est toujours en grande partie hors-service. "La téléphonie va être rétablie dans les prochains jours", rassure Emmanuel Macron.

"Il y aura 50 % de l'électricité qui sera rétablie d'ici à demain, à peu près pareil pour l'eau", promet aussi le président, avant de reconnaître que pour les communes les plus "isolées", il faudra "plusieurs semaines".

Concernant l’eau, la situation est encore critique avec une grande partie de l’île qui n’y a pas accès. Seuls les villages du nord de l’île ont de l’eau potable, selon les autorités.

"On veut de l'eau, de l'eau", ont ainsi imploré plusieurs habitants auprès d’Emmanuel Macron. Celui-ci promet que "tous les foyers seront à nouveau raccordés" à l'eau à partir de samedi.

Acheminer l'eau à Mayotte est un défi majeur. "Ça va s'accélérer", a assuré le président aux médias mahorais, évoquant des livraisons "par voie routière" et "à chaque fois que c'est nécessaire, par hélicoptère".

"Déjà 80 tonnes d'alimentation et 50 tonnes d'eau ont été distribuées dans neuf communes hier", a abondé le ministre démissionnaire de l'Intérieur Bruno Retailleau sur X, assurant que "tout est mis en place pour permettre de distribuer 600 000 litres d'eau par jour", soit un peu moins de deux litres par personne, dans un territoire où il fait actuellement plus de 30 degrés.

Les Comores, situées à 70 km des côtes mahoraises, vont de leur côté envoyer à Mayotte des milliers de bouteilles d'eau par bateau. "Environ 250 tonnes de packs d'eau vont être acheminés via un ferry à Mayotte ce jour", a déclaré vendredi à l'AFP Houmed Msaidie, conseiller du chef de l'État comorien, en charge des Affaires politiques.

Craintes de pillage

Autre urgence, la sécurité alors que des pillages ont été signalés et qu'un couvre-feu est en vigueur depuis mardi. Mis en place pour éviter les pillages et les violence, le couvre-feu s'applique de 22 h (heure locale) à 4 h du matin.

"Monsieur le président on a peur que ce soit Haïti !", a lancé un habitant à Emmanuel Macron lors de sa visite. 

"Vous aurez dimanche 1 200 forces de sécurité intérieure qui seront déployées", a répondu le président.

À quand la réouverture des écoles ?

L'objectif initial était de "préparer la rentrée au 13 janvier". Mais l'État ne pourra pas rouvrir toutes les écoles à cette date, a prévenu vendredi Emmanuel Macron dans un entretien à plusieurs médias locaux, avant de quitter l’archipel.

"Mais on veut pouvoir apporter une solution à toutes les familles pour le 13 janvier", a assuré le président, évoquant entre autres la piste de scolariser des élèves "sur un autre territoire". "On va proposer des solutions à La Réunion ou ailleurs", a-t-il ajouté.

D'après le ministère, environ 40 % des bâtiments des quelque 250 établissements scolaires de l'archipel sont endommagés au point de ne plus être utilisables pour l'instant. 29 sont réquisitionnés pour de l'hébergement d'urgence, selon un chiffrage de l'Éducation nationale, jeudi soir.

L’état de calamité exceptionnelle décrété

Le ministre des Outre-Mer démissionnaire, François-Noël Buffet, a annoncé mercredi 18 décembre l'activation de l'état de calamité exceptionnelle à Mayotte afin de permettre une gestion plus rapide et efficace de la crise et faciliter la mise en place de mesures d'urgence.

"Face à cette situation exceptionnelle, des moyens exceptionnels doivent être déployés pour rétablir rapidement les services vitaux et mettre en place un plan de reconstruction durable pour Mayotte", a dit le ministre.

L'état de calamité naturelle exceptionnelle, qui n'a encore jamais utilisé, a été conçu pour répondre aux besoins particuliers des territoires d'Outre-mer.

Ce dispositif permet une plus grande réactivité des autorités locales et nationales, tout en allégeant certaines procédures administratives pour permettre une action plus rapide et efficace, précise le ministère.

"Activé pour une durée initiale d’un mois, le dispositif peut être renouvelé par périodes de deux mois, selon l’évolution de la situation."

Un fonds d’indemnisation mis en place pour les non-assurés

Emmanuel Macron a aussi annoncé un "fonds d'indemnisation" pour les non-assurés, dont il n'a pas encore dévoilé le montant. Les coûts des dégâts pris en charge par les assurances ont été estimés entre 650 et 800 millions d'euros par la Caisse centrale de réassurance, qui souligne toutefois que seuls 6 % des particuliers à Mayotte disposent d'une assurance habitation.

Ces indemnisations se feront dans le cadre de l'état de catastrophe naturelle, décrété jeudi dans les 17 communes de l'archipel, par un arrêté du gouvernement publié au Journal officiel.

Avant de décoller de Mayotte, Emmanuel Macron a également tenu en visioconférence une réunion de la cellule interministérielle de crise pour "transmettre au gouvernement et aux administrations les actions utiles à prendre", a indiqué l'Élysée. Matignon a ainsi annoncé dans l'après-midi une batterie de mesures, dont des facilités ou report du paiement des impôts des entreprises et particuliers. 

Quid de la reconstruction ?

Au-delà des besoins immédiats, le président de la République tente de projeter l'archipel vers la reconstruction, promettant de "rebâtir" Mayotte. Il annonce une "loi spéciale" pour accélérer les délais, "déroger aux règles" et faciliter les chantiers, à l'instar de ce qui a été fait pour organiser les Jeux olympiques et reconstruire en cinq ans Notre-Dame de Paris.

"On a été capables de rebâtir notre cathédrale en cinq ans. Ce serait quand même un drame qu'on n'arrive pas à rebâtir Mayotte", dit-il.

Alors que le chef de l'État n'a pas évoqué de calendrier à ce stade, son Premier ministre, depuis Paris, s'est voulu ambitieux, évoquant un délai potentiel de "deux ans". "J'espère qu'on y arrivera. C'est une tâche surhumaine, immense", a dit François Bayrou jeudi soir sur France 2.

L'objectif est de "mettre fin" aux bidonvilles et "supprimer les habitats qui sont à la fois indignes, dangereux", a expliqué sur place Emmanuel Macron.

Environ un tiers de la population, soit plus de 100 000 habitants, notamment les personnes en situation irrégulière venant des Comores voisines, vivent dans des logements précaires, dont la plupart ont été détruits par le cyclone.

Le président dit d'ailleurs vouloir "renforcer la lutte contre l'immigration clandestine", qui pèse selon lui sur les multiples crises auxquelles est confronté l'archipel. Il veut notamment augmenter les reconduites à la frontière pour atteindre 35 000 ou 40 000 par an contre 22 000 en 2023.

Avec AFP

La Croix-Rouge française s’associe à France Médias Monde pour lancer un appel aux dons pour Mayotte après le passage du cyclone Chido.
La Croix-Rouge française s’associe à France Médias Monde pour lancer un appel aux dons pour Mayotte après le passage du cyclone Chido. © Studio graphique France Médias Monde