Une extrême droite "fréquentable" bientôt à la vice-présidence de la Commission européenne ?
Le Grand oral a débuté pour la nouvelle équipe d’Ursula Von der Leyen, lundi 4 novembre. Les 27 commissaires européens sont auditionnés jusqu'au 12 novembre par les eurodéputés, qui s’exprimeront sur sa composition lors d’un vote de confiance prévu le 27 novembre.
Annoncées mi-septembre par la présidente, ces nominations ont suscité de nombreuses réactions, sur la parité – la nouvelle commission ne comptant que 40 % de femmes (11 sur 27), contrairement à la promesse d'Ursula von der Leyen – mais également sur l’équilibre des forces politiques en son sein.
Car si la nouvelle Commission européenne demeure largement dominée par le parti de centre-droit PPE, qui a conservé sa majorité aux européennes, sa présidente a fait le choix d’offrir un poste de vice-président à l’italien Raffaele Fitto, ministre des Affaires européennes de Giorgia Meloni, et membre du parti post-fachiste Fratelli d’Italia (Frères d'Italie). En cas d'adoubement par les eurodéputés, Raffaele Fitto pourrait devenir le premier représentant d’un groupe d’extrême droite, l’ECR (Conservateurs et réformistes européens), à occuper une aussi haute fonction au sein de la commission.
Un cadeau pour Giorgia Meloni
Le 17 novembre lors de l’annonce des nominations, celle de Raffaele Fitto a été célébrée comme une victoire par les dirigeants italiens. "Il s'agit d'une reconnaissance importante qui confirme le nouveau rôle central de notre pays au sein de l'UE. L'Italie est enfin redevenue un protagoniste en Europe", s’est immédiatement félicitée la cheffe de gouvernement, Giorgia Meloni.
Le ministre italien des Affaires européennes n’est pas le seul partisan d'une ligne nationaliste à voir été retenu pour le poste. La présidente Von der Leyen a validé le candidat Hongrois Oliver Varhelyi à la Santé et au Bien-être animal et confié la question migratoire à la figure de la droite autrichienne Magnus Brunner, dont le parti (ÖVP) est favorable, entre autre, à un durcissement des contrôles et à la restriction des prestations sociales pour les immigrés.
La nomination de Raffaele Fitto au poste de vice-président exécutif chargé de la cohésion et des réformes est néanmoins perçue comme une concession particulièrement importante de la part d’Ursula von der Leyen à l’endroit de Giorgia Meloni.
"Non seulement il rentre dans le cercle très étroit des six vice-présidents qui chapotent les grands sujets européens mais il hérite avec la cohésion du deuxième plus gros budget de l’Union après la PAC (NDLR : Politique agricole commune)" souligne Caroline de Camaret, rédactrice en chef Europe à France 24.

Rapprochement sur la question migratoire
Sans surprise, cette nomination a suscité son lot de critiques voire d’indignations à gauche, jusque parmi les alliés d’Ursula Von der Leyen. Car s’il était attendu que la présidente prenne en considération la progression des courants d’extrême droite lors des européennes de juin pour composer son équipe, rien ne l’obligeait à nommer l’un de ses représentants à un poste aussi important.
Pour Jean-Pierre Darnis, professeur à l’Université de Nice et de Rome et spécialiste de l’Italie, ce choix est lié au profil du candidat proposé par Giorgia Meloni. "Raffaele Fitto est considéré en Italie comme un candidat certes de droite mais plutôt modéré. Il a commencé sa carrière politique au sein des Démocrates-Chrétiens avant de rejoindre le parti Forza italia de Silvio Berlusconi. Il n’a rejoint qu’en 2019 Fratelli d'Italia, le parti de Giorgia Meloni", explique-t-il. "De son côté, Ursula von der Leyen sait que de plus en plus d’électeurs européens réclament des réformes sur la question migratoire. Elle laisse donc la porte-ouverte aux propositions de Giorgia Meloni même lorsque celles-ci semblent peu efficaces".
Mi-octobre, la présidente de la Commission avait proposé d’explorer des "solutions innovantes" évoquant d’"externaliser des procédures" défendue par la présidente du Conseil italien. Georgia Meloni avait conclu, en 2023, un pacte avec l’Albanie pour y transférer ses demandeurs d’asiles. Mais la justice italienne a ordonné, il y a quelque semaines, le retour en Italie des premiers migrants envoyés dans les camps albanais, arguant que ceux-ci ne répondaient pas aux critères de rétention définis par l’accord.
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Alliés sur l’Ukraine
"Giorgia Meloni a besoin de mesures fortes sur la question migratoire vis-à-vis de son électorat, mais elle est en réalité pragmatique", affirme Jean-Pierre Darnis. "Elle sait qu’elle a besoin des travailleurs étrangers pour faire fonctionner son économie. C’est pourquoi elle a lancé un programme de régularisations massives en Italie. De ce point de vue, les positions entre Giorgia Meloni et Usrula von der Leyen sont plus proches qu’il n’y paraît".
Autre point de convergence, et non des moindres, le soutien à l’Ukraine. "Pour Ursula von der Leyen, Giorgia Meloni et l’ECR incarnent une extrême droite fréquentable car ils signent tous les plans d’aide à Kiev, contrairement à l’autre grand groupe nationaliste, les Patriotes pour l'Europe, créé par le président hongrois pro-Poutine, Victor Orban", analyse Caroline de Camaret. "La dirigeante italienne peut également jouer de sa proximité idéologique avec Victor Orban pour débloquer certaines situations et éviter un veto, ce qui en fait un atout très précieux pour la présidente de la Commission".
Vice-présidente incertaine
Si certains considèrent Fratelli d'Italia comme un parti plus fréquentable que le Rassemblement national, le Fidesz de Viktor Orban ou bien l’AfD allemande, le parti de Giorgia Meloni demeure très critiqué sur la scène européenne pour ses politiques jugées discriminatoires envers les minorités.
Un récent rapport du conseil de l’Europe accuse le gouvernement Meloni d’avoir instauré un “racisme institutionnel”. Ses auteurs y dénoncent un climat favorisant la montée d'“un discours de haine” en Italie, ciblant les "citoyens issus de l'immigration ou encore les personnes LGBTQ". En octobre, le Sénat italien a adopté une loi faisant de la gestation pour autrui (GPA) un "crime universel", passible de prison ferme, pour ceux qui auraient recours à une mère porteuse à l'étranger. Une mesure perçue comme une attaque frontale contre les familles homoparentales.
"La candidature de Raffaele Fitto est très contestée du fait même qu’il appartient au parti Fratelli d'Italia mais également et surtout au regard du portefeuille qu'il lui a été attribué", souligne Caroline de Camaret. "Il devra gérer la cohésion au sein de l'Europe alors que son parti est hostile à ce type de mesures au sein même de son territoire".
En juin dernier, les députés italiens ont définitivement adopté une loi renforçant l’autonomie des régions. Un texte qui permet de transférer la gestion de certains domaines comme la santé, l’éducation ou bien encore le transport aux régions, et dont les opposants affirment qu'il va aggraver l'écart déjà important de richesses entre le nord et le sud du pays.
Enfin les Verts, alliés de Ursula von der Layen, voient d’un très mauvais œil la politique pro-industrie défendue par le parti de Meloni, hostile au pacte vert pour l'Europe.
"Raffaele Fitto n’est pas la seule nomination contestée parmi les commissaires, certains sont perçus comme ayant un manque d’expérience ou comme trop clivants. Mais c’est incontestablement la candidature qui suscite la plus grande controverse au regard des forts enjeux qu’elle représente. Elle est loin à ce stade d'être acquise", conclut Caroline de Camaret.
Au terme de leurs auditions qui se termineront le 12 novembre, les eurodéputés rendront des avis consultatifs à Ursula von der Layen pour chaque commissaire. Libre ensuite à la présidente de la Commission de maintenir ou non leurs nominations pour le vote final le 27 novembre lors d'une session plénière au Parlement européen à Strasbourg. Le nouvel exécutif européen devrait prendre ses fonctions début décembre, jusqu'en 2029.