Théâtre : l’interminable Journée de noces chez les Cromagnons de Wajdi Mouawad
On y allait les yeux fermés, en confiance. Le seul nom de Wajdi Mouawad nous suffisait. La déception fut d’autant plus grande. On aurait dû se méfier du titre déjà. Sa Journée de noces chez les Cromagnons (Éditions Actes Sud) au Théâtre de La Colline qu’il dirige fut d’un ennui qui dépasse l’entendement. Le metteur en scène né au Liban en 1968 ne manque pourtant pas de talent. On avait été emballé par ses œuvres précédentes. Le sang des promesses, composé de Littoral, Incendies, Forêts et Ciels, lui avait d’ailleurs valu le Prix du théâtre de l’Académie française en 2009. On a également dit du bien de son récent et brillant Racine carrée du verbe être .
Quelle mauvaise mouche l’a donc piqué ? D’où vient l’idée monter de cette pièce qu’il a écrite à 23 ans, en 1991, au Canada où il était exilé ? Il l’a modifiée mais pas suffisamment sans doute, au Printemps des comédiens à Montpellier en juin 2024. Il aurait dû la créer en avril dernier dans sa langue natale, à Beyrouth, mais elle a été annulée pour cause de « pressions et menaces sérieuses sur certains artistes, techniciens et le théâtre », d’après la directrice du théâtre Le Monnot de la ville.
Traumatisme de la guerre
Le début de l’histoire est pourtant prometteur. Sur fond de guerre, bombardements et coupures d’électricité, une mère, Nazha houspille Neel, son fils, parce qu’il rapporte de chez « L’Arménien » une salade qui sent le poisson. Elle s’active pour préparer le mariage de sa fille Nelly absente, souvent endormie. « La narcolepsie est un don de dieu dans un pays en guerre », se félicite sa génitrice extravertie.
Enfermée dans sa chambre et dans ses rêves, Nelly ne cesse de demander quand ils iront à « Berdawné pour manger du knefé ». Agacé, Neel lui répond : « Dimanche ». À 17 ans, le garçon a également ses problèmes. Il réclame son aîné Walter, censé être allé chez le coiffeur. Leur père dictatorial et macho doit rapporter un mouton de la boucherie pour les futurs convives. L’énergique voisine débarque chargée de victuailles pour donner un coup de main à la cuisine.
Comme souvent, Wajdi Mouawad parle du traumatisme de la guerre et du conflit entre les générations. Il a fui le Liban, son pays natal, l’âge de dix ans. On comprend que le théâtre fasse office de thérapie, mais on n’a pas à le subir. Le dramaturge nous fait le coup d’En attendant Godot . Évidemment, ni Walter, ni le fiancé de Nelly ne viendront pour les noces. Il pratique la mise en abyme du théâtre, mais sans finesse. Son avatar, l’auteur de la pièce qui se joue sous nos yeux, ignore lui-même comment il peut la finir et en discute avec le personnage Nelly. Wajdi Mouawad se prendrait-il pour Pirandello ?
On devrait être bouleversé par ce que les protagonistes traversent, s’inquiéter de ce qu’ils vont advenir. Mais leurs malheurs nous indiffèrent malgré une interprétation au cordeau. Ça part dans tous les sens, ça crie, ça pleure, ça saigne (ah, la scène de la tuerie du mouton !). Allons vite au fait. Mais Wajdi Mouawad n’est pas pressé. Le spectacle s’étale péniblement sur deux heures.