Agressivité sur la route : pourquoi perdons-nous si facilement notre calme au volant ?
Doigts d’honneur, insultes à travers la vitre, utilisation effrénée du klaxon, mais pourquoi les automobilistes sont-ils si coutumiers de la violence en voiture ? Pour Jean-Pascal Assailly, psychologue spécialisé dans la sécurité routière, l’attitude en voiture est d’abord simplement le reflet du comportement global des individus dans la vie. «C’est l’hypothèse de la correspondance», commente le chercheur, «en résumé si quelqu’un n’a pas peur de braquer une banque, il n’a pas peur de griller un stop». Vous êtes violent dans la vie, vous l’êtes très probablement en voiture.
Mais sur les 40 millions d’automobilistes, il n’y a pas autant de braqueurs. Jean-Pascal Assailly s’est alors attelé à écrire un ouvrage (Homo automobilis, aux éditions Imago), pour comprendre ce qui pouvait bien arriver à «Monsieur tout le monde» lorsqu’il se met à insulter le conducteur voisin à la première occasion.
La voiture coupe l’automobiliste du monde
La première explication «d’un automobiliste moyen en colère», tient à «l’objet voiture» en lui-même, à «ses transformations» au cours du temps. «On a supprimé toutes sensations de vitesse, faisant de la voiture un objet ultra-confortable, coupé du monde», résume le chercheur, «on entend même plus le bruit du moteur». La voiture est devenue un utérus, théorise Jean-Pascal Assailly. Autrement dit, elle éloigne de la réalité, fond les gens dans l’anonymat, et favorise donc une faible prise en compte d’autrui. «Un peu comme sur les réseaux sociaux», illustre le psychologue.
Le problème, c’est que la colère des conducteurs entraine parfois des drames. En octobre dernier, un automobiliste a écrasé délibérément un cycliste en plein Paris. «Et qu’a-t-il dit aux policiers ? J’étais pressé, je devais emmener ma fille à un rendez-vous», commente Jean-Pascal Assailly. «Cela me fait dire que notre société a un rapport pathologique au temps», avance le chercheur. «Tout le monde semble manquer de temps, alors qu’en toute objectivité, on a plus de temps libre que nos grands-parents».
Et cette recherche éternelle du temps perdu, engendre un autre facteur de la violence au volant : le stress. «Quand vous cumulez une montagne de stress professionnel et familial, je ne sais pas si vous êtes en état de conduire», s’interroge Jean-Pascal Assailly. Le stress et la gestion des émotions ne faisant pas bon ménage, à la moindre contrariété sur la route, la violence devient donc un refuge.
L’esprit de compétition
Le dernier facteur explicatif de la violence au volant, demande de se replonger dans quelques classiques de la littérature scientifique. «Connaissez-vous René Girard et Pierre Bourdieu», s’amuse à nous demander le psychologue.
«Le premier me permet de vous parler de la rivalité mimétique», continue-t-il. «Selon René Girard, nous désirons ce que les autres désirent. Mais lorsque deux personnes veulent la même chose, elles entrent en compétition». Ce concept se concrétise en voiture, quand nous souhaitons aller vite ou encore gagner du temps dans les embouteillages. «Dans cette compétition sur route, les automobilistes veulent marquer leur territoire par rapport aux autres».
«C’est ce qui m’amène à vous parler du concept de la distinction chez Pierre Bourdieu», conclut le chercheur. «Historiquement, l’achat de voiture est né d’une volonté de se distinguer. Autrement dit, la voiture est un vecteur d’ascension sociale pour les classes moyennes, ou de bons goûts pour les plus riches. Toucher à sa voiture c’est toucher à son identité sociale, ce qui éveille spécialement les passions.