La Ligue 1 va-t-elle mourir ? Tout comprendre sur le conflit entre DAZN et la LFP

Alerte rouge. La panique gagne les clubs de Ligue 1 face au risque de voir DAZN refuser de payer une échéance pour la diffusion de leurs matchs. La Ligue de football professionnelle organise un conseil d’administration exceptionnel mercredi à 17 h, heure de Paris.

Dans un mail envoyé aux membres du CA, le président de la LFP, Vincent Labrune, évoque une "situation malheureusement urgente" et convoque cette réunion pour traiter la question des droits TV avec les clubs. Pourquoi cette panique ? France 24 fait le point.

Pourquoi DAZN est mécontent ?

La saison 2024/2025 s'est ouverte dans un contexte chaotique, sans diffuseur officiel. En effet, après avoir promis d'obtenir un milliard d'euros par saison, la LFP a vu son appel d'offres échouer.

La Ligue a finalement dû ravaler ses ambitions et vendre les matches de L1 pour un total annuel d'environ 500 millions d'euros à DAZN (qui diffuse huit des neuf matches par journée) et beIN Sports (diffuseur du neuvième).

Cependant, la plateforme, qui diffuse la Serie A en Italie, a vite déchanté. Alors qu'elle espérait proposer des contenus novateurs, en immersion dans des clubs, elle s'est heurtée aux réticences françaises en la matière.

Surtout, alors qu'elle misait sur 1,5 millions d'abonnés, elle peine aujourd'hui à dépasser les 500 000. Dans son viseur : le piratage, insuffisant combattu en France selon elle.

Quelle ampleur atteint le piratage ?

La Ligue 1 est "le produit le plus piraté de France", a alerté en décembre Vincent Labrune, président de la LFP, plaidant pour "des décisions radicales" dans les colonnes du Parisien.

Une étude réalisée l'automne dernier par l'institut Ipsos et relayée par le directeur général de LFP Media, Benjamin Morel, lors d'une conférence organisée par l'Arcom a illustré l'ampleur du phénomène : 55 % des spectateurs ayant regardé le match OM-PSG fin octobre – un des temps forts de la saison – ont eu recours à une source illégale. La perte de revenus due au piratage est estimée à 290 millions d'euros pour le contenu sportif en France.

En cause, le prix d'entrée très élevé mis en place par DAZN en début de saison. Les 30 euros par mois demandés ont provoqué une grogne et une fuite des amateurs de foot, séduits par les voiles de la piraterie. Le recours a des liens sur des canaux Telegram et aux IPTV ont explosé, à tel point que 800 000 internautes utiliseraient ce moyen chaque mois, selon une estimation de l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique citée par le Monde.

Depuis, DAZN a revu sa copie avec des tarifs à la baisse, mais le mal est fait. Malgré une lutte active de l'Arcom contre le piratage, le fossé s'est creusé entre la plateforme et les amateurs de foot.

Quel impact sur les clubs ?

Entre le milliard promis initialement par la Ligue, les 624 millions du précédent contrat et les 500 millions finalement obtenus, l'écart est grand et n'est pas sans conséquence pour les clubs, qui tirent pour la plupart un tiers de leurs revenus de la vente des droits TV.

Le recul significatif des revenus générés par les diffuseurs a plongé les clubs français dans une grave crise financière, la DNCG – le gendarme financier de la LFP – envisageant une perte d'exploitation de 1,2 milliard d'euros.

"Les droits TV représentent entre 30 % et 80 % des recettes des clubs. Seul les plus huppés arrivent à se diversifier, notamment via le sponsoring", explique Benoît Perrochais, chroniqueur sportif à France 24.

Conséquence de la crise, les clubs français se sont engagés dans des ventes massives lors de la fenêtre hivernale des transferts internationaux. D'après un rapport publié vendredi par la Fifa, les indemnités de transfert en janvier ont rapporté aux clubs français quelques 371 millions de dollars (357 millions d'euros), loin devant tous les autres championnats. À titre de comparaison, les Allemands, en deuxième position de ce classement, ont vendu pour 226,2 millions de dollars.

"Mais en vendant ses talents, le championnat devient moins compétitif, et moins attractif pour les diffuseurs. C'est un cercle vicieux", conclut Benoît Perrochais.

Vers une répétition du fiasco Mediapro ?

Le quatrième versement de DAZN à la LFP a pour date-limite vendredi 14 février, mais la plateforme, qui avait jusqu'ici l'habitude de payer avec plusieurs jours d'avance, menace de ne pas le faire.

Cette annonce inquiète les dirigeants de club, puisque la LFP attend le paiement pour redistribuer les fonds. L'enveloppe, qui représente tout de même 56,9 millions d'euros pour les deux diffuseurs, pourrait être le point de départ d'une nouvelle déroute pour le football français.

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Tout le monde a en tête le précédent Mediapro, du nom du groupe espagnol qui avait acheté à grands frais (800 millions d'euros) les droits TV pour la période 2020-2024. Seulement, l'entreprise accumule vite les retards de paiements et demande à renégocier le contrat. Après conciliation, les droits TV seront finalement redistribués in extremis à Canal+, le diffuseur historique.

"La Ligue a su tirer des leçons du passé au moment de l’écriture des contrats. Elle saura les faire respecter pour préserver ses intérêts et ceux des clubs. On est très loin du contexte de l’époque Mediapro", estime cependant auprès de RMC une source proche des négociations entre DAZN et la LFP.

Une échéance cristallise les inquiétudes : le 1er décembre 2025. À cette date, une clause de sortie dans le contrat entre DAZN et la LFP devient activable par l’une des deux parties si le seuil de 1,5 million d’abonnés n’est pas atteint. Elle aurait pour effet de rompre l’ensemble du contrat sur les droits de télévision à l’été 2026, y compris la partie qui concerne BeIN Sports.

Quelles solutions pour éviter l'écran noir ?

Le scénario noir d'une non-diffusion des matches pourrait rapidement poindre si DAZN venait à persister dans ses menaces. La LFP pourrait alors réactiver le "plan B" qu'elle avait préparé l'été dernier : le lancement d’une chaîne dédiée à la Ligue 1, qu'elle gèrerait elle-même.

Le retour de la Ligue 1 chez son diffuseur historique est également évoqué, mais le groupe est pour le moment échaudé par les brimades subies ces dernières années : "De notre point de vue, il y a eu un préjudice (en juin 2021), quand 80 % des matches de L1 ont été concédés à Amazon contre 250 millions d'euros par an alors que Canal+ devait s'acquitter de 332 millions pour 20 % des matches. Pendant trois ans, on a subi ce préjudice. On avait été clairs en disant que tant qu'il n'y aurait pas une compensation de ce préjudice, Canal+ ne se positionnerait plus sur les droits de Ligue 1", a notamment expliqué Maxime Saada, le président de la chaîne cryptée, devant les Sénateurs. Selon RMC, la chaîne ferait du départ de Vincent Labrune, l'actuel dirigeant de la LFP, une condition sine qua non de son retour dans la course aux droits.

"Il n'y a pas de décision définitive chez Canal", a expliqué Maxime Saada aux sénateurs. "La décision dépend des circonstances. Est-ce que la porte est entrouverte aujourd'hui ? Non. Est-ce qu'elle peut s'ouvrir demain ? Cela dépendra des conditions."

En attendant, la chaîne cryptée n'hésite pas à tirer à vue. Dans son spot célébrant les 40 ans de la chaîne en racontant son histoire façon série, "On a tout fait pour le foot français, c'est comme ça qu'on nous remercie ? Il n'y a pas que la Ligue 1...", assène l'un des acteurs avant le montage enchaîne avec des images de Fomule 1, rugby et de Ligue des champions, ses nouveaux piliers qui eux se portent très bien. Outch.