En cette folle semaine d’Art Basel Paris, les enchères battent leur plein dans la capitale. Comme si le petit monde de l’art avait mis entre parenthèses le cambriolage du Louvre et ses conséquences désastreuses pour l’image de la France, alimentant quotidiennement toutes les conversations. Comme s’il avait oublié la guerre larvée à Gaza malgré le cessez-le-feu et celle toujours si terrible en Ukraine, les remous du gouvernement Trump qui fait peur aux artistes et aux marchands avec ses nouvelles taxes. La crise du marché de l’art, pourtant bien réelle, ayant entraîné la fermeture de grandes galeries américaines cet été, semble d’un coup s’être envolée. Le naturel est revenu aux galops, avec l’appétit de super riches collectionneurs frustrés depuis ces derniers des mois. Mais uniquement pour l’exceptionnel. La Frieze Art Fair de Londres qui avait précédé Art Basel, la semaine dernière, avait donné le ton d’une énergie retrouvée, totalement inattendue.
Un record pour Klein sans suspens
Jeudi 23 octobre au soir, Christie’s lançait le festival, avec le grand monochrome bleu outremer d’Yves Klein que le Tout-Paris est venu voir, dans son siège à Paris 8e, dès le lundi, lors du vernissage bondé de l’Association Matignon-Saint Honoré, regroupant pour la deuxième année, dans un périmètre bouclé devenu piéton, les galeries et les maisons de ventes, autour du Palais de l’Élysée. Considéré par la maison de François Pinault comme «l’une des œuvres les plus importantes de l’artiste jamais proposée sur le marché», cet exceptionnel format de 196 cm par 421 de large, fut adjugé à 15,6 millions d’euros, prix marteau, juste en dessous de son estimation sur demande autour de 16 millions d’euros, soit 18,4 millions d’euros avec les frais. C’était sans grand suspens car ce record pour Klein, provenant d’un privé américain et exposé au Met de New York de 2005 à 2008 dans le cadre d’un prêt, était assorti d’une garantie d’une tierce personne. Une pratique courante pour les gros lots assurant sa vente mais faussant le jeu des enchères.
Ce n’était pas le cas du chef-d’œuvre retrouvé de Picasso, Buste de femme au chapeau à fleurs de 1943, appartenant à la célèbre série du maître espagnol, vendu au bout de 35 minutes de suspense à 27 millions d’euros, prix marteau (plus de 32 millions, frais compris), vendredi 24 octobre, dans une salle bondée à Drouot. Il fut mis à prix sans réserve pour privilégier une belle bataille d’enchères, naturelle mais non sans risque, même si la maison de ventes Lucien était presque sûre de son coup, compte tenu de la qualité de ce portrait de la muse Dora Maar, alors au crépuscule de sa relation avec le peintre qui va la délaisser pour la plus jeune Françoise Gilot. Jamais vendue ni exposée, la toile cubiste, très colorée, avait ressurgi après plus de 80 ans. Elle est à ce jour la toile la plus chère vendue en France cette année. Selon nos informations, c’est David Nahmad, marchand disposant du plus gros stock de Picasso au monde, qui a remporté l’enchère. Il était présent à Paris pour Art Basel.
Foison de Picasso à Art Basel
Sa charge d’histoire, doublée de la fraîcheur de sa découverte, avait tout pour séduire les amateurs. Tandis qu’à la foire d’Art Basel Paris, au Grand Palais, une bonne quinzaine de Picasso, sont accrochés sur les cimaises, jusqu’à dimanche : de celui proto-cubiste de 1908 que la galerie Acquavella ne vend pas officiellement, sauf si une offre se présente à plusieurs dizaines de millions de dollars, à ceux de de Nahmad Contemporary qui fait de Picasso, son one man show, montrant son évolution artistique, de 1895 à 1973, à travers plus de 10 toiles, certaines inégales.
Partout, la foule et l’ambiance des grands jours que l’on n’avait pas connu depuis fort longtemps, Art Basel Paris ayant fait venir beaucoup d’acheteurs européens, américains et asiatiques dans la capitale. Cette manne a visiblement profité à Christie’s qui enregistre un taux élevé de participation internationale avec 31 nationalités et plus de 214 enchérisseurs et sous-enchérisseurs ayant assisté à ses ventes d’art des 20e et 21e siècles. Elles totalisent 12,9 millions d’euros pou celle «Moderne (s), une collection particulière européenne», avec 91% de lots vendus et 61, 4 millions d’euros, pour «Avant-gardes», avec 89% de lots vendus, soit au total plus de 74 millions d’euros. Ce vendredi, une œuvre charnière de l’histoire de l’art, Ambroise Adam dans le jardin à Pressagny d’Edouard Manet, sa première peinture en extérieur datant de juillet 1861, s’est envolée à dix fois son estimation, à 895 350 euros.
De son côté, Sotheby’s mettait en vente ce vendredi aussi, plusieurs pièces majeures, dans une dispersion intitulée Modernités, Surréalisme et son héritage, célèbrent deux mouvements artistiques fondateurs, nés et épanouis à Paris. Estimés chacun entre 5,5 et 7,5 millions d’euros, les deux portraits d’Amedeo Modigliani (Raymond et Buste d’Elvira), attestant des moments clés de la vie du peintre arrivé à Montmartre en 1906, ont été vivement disputés entre enchérisseurs au téléphone. Le portrait de Radiguet s’est envolé à 10,6 millions (avec frais) après 12 minutes de bataille. L’Elvira a atteint 26,9 millions d’euros (frais inclus). Dévoilé pour la première fois en 1925, dans la revue L’Amour de l’art, le portrait de Raymond Radiguet était resté plus de soixante-dix ans dans la même collection européenne, après avoir appartenu à Paul Guillaume, le marchand qui fit sa connaissance, fin 1914, par l’entremise du poète Max Jacob. Jamais vu aux enchères, Sotheby’s avait misé sur cette pépite à pedigree, pour faire la une, elle aussi.
Ces deux tableaux phares étaient proposés aux côtés d’œuvres d’Andy Warhol (provenant directement de la Fondation de l’artiste Jean-Michel Folon, le génie créatif à l’origine de nombreuses couvertures emblématiques du New Yorker) et de Joan Mitchell, dont un triptyque de 1975, pas vu depuis un demi-siècle. L’ensemble constituait la plus importante sélection d’art américain d’après-guerre jamais offerte dans une série de ventes à Paris, reflet du dynamisme croissant des collectionneurs internationaux, notamment américains, sur le marché français.
Passer la publicitéToujours chez Sotheby’s, le premier des célèbres tableaux La Magie Noire du Belge René Magritte a été vendu 10,7 millions d’euros frais compris aux enchères vendredi. Peint en 1934 et acquis directement auprès de l’artiste en 1935 par ses anciens propriétaires, il s’agit de la toute première version de cette série qui était estimée entre 5 et 7 millions d’euros. Le précédent record aux enchères pour une Magie Noire avait été atteint en 2015 à New York chez Christie’s au prix de 6,7 millions de dollars (5,7 millions d’euros).