Portugal : la droite remporte les élections, les nationalistes doublent leur score

Madrid,

Avantage à la droite portugaise et à son chef de file, Luis Monténegro (Parti social démocrate, PSD) aux élections législatives de ce dimanche, selon le sondage diffusé à 20h (21h en France) par la télévision publique RTP. L'enquête accorde à la coalition Alliance démocratique (AD) entre 29 et 33% des voix et de 83 à 91 députés contre 25 à 29% et entre 69 et 77 sièges pour le Parti socialiste (PS) sortant, emmené par l'ancien ministre Pedro Nuno Santos. La formation d'extrême droite Chega (Assez !) obtiendrait entre 14 et 17% des suffrages et de 40 à 46 députés.

Selon ces chiffres, le PS n'arrive pas à la majorité en ajoutant à ses sièges ceux obtenus par les trois partis à sa gauche. Mais l'AD ne parviendrait pas davantage à la moitié des sièges (116 députés), même en ajoutant les 7 à 10 élus d'Iniciativa liberal (IL). Les décisions que prendront Chega, avec lequel ne veulent négocier aucun des deux grands partis, et la capacité à s'entendre de ces deux derniers, détermineront donc l'avenir politique du pays.

Pas de négociations avec l’extrême droite

Plusieurs scénarios d'alliances sont possibles sur le papier, mais l'un, central, a été exclu par Luis Montenegro. Avec emphase, le candidat du PSD l'a dit en trois mots : “Não é não” (“Non, c'est non !”). Il n'entrera pas dans des négociations avec Chega pour briguer le soutien de l'extrême droite à son investiture. La phrase prononcée en septembre dernier est tellement lapidaire qu'elle empêche d'y revenir. “Il y perdrait toute sa crédibilité”, écartait pendant la campagne Riccardo Marchi, spécialiste de l'extrême droite portugaise et professeur à l'Université de Lisbonne.

Reste l'option qui était habituelle au Portugal jusqu'en 2015 : parmi les deux grands partis qui alternent au pouvoir depuis la Révolution des œillets, celui arrivé second laisse gouverner le premier. La règle non écrite avait été rompue il y a neuf ans par la formation d'une alliance parlementaire inédite entre le PS, arrivé derrière le PSD, les communistes (CDU) et la gauche radicale (Bloc de gauche, BE). Jusqu'en 2022, António Costa devait son poste de Premier ministre à une gauche plurielle appelée “geringonça” (“bricolage ou machin”).

Une stabilité précaire

Le professeur de Science politique Antonio Costa Pinto rappelle que Pedro Nuno Santos a affirmé en campagne son intention de “ne pas former une coalition négative avec Chega pour empêcher un gouvernement du PSD. Mais il réclamait en échange l'engagement de Montenegro à viabiliser un gouvernement PS si ce dernier arrivait premier, ce que Montenegro n'a pas repris à son compte”. Le politologue se risque à un pronostic : “Les Portugais veulent la stabilité. Le PS a plus intérêt à attendre, à laisser Montenegro gouverner un temps plutôt que de forcer la convocation de nouvelles élections”. Il ajoute que Chega aurait également des difficultés “à ne pas laisser passer un gouvernement de droite et à l'expliquer à ses électeurs”.

Reste que ce scénario ne garantit aucune stabilité à un gouvernement de droite. “Alors que le PS peut tisser des alliances à sa gauche et à sa droite, le PSD n'a qu'une seule option : compter sur le soutien du PS. Cela place le PSD dans une situation de très grande fragilité, soumis à la bonne volonté du PS, un parti de pouvoir, qui pourra le faire tomber à n'importe quel moment des quatre ans de législature. En refusant a priori les discussions avec Chega, Montenegro a mis en jeu sa carrière”.

La montée en puissance de Chega

L'essor du parti fondé en 2019 peut être expliqué par plusieurs facteurs. “La capacité de mobilisation de Chega répond à trois sujets principaux, indique Costa Pinto. La corruption, ou la perception de cette dernière par les Portugais [renforcée par la démission de Costa à la suite d'une enquête judiciaire contre cinq membres de son cabinet, NDLR] ; les promesses d'ordre et de respect de la loi ; l'immigration, qui vit un boom depuis cinq ou six ans, parce que le gouvernement socialiste l'a facilitée, pour répondre principalement à la demande de main-d’œuvre du secteur agroalimentaire”. Sans oublier une inflexion du discours économique et social de Chega, dont le programme initial était très libéral. “L'évolution en trois ans est impressionnante. Ventura s'est permis de lancer au candidat d'IL : “Comment pouvez-vous vous permettre d'être libéraux dans un pays pauvre ?””.

La hausse de l'immigration n'a pas provoqué de grands problèmes au Portugal, reconnaît Marchi. Mais il y a des quartiers dont la population a largement changé, et Chega peut dérouler facilement un discours du type “Nous ne voulons pas devenir comme la France, la Belgique ou l'Allemagne”.

Le politologue Costa Pinto, avant de connaître le résultat des élections, commentait le succès d'AD dans les sondages en ces termes : “Après huit ans de gouvernement socialiste, une partie des électeurs centristes a décidé de donner une opportunité à la droite”. Pour la saisir, Luis Montenegro devra emprunter un chemin étroit.