Assurance-chômage : "Ce n'est pas le moment de réduire la durée d'indemnisation", ni "de faire des économies sur le dos des chômeurs", affirme Pierre Ferracci
Syndicats et patronat discutent à nouveau, mardi 22 octobre, autour de l'assurance-chômage et de l'emploi des seniors. L'ancienne réforme ayant été suspendue avec la dissolution de l'Assemblée nationale, un nouvel accord doit être trouvé d'ici le 15 novembre.
Pierre Ferracci, président du groupe Alpha, un cabinet d'expertise et de conseil, spécialiste des relations sociales, est l'invité éco de franceinfo.
franceinfo : Le Premier ministre Michel Barnier a-t-il raison de faire confiance aux partenaires sociaux pour parvenir à un accord plutôt que de reprendre la main ?
Pierre Ferracci : Oui, je crois qu'il a raison. Moi, j'avais dit avant l'été que la réforme qui était proposée par Gabriel Attal était trop rude et inadaptée et que, du coup, j'ai été ravi qu'elle soit un peu remisée avec le résultat des élections. En plus, ça me paraissait tout à fait nécessaire. Donc, c'est bien de redonner la main aux partenaires sociaux, ça ne va pas être facile parce que patronat et syndicats ne sont pas sur la même longueur d'onde. Je pense qu'il faut prendre en compte le fait que la situation de l'emploi se tend, qu'il y a beaucoup de restructurations, qu'il y a une remontée des procédures collectives assez impressionnante. On s'aperçoit que les remboursements de PGE (Prêt garanti par l'État) suite à la pandémie, aujourd'hui, sont très difficiles pour certaines entreprises. Donc, il faut faire attention et ce n'est pas dans ces moments-là, par exemple, puisque ça fait partie d'un des éléments de la réforme du gouvernement à l'époque.
"Ce n'est pas le moment de réduire la durée d'indemnisation, c'est au contraire le moment d'aider un peu plus, de certaines manières, les demandeurs d'emploi à retrouver le plus rapidement possible le chemin du marché du travail."
Pierre Ferraccià franceinfo
Sauf que le gouvernement a demandé aux partenaires sociaux de trouver 800 millions d'euros sur l'assurance-chômage, est-ce le moment de faire des économies sur le dos des chômeurs ?
Ce n'est pas le moment de faire des économies sur le dos des chômeurs. Je sais que la situation budgétaire est assez catastrophique, il faut bien le dire. Le gouvernement qui avait annoncé dans un premier temps un peu moins de 5% de déficit, annonce aujourd'hui plus de 6% et avec des mesures drastiques un peu partout, il est bien évident qu'il va falloir être sélectif. Et quand on essaye de trouver 40 milliards de baisse des dépenses publiques et 20 milliards de relèvement d'impôts, il faut veiller à ne pas accroître les inégalités sociales. Et la situation dans ce pays est parfois un peu difficile. Donc je crois que, du côté des demandeurs d'emploi, il faut les aider. Il ne faut jamais oublier que le gouvernement, dans les réformes qu'il avait faites et qui avait attiré l'attention positive des syndicats à une certaine époque, avait dit que sur le plan conjoncturel, quand la situation s'améliorait, il fallait peut-être durcir les positions sur l'assurance-chômage. Quand elle devient plus difficile, il faut faire extrêmement attention. Je crois qu'elle est en train de devenir difficile. Dans certains secteurs de l'économie, on le voit bien, je pense notamment à l'industrie automobile, il y a des tensions extrêmement vives.
"La remontée des procédures collectives, le nombre de plans sociaux qui sont déjà à l'œuvre aujourd'hui est un élément de préoccupation qu'il faut prendre en considération."
Pierre Ferraccià franceinfo
Donc ce n'est pas le moment de faire 800 millions d'euros d'économies sur l'assurance-chômage ?
Ce n'est pas le moment de faire autant d'économies sur l'assurance-chômage. Je ne dis pas qu'il n'y en a pas à faire, mais en tout cas pas de cette importance. Il y a peut-être d'autres terrains sur lesquels les possibilités de faire des économies sont plus importantes.
En parallèle de cette discussion qui s'ouvre sur l'assurance-chômage, il y a le débat parlementaire sur le budget. Celui en commission des affaires sociales examine le budget de la Sécurité sociale. Le gouvernement a prévu de baisser les exonérations de cotisations sur les entreprises de l'ordre de 4 milliards d'euros. Mais cela fait hurler le patronat qui dit que cela augmente le coût du travail et qu'au final, ce sont des centaines de milliers d'emplois qui sont menacés. Le patronat a-t-il raison de s'inquiéter ?
Des centaines de milliers d'emplois, c'est peut-être un peu exagéré...
C'est ce qu'a dit Patrick Martin, le président du Medef.
Patrick Martin défend les positions du Medef et du patronat. Et je crois qu'Alexandre Saubot dit un petit peu la même chose du côté de France Industrie. Vous savez, moi, je suis très nuancé sur cette question, parce que ça fait des années que la question du coût du travail est un peu la pierre angulaire de toutes les politiques économiques en matière d'emploi développées en France. Et je crois que ça a été très souvent une erreur. Il y a d'autres pays, je pense aux pays scandinaves, à l'Allemagne, qui ont plutôt investi dans la qualité du travail, dans la formation, dans le relèvement des qualifications. Ça ne veut pas dire qu'il n'y a pas un problème de coût, y compris dans ces pays-là. Mais nous, on a été trop loin, et notamment avec des exonérations qui avaient pour objectif, notamment sur les très bas salaires et autour du SMIC, d'améliorer la situation de l'emploi à court terme, ce qui était parfois effectivement la conséquence immédiate. Je crois qu'on a sous-estimé les problèmes de l'industrie, notamment qui est aujourd'hui en difficulté, et la nécessité d'avoir des qualifications plus élevées, un travail de meilleure qualité et de ne pas se battre tout simplement sur les créneaux qu'occupe l'industrie depuis des années.
"On essaie de baisser le coût du travail pour faire face à la concurrence, alors que parfois, la question, c'est plutôt d'élever la qualité du travail, d'élever les qualifications et d'élever du coup la rémunération de l'emploi plutôt que de jouer à fond les exonérations."
Pierre Ferraccià franceinfo
Donc, vous êtes d'accord pour baisser un peu les exonérations de cotisations ?
Je pense qu'en tout cas, il faut être sélectif là-dessus et que la trappe à bas salaires, ça existe. À un moment donné, quand on était d'accord pour développer des exonérations, j'étais plutôt d'accord avec Louis Gallois à l'époque, qui voulait qu'elles soient étalées et pas seulement concentrées sur les bas salaires, parce qu'on se bat sur des terrains où l'industrie n'est pas plus compétitive pour autant. Et il y a après les problèmes qu'on connaît autour du SMIC qui font qu'il y a beaucoup de conventions collectives aussi aujourd'hui dans les branches qui sont encore au-dessous du niveau du SMIC.
Dernière question budgétaire, mais pas que, le gel temporaire des pensions de retraite a provoqué une levée de boucliers générale. Laurent Saint-Martin, le ministre des Comptes publics, propose d'épargner les petites retraites, à condition de trouver l'argent ailleurs. A-t-il raison d'ouvrir cette porte ?
Le débat sur les retraites n'est pas clos. Il y a eu un vent de fronde et un vent de colère qui s'est manifestée dans le pays. Moi, je pense qu'il faut faire attention plus globalement, au-delà des retraites. Et peut-être que la position du ministre du Budget, là-dessus, est saine. Il faut faire attention de ne pas accroître les inégalités sociales. Il y a un enjeu aujourd'hui, quand je vois une partie, par exemple, du groupe parlementaire de la majorité qui part en guerre contre les hausses d'impôts, il ne fallait pas amener le budget à être en déficit de plus de 6% aujourd'hui, pour dire, il faut porter tous les efforts sur la baisse de la dépense publique et donc, par exemple, sur les retraites et sur tout un tas de choses qui font que le budget de l'État, aujourd'hui, a du mal à supporter ce déficit.
Ce serait à partir de quel seuil, 1 200 euros, 1 400 euros de pension ?
Je pense qu'il faut avoir en tête que la fronde qui s'est manifestée sur les retraites est une fronde qui portait sur les questions de pouvoir d'achat. Donc il faut à tout prix protéger les petites retraites. Et il faut que le débat entre les partenaires sociaux et le Parlement, parce qu'il doit avoir lieu sur les deux terrains, il renvoie à ce débat qui est qu'il ne faut pas aggraver les inégalités sur le terrain des retraites, comme sur d'autres terrains qui touchent au pouvoir d'achat des Français.
Donc limiter la baisse des pensions de retraite.
Si on s'attaque à certains revenus, il faut s'attaquer aux revenus des plus aisés, comme pour les patrimoines.
"Il faut éviter d'aggraver le problème de pouvoir d'achat que l'on passe par le canal des retraites ou par le canal des rémunérations."
Pierre Ferraccià franceinfo
Il faut veiller quand même à ne pas aggraver ce problème de pouvoir d'achat. Il était à l'origine non seulement de la fronde et de la colère contre la réforme des retraites, mais plus généralement contre les problèmes posés par l'inflation galopante qu'on a connu pendant quelques mois et qui n'a pas été partout corrigé par des hausses de rémunérations.