À l’Assemblée, la motion de rejet pour accélérer l’examen de la loi agricole adoptée

Du presque jamais vu dans l’histoire parlementaire. Ce lundi, à l’Assemblée nationale, l’alliance des macronistes et des LR, bien aidés par le Rassemblement national, sont parvenus à faire adopter à 274 voix contre 121 une motion de rejet sur une proposition de loi qu’ils défendaient pourtant. Le texte, qui vise à lever les contraintes qui pèsent sur l’exercice du métier d’agriculteur, est ainsi considéré comme retoqué par l’Assemblée nationale, après son adoption au Sénat il y a quelques semaines.

Cette loi, dont le sénateur Laurent Duplomb est à l’origine, est très critiquée à gauche, et même chez une partie des macronistes, car elle ouvre notamment la voie à la réintroduction dérogatoire de plusieurs insecticides pourtant interdits depuis quelques années, comme l’acétamipride, un produit de la famille des néonicotinoïdes, et révise le fonctionnement de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation (Anses) sur l’évaluation des produits phytosanitaires. Un texte réclamé de longue date par les agriculteurs, qui manifestaient leur impatience lundi devant les grilles de l’Assemblée.

La manœuvre législative est inédite. Loin de vouloir se faire hara-kiri, les défenseurs de cette loi ont décidé de faire tomber leur texte pour une seule raison : passer outre l’obstruction parlementaire des écologistes et des Insoumis, qui avaient déposé plus de 2 500 amendements, et ainsi faire adopter le texte d’ici quelques jours au sein d’une commission mixte paritaire qui réunira à huis clos sept députés et sept sénateurs.

« C’est un scandale sanitaire »

Dans l’Hémicycle, les débats n’auront donc pas fait long feu. Mais se seront déroulés dans une ambiance à couteaux tirés. Le député LR Julien Dive, rapporteur de cette proposition de loi à l’Assemblée, a défendu sa motion de rejet, accusant la gauche d’une « stratégie d’obstruction délibérée, assumée et méthodique » dans le but d’« asphyxier le texte », de « désintégrer le débat » et de « saturer le temps parlementaire ». « J’appelle cela du sabotage organisé », a-t-il tancé. Un peu plus tôt, la ministre de l’Agriculture, Annie Genevard, avait également vivement attaqué la gauche écologiste et insoumise. « Vous avez fait du droit d’amendement un droit d’enlisement », a-t-elle critiqué. Et de s’entendre répondre, par la députée LFI Sophia Chikirou : « Et vous, vous avez fait de la motion de rejet un 49.3 !! »

Ulcérés, les députés de gauche ont quant à eux regretté par la voix de Mathilde Panot (LFI) un « précédent démocratique extrêmement grave », annonçant le dépôt prochain d’une motion de censure pour tenter de faire tomber le gouvernement. Plusieurs rappels au règlement ont largement électrisé l’ambiance dans l’Hémicycle, contrastant avec celle, bien plus feutrée du moment pendant les débats sur les textes sur la fin de vie. Des pancartes avec les prénoms de malades accompagnés de mots comme « tumeur », ont été brandies par les Insoumis. « Le gouvernement passe en force sur un texte qui réautorise un produit qui nous rend malade. C’est un scandale sanitaire », a de son côté tempêté la patronne du groupe écologiste, Cyrielle Chatelain. « Ils ne veulent pas que l’on ait ce débat-là car ils ne veulent pas que l’on utilise le mot cancer », a-t-elle poursuivi, relatant le détail des débats en conférence des présidents, un peu plus tôt.

Comme l’a révélé Le Figaro, la présidente de l’Assemblée avait effectivement convoqué tous les patrons de groupe parlementaire du Palais Bourbon, pour tenter de démêler la situation. Objectif : leur proposer une procédure en temps programmé, qui vise à fixer à l’avance la durée de l’examen d’un texte en séance publique. Ce, uniquement si la gauche acceptait de retirer un nombre conséquent de ses amendements pour permettre à l’examen de la proposition de loi d’aller à son terme. Mais les discussions ont tourné court, les Insoumis refusant le temps programmé, et les écologistes l’acceptant mais ne précisant pas combien d’amendements ils étaient prêts à retirer.

Résultat : le « socle commun » a décidé, soutenu par le Rassemblement national, de maintenir sa stratégie, élaborée pendant le week-end. « L’assassin s’étonne du meurtre », grince, auprès du Figaro, le patron des députés LR, Laurent Wauquiez. « La gauche a voulu jouer, elle a perdu », s’est amusé, à l’issue de la réunion, le député RN Jean-Philippe Tanguy. « Cette motion de rejet est malheureusement nécessaire pour que ce texte puisse avancer. Il y a une bonne année de retard par rapport au calendrier et à l’urgence pour les agriculteurs de pouvoir utiliser un certain nombre de produits », a-t-il également défendu. Les socialistes, quant à eux, ont « brillé par leur absence », comme l’a fait remarquer la députée RN Hélène Laporte. « Ils sont dans des circonscriptions très rurales, ils sont mal à l’aise avec ce texte », décrypte une macroniste. « Ils avaient des problèmes de train », défend, de son côté un cadre socialiste.

Le texte étant donc désormais officiellement retoqué à l’Assemblée nationale, il appartient au gouvernement de fixer une date pour la commission mixte paritaire. À son issue, si accord il y a, le texte réécrit reviendra pour un vote définitif à l’Assemblée nationale puis au Sénat.