Tour de France : Tadej Pogacar et la stratégie du bouclier
Tadej Pogacar a bâti sa (jeune) réputation sur des chevauchées fantastiques. Il assoit un (probable) nouveau titre sur le Tour en s’accrochant à une stratégie défensive impitoyable. Devenu au fil des kilomètres plus fourmi que cigale. Peut-être pour s’adapter à une condition physique moins étincelante. Sûrement pour ne pas mettre en péril une place de choix. Tadej Pogacar ou les fruits de la maturité.
Au départ de Vif, il y avait de l’électricité dans l’air et des questions qui tournaient en rond au sujet de l’étape reine de ce Tour (5450 mètres de dénivelé positif en escaladant le col du Glandon et le col de la Madeleine). Les nuages et les caprices de la météo attendus au sommet du col de la Loze pouvaient-ils donner à la journée une tournure dramatique sur le toit du Tour (2304 mètres) ? Les ultimes espoirs d’un challenger (Jonas Vingegaard) n’ayant jamais pu sortir de l’ombre d’un omnipotent « Roi-Soleil » trouveraient-ils un terrain favorable ? Quand Tadej Pogacar était face à un rendez-vous avec une histoire intime. En 2023, en perdition, le Slovène avait dans un murmure d’outre-tombe livré l’étendue de son dépit, de sa déception : « Je suis mort ». Il avait vu ses derniers espoirs avalés par la pente, écrasés par la fatigue et laissé Jonas Vingegaard s’envoler vers son deuxième titre sur le Tour de France. Depuis, le souvenir de la séquence le hantait. Il avait hâte de « réécrire » l’histoire comme il l’a avoué à Eurosport. Lors de son cinquantième jour avec le maillot jaune (seuls Merckx, 96, Hinault, 78, Indurain, 60, Froome, 59 et Anquetil, 52, le devancent), il est resté focalisé sur l’objectif du classement général. Sans s’éparpiller. Avant de mettre un point d’honneur à terminer devant Jonas Vingegaard. Une nouvelle fois. Comme un symbole.
Passer la publicitéLa guerre des nerfs n’a pas eu lieu
Les questions sont restées plantées dans le dos de l’équipe Visma, animatrice d’une drôle de journée au cours de laquelle l’équipe néerlandaise a attaqué de loin pour isoler et éprouver le Maillot jaune, avant de se livrer à une étonnante séquence de surplace au pied de la dernière difficulté et de le laisser reprendre son souffle, retrouver des soutiens. Puis contrôler. Périscope sorti. La guerre des nerfs n’a pas eu lieu. Tadej Pogacar a, avec sang-froid et sérénité, manœuvré en stratège. Moins feu follet, plus comptable. Moins spectaculaire mais toujours aussi redoutable. Fin stratège. Faisant de l’esquive un art. Observateur des difficultés de ses rivaux à le toucher.
Et l’Australien Ben O’Connor a, avec audace, saisi la liberté offerte pour signer dans les nuages une splendide victoire d’étape. La deuxième sur le Tour après celle récoltée à Tignes, sous une pluie glaciale, en 2021. Cette année-là, il avait atteint son meilleur classement sur le Tour (4e à Paris). À trois jours de l’arrivée à Paris, il intègre le top 10.
Je n’ai pas vu pourquoi il a freiné brutalement, donc j’ai percuté la voiture. Je me suis cogné, mais tout va bien
Tadej Pogacar
Tadej Pogacar l’insatiable (4 victoires d’étapes sur ce Tour), maître de son époque, ne battra pas tous les records (8 victoires d’étapes sur un seul Tour de Merckx en 1970 et 1974, Maertens 1976 et Pélissier 1930). À 26 ans, il a le temps. Et il a montré, avec sagesse, que son registre s’était étoffé. « Tadej court jour après jour. L’objectif est d’abord de gagner le Tour, pas de risquer de perdre le contrôle sur le classement général », résume Mauro Gianetti. Le manager de l’équipe UAE Team Emirates dont le téléphone brûle depuis plusieurs jours pour organiser l’arrivée à Paris, dimanche, et les festivités pour accompagner un quatrième succès (après 2020, 2021 et 2024) attendu du Slovène.
La seule frayeur, ce jeudi, Tadej Pogacar l’a finalement connue avant le départ. « On allait sur la ligne de départ au milieu des voitures, il n’y avait pas de danger devant. On était derrière la voiture (de la formation Visma), peut-être un peu trop près, et le conducteur a freiné brutalement. Je ne sais pas s’il voulait contrôler mes freins. Je n’ai pas vu pourquoi il a freiné brutalement, donc j’ai percuté la voiture. Je me suis cogné, mais tout va bien », a raconté le Maillot jaune à la télévision britannique dans des propos rapportés par l’AFP. Plus rien ne semble en mesure de désarçonner Tadej Pogacar, qui s’est relevé d’une chute à Toulouse (11e étape), d’un rhume tenace, de sensations éparpillées et de longues journées ligoté dans une tactique défensive mais qui trône au sommet du Tour…