"Des blessés et des morts partout" : après la prise de Goma en RDC, un membre de Médecins sans frontières témoigne du chaos

Après quatre jours de combats nourris dès le 25 janvier, la ville de Goma, située en République démocratique du Congo (RDC), est tombée aux mains des rebelles armés du M23. Sur place, la situation est catastrophique. Julien Binet, un Franc-Comtois envoyé sur place avec une équipe d’urgence de Médecins Sans Frontières, est à Goma. Il nous raconte.

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Des centaines de blessés de guerre, des milliers de morts, un risque d'épidémies accru. La ville de Goma, a été plongée dans le chaos suite à la prise armée de la ville par un groupe militaire, baptisé M23. En lutte avec les Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC) depuis trois ans, le Mouvement du 23 mars (M23), soutenu par le Rwanda voisin, est arrivé à prendre le contrôle de la capitale de la province du Nord-Kivu après une offensive menée entre le 25 et le 29 janvier.

Un homme du groupe armé M23 à Goma, en RDC, le 29 janvier 2025. © - / AFP

Pour rappel, la RDC est l'un des pays les plus pauvres au monde. Là-bas, près d'un enfant sur dix meurt avant l’âge de cinq ans. Située à l'Est de la RDC, sur la rive nord du lac Kivu, la ville de Goma compte entre 1 et 2 millions d'habitants. "Il est difficile de dire le nombre exact d'habitants en raison du grand nombre de déplacés et des mouvements perpétuels de population", nous rapporte Julien Binet, sur place depuis plusieurs jours pour Médecins Sans Frontières. Goma est la capitale d'une province stratégique, riche en minéraux. Elle attise les convoitises en raison de la présence de mines de coltan, minerai utilisé pour la conception des smartphones, d'or ou encore de cuivre. 

"Une guerre dure depuis plus 30 ans. Plus de 150 groupes armés se répartissent les zones de cette région. Ces affrontements sont alimentés par de nombreux facteurs : politiques, économiques, fonciers, communautaires... Il y a aussi une dimension régionale, avec l’implication de nombreuses forces d’interventions étrangères. C’est une situation très complexe", nous détaille le Franc-Comtois, référent en matière de gestion de la sécurité et gestion de crise à MSF. L'une des raisons majeures du conflit est liée à l’exploitation des mines.

Cette crise dure depuis trente ans, dans l’indifférence générale. Et ce sont les populations civiles qui trinquent.

Julien Binet, référent Médecins Sans Frontières
Julien Binet avec des enfants en RDC. © Julien Binet

Notre interlocuteur connaît parfaitement cette province du Nord-Kivu. Il est intervenu plusieurs fois sur ce territoire qui concentre toutes les difficultés possibles, tant sur le plan géopolitique, sécuritaire que sanitaire. L'opinion publique internationale reste largement silencieuse face aux conséquences terribles sur les populations locales. Julien Binet parle de "crise oubliée". "Pour nous, Goma est une ville où il y a tous les besoins du monde."

Selon l'ONU, plus de 500 000 personnes ont été déplacées depuis janvier et les hôpitaux sont submergés de blessés, dont de nombreux civils. Ces faits nous sont confirmés par Julien Binet. Originaire du Haut-Doubs, il a commencé à travailler avec MSF en 2011 et a passé une dizaine d'années en Afrique sur le terrain. Joint par téléphone, il nous raconte la situation sur place sans trembler malgré la gravité des faits qui se déroulent sous ses yeux chaque jour. Le Franc-Comtois est habitué à parcourir les zones de conflits. "J'ai été formé pour ça. Je suis venu à Goma pour soutenir les équipes déjà sur place. Je vais beaucoup sur les déploiements d'urgence, à chaque fois qu'il y a des crises, des épidémies ou des conflits", précise-t-il. Pourtant, ce qu'il rapporte de la situation à Goma dépasse l'entendement. La population vit dans le désarroi et la pauvreté la plus totale. 

"Il y avait plein de cadavres partout"

Goma est tombée après quatre jours de combats "d'une intensité extrême". Pendant près d’une semaine, l’électricité a été totalement coupée en ville, ce qui ajoutait au chaos généralisé. "Il y a eu des tirs aux obus, aux mortiers, à l'arme lourde dans toute la ville et près des camps de déplacés. Il y avait plein de cadavres partout. L'ONU a récemment estimé à 3000 le nombre de morts et plus de 6000 blessés à cause des affrontements. Difficile de savoir. Mais ce qui est sûr, c’est que les hôpitaux et les morgues sont pleins. Tous les gens se sont terrés chez eux. Et des centaines de milliers de déplacés se sont retrouvées au milieu de ce conflit", confirme Julien Binet.

Sur place, les équipes de Médecins Sans Frontières, présentes depuis de nombreuses années à Goma et dans de nombreux territoires reculés du Nord-Kivu, tentent de secourir la population au mieux. Les trois années d’affrontements avec le M23 ont poussé près 650 000 déplacés à venir s’installer dans des sites insalubres autour de Goma. Les risques d'épidémies dans ces sites et dans la ville sont particulièrement forts en raison du manque d'eau potable. MSF craint que le choléra n'explose : "Les gens boivent de l'eau insalubre, les latrines (ndlr, toilettes sommaires) débordent de partout, les conditions d’hygiène sont désastreuses. C’est un cocktail explosif. Certains centres de traitement du choléra qu’on appuie sont pleins et on a dû les agrandir vu le nombre de patients."

La population de Goma écoute une femme de Médecins sans frontières pour recevoir de l'aide. © Médecins sans frontières

Julien Binet a entrepris avec ses collègues de faire le tour des hôpitaux. "Quand on est arrivés à l’hôpital Virunga, dans un quartier de la ville, il y avait 56 morts et 250 blessés. Pas d'eau, pas d'électricité. On a immédiatement installé des tentes avec des lits, fourni de l'eau, du fuel, renforcé les mesures d'hygiène et fourni un médecin pour la chirurgie", énumère Julien Binet, précisant qu'environ 3 000 personnes travaillent sous la bannière de Médecins Sans Frontières dans le pays. 

Ma mission c'était aussi d'aller voir les camps de déplacés et de les assister avec des supports essentiels pour les besoins vitaux. On fait des cliniques mobiles, on donne de l'eau. On construit des petites douches et des latrines.

Julien Binet, Médecins Sans Frontières

En RDC comme dans toutes les zones de conflit, les équipes de MSF sont en contact avec tous les groupes armés pour pouvoir assurer des soins à ceux qui en ont besoin en toute sécurité. Le M23 ne fait pas exception à la règle. "On est allés se présenter. On leur a expliqué ce qu'on faisait à Goma, et ils nous ont dit : 'Oui, bien sûr, allez-y, faites'".

Un hôpital de Médecins sans frontière à Goma. © Médecins sans frontières

Le sort des femmes particulièrement préoccupant

Julien Binet alerte sur la situation des femmes dans la province du Nord-Kivu. Elles sont particulièrement vulnérables et subissent encore plus de violence que les hommes civils, notamment des viols et des violences sexuelles. "Avant la prise de Goma, les violences sexuelles contre les femmes étaient déjà une urgence majeure. Le nombre de femmes que nous prenons en charge est tout simplement effrayant", alerte le Franc-Comtois.

En 2023, les équipes de MSF ont soutenu la prise en charge de 25166 victimes de violences sexuelles à travers le pays, soit plus de deux victimes par heure. Cette tendance s’est encore accélérée au cours des premiers mois de 2024 : dans la seule province du Nord-Kivu, 17 363 victimes ont été soignées avec l’appui de MSF entre janvier et mai – soit 69% du nombre total de victimes prises en charge en 2023 dans les cinq provinces précitées (en savoir plus).

En 2012, le M23 avait déjà réussi à prendre possession de la ville de Goma avant de quitter les lieux. "Ça avait déjà traumatisé tout le monde qu'un groupe armé prenne une ville comme Goma", rappelle Julien Binet. Au moment où nous avons recueilli son témoignage, le 4 février 2025, les forces armées du M23 avaient déclaré un cessez-le-feu de 48h. La crainte pour beaucoup d’observateurs, est que le M23 poursuive sa progression le long du lac Kivu et qu'il parvienne à prendre Bukavu, la deuxième capitale de la province voisine du Sud-Kivu. "Des initiatives diplomatiques sont en cours au niveau régional pour trouver une solution à cette crise. On espère que la pression internationale va jouer son rôle", abonde le spécialiste des opérations humanitaires de crise. Et de conclure : "Mais on n'a aucune idée de ce qu'il va se passer".

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