Recours au référendum : à quoi joue Macron ? (2/2)

Le président le promet depuis huit ans sans passer aux actes. Il instrumentalise cet outil démocratique, mais craint la souveraineté populaire.

Stéphane Peu

Député PCF de Seine-Saint-Denis, coprésident du groupe GDR

En l’absence de majorité parlementaire, le président de la République dispose, selon notre Constitution, d’un nombre limité de pouvoirs propres. Strictement encadrés, certes, ils n’en sont pas moins considérables : dissolution, nomination du premier ministre, article 16… Il en est un autre, que plus des deux tiers des Français réclament, mais qu’Emmanuel Macron se refuse à utiliser depuis plus de huit ans : le référendum, outil démocratique majeur.

Huit ans qu’il en parle, qu’il l’envisage, qu’il le promet. Huit ans qu’il le repousse, tant il le redoute. Pourtant, à la veille de son interview fleuve du 13 mai, l’entourage de l’Élysée laissait croire à de grandes annonces… Il n’en fut rien. Une fois encore, le président a cultivé le flou, entretenu l’attente et esquivé le sujet. Au début de son premier mandat, depuis Versailles, il évoquait un possible référendum pour réformer les institutions. Lors de la crise des gilets jaunes, il l’envisageait à l’issue de son « grand débat ».

En 2020, il l’annonçait pour inscrire dans la Constitution la protection de l’environnement. En ce début d’année, encore, il affirmait qu’il demanderait aux Français de trancher certains sujets déterminants. Ces intentions n’ont jamais franchi le seuil de l’acte. Pire : il a refusé d’accéder aux demandes de référendums d’initiative populaire (RIP) des représentants du peuple exprimées à travers des propositions de loi référendaires. De la privatisation d’Aéroports de Paris à la réforme des retraites, elles sont toutes venues s’abîmer sur les conditions beaucoup trop strictes posées par l’article 11 de la Constitution.

Le chef de l’État avait le pouvoir de lever ces obstacles. Trop craintif ou trop certain du verdict des urnes, il n’a jamais usé de ce pouvoir. Il a encore confirmé cette crainte du peuple. Son refus catégorique d’organiser un référendum sur l’abrogation de la loi retraites et le fait qu’il envisage d’en organiser un sur l’aide active à mourir sont le symptôme de son rapport pathologique à la démocratie. 

Sa doctrine est claire : un refus obstiné à user du référendum sauf s’il peut lui donner raison contre le Parlement. Une combinaison parfaite pour satisfaire son appétence pour le déni démocratique. Le référendum est un des derniers outils qui lui reste pour exister. Nous sommes prévenus, son usage sera dicté par son opportunisme. Soit pour vider la démocratie représentative de sa substance – en contournant un Parlement qui le contredit – soit pour nier la démocratie directe lorsqu’elle menace l’autorité du Prince.

Une telle instrumentalisation d’un outil constitutionnel puissant, garant de la souveraineté populaire, parachève le traumatisme du référendum de 2005 sur le Traité constitutionnel européen (TCE). Vingt ans après, force est de constater que la rupture entre le peuple et les gouvernants ne cesse de s’approfondir. Cette parole trahie a laissé une trace indélébile dans la mémoire populaire. Ce comportement du président de la République ne fait que la raviver. Renouer avec le peuple c’est lui accorder le droit de se prononcer, même, et surtout si, le résultat peut contredire le pouvoir en place.

Plutôt qu’un référendum qui veut masquer l’irresponsabilité politique, nous avons besoin de méthodes plus délibératives et d’outils d’anticipation.

Émilie Agnoux

Autrice et cofondatrice du Sens du service public

Plus que jamais, après l’intervention d’Emmanuel Macron le 13 mai sur TF1, nous avons le sentiment de naviguer à vue. L’orchestration de l’impuissance est totale. Résumons la problématique : des acteurs politiques qui se gargarisent d’eux-mêmes, des acteurs économiques déresponsabilisés de leur rôle social et réduits à de simples fonctions productives, des acteurs publics présentés comme étant les problèmes à résoudre, tout en précisant que les économies ne se trouveront pas à cet endroit.

Cette culture de la défiance, qui s’exprime essentiellement envers les élus locaux, les fonctionnaires, ou encore les associations, hypertrophie notre société et nous empêche de concevoir les issues réellement efficaces sur le terrain. Notre classe dirigeante se distingue par un goût affirmé pour les réformes cosmétiques de structure (réforme territoriale, réforme de l’État, suppression ou fusion d’organismes…), qui ont fait la preuve de leurs échecs et de leur incapacité à avoir prise sur le réel, et à l’inverse par une très faible appétence pour les changements tangibles de pratiques quotidiennes. Face à l’impasse politique et budgétaire actuelle, le référendum n’est pas envisagé par le Président de la République dans une refonte d’ensemble de notre système démocratique. Il fait office de menace brandie face au blocage parlementaire.

Mais pour demander des réponses tranchées, encore faut-il être en capacité de proposer un projet précis aux Françaises et aux Français. Or c’est précisément ce qui nous fait défaut dans la plupart des domaines. Dans un monde complexe, il est illusoire d’espérer des solutions magiques, binaires, de court terme pour traiter les grands sujets de notre époque.

Nous avons avant tout besoin de nuance, de méthodes plus délibératives et d’outils d’anticipation des effets de chaque décision. Les interventions de personnalités comme Agnès Verdier-Molinié ou Robert Ménard compromettent la qualité de la discussion publique et la pertinence des solutions. La responsabilité médiatique doit donc aussi être posée.

Si nous voulions véritablement sortir de l’ornière, voici quelques-unes des questions que nous devrions nous poser collectivement. Comment déplacer une partie de la dépense publique tout en rendant notre système social plus performant ? Comment répartir de manière plus juste et efficace les contributions aux biens communs (fiscalité, engagement citoyen, financements privés…) ? Comment permettre la maîtrise publique, et donc démocratique, sur les grands enjeux de notre temps (parentalités, vieillissement, numérique, écologie, solidarités, sécurités, libertés, santé, éducation, aménagement du territoire…) ?

Et si la question centrale était celle d’un meilleur partage des temps pour refonder un nouveau compromis social, où la puissance publique reprendrait sa place, mais pas toute la place ?

Puissance publique contre les démolisseurs d’État, d’Émilie Agnoux, éditions de l’Aube, Fondation Jean-Jaurès, 2025.

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